La musique de la Nouvelle-France Par Caroline Louis
/ 1 juillet 2008
Louise Courville, musicologue,
chanteuse, flûtiste et directrice de l’Ensemble Nouvelle-France,
aime se décrire comme une archéologue de la musique. Diplômée en
interprétation des conservatoires de Québec et de Montréal et en
musicologie de l’Université de Montréal, elle s’évertue depuis
une trentaine d’années à sonder et à faire connaître l’héritage
musical de la Nouvelle-France.
Son intérêt pour le sujet est
né lors d’un séjour d’études supérieures à Paris, où elle
constata le dynamisme et le sérieux des travaux musicologiques consacrés
à la connaissance et à la compréhension du passé musical français.
Il lui sembla alors tout naturel d’investiguer, dès son retour au
Québec en 1977, l’histoire musicale de la Nouvelle-France. Ce défi
s’avéra colossal, car il lui fallut faire des fouilles dans une multitude
de lieux, partout au Québec, avec peu d’aide financière et dans
des conditions quelquefois pénibles. De nombreux documents musicaux
se trouvaient dans des institutions religieuses; Louise Courville se
rappelle qu’il fut parfois difficile pour les membres de celles-ci
de lui ouvrir leurs portes et de lui permettre de manipuler un héritage
pour eux sacré. La musicologue évoque en riant certaines occasions
où elle dut recopier à la main des pages entières de musique, tandis
que l’archiviste de telle congrégation surveillait ses moindres gestes,
observant son travail par-dessus son épaule. Avec le temps, Louise
Courville visita un grand nombre de dépôts d’archives dans des séminaires,
collèges, bibliothèques, presbytères et autres lieux, où elle découvrit
souvent des documents très abîmés et fragmentaires, nécessitant
un travail de reconstitution appuyé par une solide connaissance des
styles, de la théorie et de l’instrumentation de l’époque. Parmi
ses découvertes se trouvent à la fois des compositions locales, des
partitions françaises importées à l’époque et une variété d’écrits
sur la musique témoignant de l’activité musicale en Nouvelle-France.
Louise Courville retrace pour nous quelques moments forts de cette histoire
fascinante.
L’une des premières manifestations
artistiques, sinon la première, en Nouvelle-France, eut lieu en 1606,
avant même la fondation de la ville de Québec. L’un des compagnons
de Champlain, nommé Marc Lescarbot, composa à son arrivée une œuvre
inspirante prédisant la naissance d’un florissant empire français
en Amérique. Créée dans la Baie de Port-Royal, cette œuvre
intitulée Le Théâtre de Neptune est écrite dans une ancienne
forme de théâtre musical que l’on appelait « masque ». Marc Lescarbot
est également le premier ethnomusicologue connu en Nouvelle-France,
ayant noté des chants des Amérindiens micmacs. Mentionnons qu’une
reconstitution du Théâtre de Neptune a été présentée au
Congrès des historiens et hommes de science de France, à Québec,
le 5 juin dernier, par l’Ensemble Nouvelle-France.
Parmi les faits marquants de l’histoire
musicale du Québec, l’arrivée de Marie de l’Incarnation, en 1639,
est incontournable. Cette mystique musicienne, qui avait choisi pour
accompagnatrice la gambiste Marie de Saint-Joseph de la Troche-Savonnière,
chantait et improvisait au cloître, en plus d’écrire et de peindre.
Louise Courville a découvert, dans une chambre forte de pierre que
Marie de l’Incarnation avait fait construire chez les Ursulines de
Québec, un corpus de près de 120 chants sacrés, que la mystique avait
voulu ainsi préserver du feu. Louise Courville nous apprend que Marie
de l’Incarnation composait une musique très ornée et très passionnée,
ce qui choqua Mgr François de Laval, premier évêque de Québec et
fondateur du séminaire de cette ville, au point qu’il interdit certaines
de ses œuvres.
Louis Jolliet, célèbre explorateur
né près de Québec et qui découvrit le Mississippi, compte également
parmi les grands musiciens de la colonie. Premier claveciniste et organiste
connu en Nouvelle-France, il a tenu les orgues de Notre-Dame de Québec
pendant 30 ans.
