Liu Fang: l’âme d’une musique plus que millénaire Par Bruno Deschênes
/ 13 avril 2008
Bien que l’interprète du pipa
chinois Liu Fang ait élu domicile à Montréal, nous n’avons malheureusement
que très rarement la chance de l’y entendre, ce qui est fort décevant.
Le concert qu’elle donnera le samedi 5 avril 2008 à la salle Pierre-Mercure
du Centre Pierre-Péladeau est son premier à Montréal depuis 2002.
Elle fait maintenant une carrière internationale et se fait ovationner
en France, au Royaume-Uni, en Hollande, en Espagne, en Italie, en Belgique,
en Allemagne, en Irlande, mais aussi au Canada, en Colombie et aux États-Unis.
En août 2006, l’Académie Charles-Cros a récompensé son CD Le
son de la soie, sorti chez Accords Croisés en mai 2006.
Liu Fang est une éblouissante
interprète du pipa, son instrument de prédilection, et du
guzheng chinois. Le répertoire qu’elle nous fait découvrir est
celui de la musique classique
chinoise qui se distingue de la très grande variété de musiques folkloriques
des 105 minorités ethniques de la Chine. La musique classique découle
d’une tradition de plus de deux mille ans qui a été l’apanage
exclusif des lettrés et des nobles chinois. Elle a été pendant tout
ce temps, et même encore aujourd’hui, inconnue du peuple chinois,
bien qu’elle se fasse connaître de plus en plus du grand public chinois.
Cette musique savante est généralement une musique de soliste intimement
liée à la poésie et à la philosophie chinoises. Elle était généralement
interprétée lors de soirées intimes, entre lettrés désirant partager
ce qu’ils considéraient comme un moment de spiritualité poétique
entre musiciens et auditeurs. Le musicien devait atteindre un haut niveau
de développement spirituel pour bien interpréter et exprimer les états
d’âme que ces pièces peuvent évoquer chez l’auditeur. C’est
la mission que Liu Fang s’est donnée en nous faisant connaître cette
superbe musique classique. Les principaux instruments utilisés sont
le guqin, la cithare sur table à sept cordes, le pipa
et le guzheng. Le pipa peut faire partie d’ensembles de musique
folklorique, de cérémonies, de festivals ou de ce qu’on appelle
les « ensembles de soie et de bambou » qui accompagnent les opéras
et les danses locales.
J’ai demandé à Liu Fang si
elle ressentait une différence entre les publics chinois et occidentaux.
Elle précise qu’elle n’a pas encore donné de concerts solos en
Chine; elle a seulement participé à des concerts au sein d’orchestres
traditionnels. Les musiques classiques n’attirent encore aujourd’hui
qu’un faible auditoire en Chine. Elle ajoute qu’en Occident, le
public est attentif, curieux et affable; cela lui permet de plonger
plus profondément dans sa tradition, dans l’esprit musical qui donne
à la musique chinoise sa grande beauté. À certains égards et très
paradoxalement, elle devient plus chinoise en Occident qu’en Chine
même qui cherche à s’occidentaliser. Elle s’intéresse avant tout
à la pensée musicale, philosophique et même spirituelle de la musique
classique chinoise. Comme pour ces lettrés d’autrefois, la musique
que Liu Fang nous fait entendre dénote une profonde démarche spirituelle
et philosophique.
Tel que je le mentionnais dans
le commentaire d’un de ses CD, avant de jouer une première note,
elle peut tranquillement fermer les yeux et nous garder en haleine d’un
court silence qui nous envahit déjà avant de jouer la toute première
note qui, elle, nous sort de la réalité par sa grâce et sa pureté.
Liu Fang est une ambassadrice de la musique chinoise, mais surtout l’ambassadrice
d’une âme et d’une spiritualité musicale. Elle nous fait entendre
une musique plus que millénaire, mais elle nous la fait surtout
ressentir. n
Music of Central Asia
Vol. 4, Bardic Divas, Women’s Voices
in Central Asia
SW CD 40523 CD (59 min 15 s) et DVD (24
m)
Vol. 5, Badakshan Ensemble, Song and
Dance from the Pamir Mountains
SW CD 40524, CD (64 min 10 s) et DVD
(24 m)
Vol. 6, Alim and Fargana Qasimov, Spiritual
Music of Azerbaijan
SW CD 40525, CD (70 min 33 s) et DVD
(24 m)
Smithsonian Folkways, 2007
Le label américain Smithsonian Folkways
a lancé en 2007 trois nouvelles parutions de sa merveilleuse série
Music of Central Asia. Unique en son genre, cette série propose
des albums doubles, chacun comprenant un CD et un DVD (d’une durée
de 24 minutes), de musique et de musiciens de différentes contrées
de l’Asie centrale.Cette grande région, qui sied en sandwich entre
la Russie au nord et le Moyen-Orient au sud, a été au cœur de la
célèbre route de la soie, par laquelle la Chine a pu faire du commerce
jusqu’en Europe pendant près de 1500 ans jusqu’au XVe siècle.
Cette route a été aussi propice à de nombreux échanges culturels
entre tous les peuples de cette vaste région qui, ayant été sous
le contrôle de l’Union soviétique une grande partie du XXe siècle,
demeure presque inconnue en Occident – bien que nous commençions
à en entendre parler de plus en plus depuis le début des années 1990.
Le volume 4 présente la musique d’une tradition de bardes encore
présente chez plusieurs de ces peuples. Mais le plus intéressant est
que ce volume est consacré aux femmes bardes. Le volume 5 nous fait
entendre la musique du Badakshan, habité par un peuple d’origine
perse dont le territoire est partagé entre le Tadjikistan et le nord
de l’Afghanistan; sa musique est tout aussi unique que sa culture.
Finalement, le volume 6 présente un couple de musiciens qui désirent
nous faire connaître les grandes fresques musicales des maqams
de l’Azerbaïdjan. Chaque volume de la série est accompagné d’un
livret très bien documenté. Des musiques à découvrir, à voir et
à entendre, encore profondément authentiques ! |
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