Jazz Par/by Marc Chénard
/ July 1, 2008
Jazz en région :
À Québec
Allegro Vivace au Largo
Marc Chénard
Durant la saison estivale, Montréal
domine largement la manchette culturelle au Québec par sa kyrielle
de festivals. Au chapitre du jazz et des musiques improvisées, par
exemple, trois événements se déroulent en juin dans la métropole,
mais la note bleue se fait aussi entendre ailleurs en province. Tel
est le cas de Rimouski et de son Festijazz (voir ci-dessous), mais aussi
de la Vieille Capitale. Pendant longtemps, l’Hôtel Clarendon assurait
une présence de cette musique sur scène, mais depuis l’abandon de
ces spectacles, on pensait la ville moribonde.
Pourtant, depuis 2004, un nouvel
établissement a pris le relais : le Largo Resto-Club. Situé dans la
basse ville, rue Saint-Joseph plus exactement, cet endroit présente
des spectacles jazz au rythme de trois ou quatre soirs par semaine.
Maître-d’œuvre de cette entreprise, M. Gino Sainte-Marie conjugue
avec intelligence sa double vocation de gastronome et de mélomane.
« Nous sommes un restaurant, bien sûr, mais notre service aux tables
se fait seulement avant le début d’un spectacle ou entre les deux
représentations. »
Bien que cet entrepreneur avisé
cherche autant à sustenter l’estomac que l’oreille de sa clientèle,
il se donne aussi un autre mandat, soit de contribuer au développement
de la scène culturelle de sa ville. À cette fin, il a constitué,
en 2005, la Fondation Allegro pour les Arts, laquelle lui a permis de
s’impliquer dans plusieurs initiatives, entre autres : programmation
d’un volet jazz inscrit dans le traditionnel Festival d’été de
Québec, octroi d’une première bourse au concours de la relève jazz
de la ville l’an dernier, commandite à la programmation musicale
de la radio CKIA, exposition des finissants des métiers d’art du
Québec en 2006 et don au Festival des trois Amériques.
Quant au jazz, il s’est lancé
dans la grande aventure d’un festival l’an dernier, celui-ci ayant
eu lieu à la mi-août. Cette année, en revanche, sa seconde édition
se déroulera du 10 au 14 septembre, sa décision de le déplacer d’un
mois dictée par la surabondance de célébrations estivales liées
au 400e. Mais du 3 au 13 juillet, le Largo présentera chaque
soir des jazzmen et jazzwomen d’ici et d’ailleurs (voir calendrier
Jazz +). Comme tout petit train qui fait son chemin, le Largo a
déjà accueilli une poignée de grands noms dans sa jeune histoire,
en l’occurrence le pianiste Alan Broadbent (du Quartet West de Charlie
Haden), le guitariste Lionel Loueke, le saxo Dave Binney et le guitariste
Gene Bertoncini, sans oublier quelques noms de chez nous comme Lorraine
Desmarais, Pierre Tanguay, Michel Donato… De concert avec sa conjointe
Virginie Hamel (une chanteuse qui s’y produit régulièrement), Gino
Sainte-Marie rode constamment son entreprise qui, parions-le, aura le
vent dans les voiles très bientôt (si ce n’est chose faite). Cap
sur Québec !
Largo Resto-Club (643, rue Saint-Joseph
Est)
Tél. : 418 529-3111 (Sans frais : 1 888-529-3111)
http://www.largorestoclub.com
Festijazz international
de Rimouski, édition 2008
Synonyme de la rentrée
Annie Landreville
Après avoir accueilli des grosses pointures
comme Bill Frisell, Joey Baron et Enrico Rava pour sa première programmation
l’an dernier, le directeur artistique du Festijazz de Rimouski, Luc
Lavoie, souhaite poursuivre dans la même veine dans sa prochaine édition
qui se déroulera du 28 au 31 août prochain : « On veut offrir un
jazz de haut niveau, évidemment, mais il faut aussi arriver à un juste
équilibre entre la tradition et la nouvelle vague pour rejoindre une
clientèle diversifiée. » En ouverture, jeudi soir, le pianiste, compositeur
et crooner Denzal Sinclaire de Vancouver présentera en première un
spectacle conjoint avec le quatuor à cordes Saint-Germain, un ensemble
de la région. En première partie de cette soirée inaugurale, ce sera
à l’ensemble lauréat du concours du jazz de Festival international
de jazz de Montréal de l’an dernier de se produire, soit le quintette
de Félix Stüssi, une formation montréalaise dirigée par ce pianiste
d’origine suisse.
Autre belle prise, le grand saxophoniste
Joe Lovano se rendra aussi à Rimouski le samedi avec un tout nouveau
quintette, le U.S. Five. Le lendemain soir, l’événement se termine
en beauté avec une prestation du très populaire Cinematic Orchestra,
formation américaine qui donne dans le Nu jazz, l’électronica et
la soul music. Pour Lavoie, il ne fait aucun doute que le public de
la région aura une belle occasion d’entendre « du jazz de haut calibre,
présenté dans une salle qui n’est pas seulement très agréable
mais aussi assez intime ». En effet, la presque totalité des
quelque 900 places de cette salle conçue par l’architecte Dan S.