La musique en Nouvelle-France,
nous explique Louise Courville, possède une homogénéité surprenante
de la campagne à la ville, au contraire du vieux continent, sur lequel
de grandes différences sont observables entre les musiques et les danses
du monde rural et des villes. Par exemple, le menuet était dansé dans
les campagnes du Québec, tandis qu’en France il était plutôt réservé
aux nobles. Les danses étaient enseignées par les maîtres à danser,
qui faisaient le tour des villes et des villages pour apprendre aux
gens de nouveaux pas et de nouveaux airs, en préparation pour les nombreux
mariages et les soirées dansantes. Les maîtres à danser voyageaient
souvent avec des aide-mémoire et des notations musicales, dont certains
furent retrouvés et analysés par Louise Courville.
Celle-ci s’est également penchée
sur les manuscrits de près de 300 danses que l’on retrouve aux archives
du Musée de l’Amérique française, grâce à un legs du Séminaire
de Québec. Ces manuscrits sont intéressants, car on y retrouve des
annotations de musiciens de l’époque, concernant par exemple l’exécution
de l’ornementation, que l’on se permettait de simplifier lorsque
trop exigeante. Ainsi, ces documents et bien d’autres également ont
permis à Louise Courville de constater que la musique de la Nouvelle-France
était surtout sobre et fonctionnelle et que l’on ne s’y préoccupait
pas autant qu’en Europe de faire la démonstration de sa virtuosité.
Également fréquentes dans les manuscrits recensés au Québec sont
les paraphrases, ces mesures empruntées de mémoire à des compositions
souvent venues de France et que l’on complétait soi-même par de
nouvelles idées musicales.
Si la musique était très répandue
en Nouvelle-France, c’est cependant chez l’intendant que l’on
avait l’occasion d’entendre des œuvres savantes de grands compositeurs
français, œuvres que l’intendant faisait importer. Les soirées
de l’intendant François Bigot, plus particulièrement, étaient des
imitations des soirées de la cour de Versailles, et l’on croit aujourd’hui
que c’est grâce à ce type de personnage si des documents aussi riches
et complexes que des opéras de Lully, des traités de Rameau, de Corette
et de Hotteterre, pour n’en nommer que quelques-uns, se sont retrouvés
au Québec.
Dès le milieu du XVIIe siècle,
il était possible d’entendre les instruments suivants en Nouvelle-France :
vielle à roue, viole de gambe et autres violes, violons, flûtes, piccolo,
hautbois, guitares baroques, serpent (famille des cornets à bouquins),
orgue (dès 1663), clavecin, épinette (petit clavecin portatif), tambours
et instruments amérindiens. Les instruments à vent et les tambours
accompagnaient la vie militaire, dont l’importance était cruciale
dans la colonie, et l’on composait des chants pour célébrer les
victoires militaires. Bon nombre de ces chants de victoire furent composés
par des femmes qui ne signaient cependant pas leurs noms, et le plus
souvent on ne transcrivait que les paroles de ces chants, et non la
notation musicale.
Voilà une brève esquisse du paysage
musical de la Nouvelle-France, et il va sans dire que les découvertes
musicales de Louise Courville sont tout aussi nombreuses que fascinantes.
L’Anthologie de la musique historique du Québec, enregistrée
en six volumes thématiques par l’Ensemble Nouvelle-France, constitue
une excellente introduction à cette musique et est disponible dans
l’ensemble des bibliothèques du Québec. Si les efforts de Louise
Courville sont plus que louables, il reste cependant énormément à
faire sur le plan de la connaissance et de la diffusion de la musique
historique du Québec. Un grand travail de classification et d’archivage
attend ceux qui marcheront sur les traces de la musicienne et musicologue,
un peu partout dans les institutions pionnières du Québec. Il serait
également intéressant de créer un musée musical au Québec, dans
lequel on pourrait regrouper les instruments anciens et les documents
musicaux de valeur historique, projet qui nécessiterait sans doute
un financement considérable, mais qui est indispensable pour la préservation
et la diffusion de l’histoire musicale de la belle province. n |
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