Hanganu (TNM, Pointe-à-Callière...) offre une merveilleuse proximité
avec la scène, sans oublier une magnifique vue sur le fleuve depuis
le foyer ou la mezzanine, la façade de l’édifice étant entièrement
vitrée.
Mais ce n’est pas tout. Une tente
sera aussi érigée en pleine ville et les festivaliers pourront alors
assister à cinq spectacles à l’achat d’un bracelet pour la modique
somme de dix dollars. Au programme de ce volet du festival, signalons
d’abord un groupe fort prisé par les temps qui courent, The Lost
Fingers, qui revisite les classiques des années 1980 façon manouche,
puis les surprenants et débridés Mister Valaire, le Souljazz Orchestra
ainsi que le blues du Mississippi de Vasti Jackson et du jeune guitariste
Ricky Paquette.
Comme ce long week-end cadre avec
la rentrée scolaire et que Rimouski, avec ses nombreuses institutions,
accueille des milliers d’étudiants, l’événement a voulu créer
cette année un volet de musique populaire à leur intention,
ce volet remplaçant la traditionnelle série des musiques du monde.
Les Pascale Picard et DJ Champion seront justement de la fête et feront
certainement danser les festivaliers jusqu’aux petites heures du matin.
Pour les familles, le festival propose, outre des spectacles gratuits,
de l’animation et une représentation spécialement conçue pour les
enfants. Des plus petits aux plus grands (mélomanes inclus), le Festijazz
de Rimouski a de quoi satisfaire tous les goûts cette année !
Pour les visiteurs, il faut se
donner un moment pour visiter la région environnante qui, elle, mérite
bien le détour. C’est pourquoi les organisateurs ont pensé à des
forfaits pour les amateurs de plein air, soit la formule « jazz et nature »,
laquelle permet de visiter le Parc du Bic ou les magnifiques Jardins
de Métis – et de découvrir la gastronomie régionale… car il faut
veiller autant à la panse qu’aux oreilles.
Information (horaire etc.)
http://www.festijazzrimouski.com
Dernière heure
À la tombée de cet article, nous apprenons
avec grand regret le décès accidentel du pianiste suédois Esbjörn
Svensson, chef du célèbre trio (E.S.T.), groupe qui devait justement
se produire au Festijazz de cette année. Aucun remplaçant n’a été
annoncé pour le moment.
Au rayon du disque / Off the Record
Marc Chénard, Félix-Antoine Hamel,
Paul Serralheiro
Guitar Grooves (II)
What instrument can be said to be more
popular than the guitar? In jazz, however, it is sometimes a suspicious
choice of axe; in fact, guitarists often head the pack of critics who
claim vocalists and horn players as models, eschewing the chord-heavy,
pattern-trap that the guitar can be. Yet, it is also popular for a number
of good reasons, among them, its potential of sounding just as great
as other instruments when put in the hands of masters.
One such master is Stanley Jordan. Making
his first splash in the 1980s, Jordan dropped from the radar for over
10 years. Fortunately, his newest release (Stanley Jordan: State of
Nature Marc Avenue MAC 1040 HHHHII) shows that his sterling technique is all there,
most notably his trademark, claim-to-fame two-hand tapping to simulate
a piano, even his simultaneous playing of guitar and piano. Like Charlie
Christian, Wes Montgomery and George Benson, to name a few obvious forerunners,
Jordan has pushed the art of jazz guitar a notch further while also
having enormous grass-roots appeal. More than a technician, Jordan delivers
some poetic, conceptual pieces, with a new-age, nature-scape concept
(some tracks even contain environmental sounds, waves, wind and such).
Playing mainly original pieces (“All Blues”, “How Insensitive”
and Mozart’s “Piano Concert No. 21” being the exceptions), the
lingering impression is that Jordan is an eclectic, down-to-earth player
with a vivid imagination and an abundance of means to express it.
A different school of guitar playing
is represented in the first release by guitarist/leader Simon Legault.
In his debut Effendi side (Simon Legault Quartet: Misrememberings
FND082 HHHHII) which is the prize for his quartet’s
win in the annual Jazz en Rafale last year, Legault delivers some nuanced
playing in the school of Pat Metheny, a admired stylist whose impact
on guitarists is under-acknowledged. Here, in numbers like the up-tempo
contemporary bebop of “What to Do” and in the slow lyricism of the
album’s title track, we hear a plectrist with romantic leanings but
who can also play hard and bluesy, as he does in “Hoax” and “Pay
the Man”. Burning and dreaming along with the leader are tenor saxophonist
Annie Dominqiue, bassist Sébastien Pellerin and drummer Alain Bourgeois.
In this sparse setting, Legault displays his comping abilities to good
advantage, with chordal figures and unfettered counterlines interwoven
in a musically seamless fashion, as in the harmonically lush “Cosmos”
where Legault proves his mettle as a musician first and guitarist second
by playing the song and the musical moment with much sensitivity. PS
Common Thread: The Guessing Game
MP 002
htttp: // www.milesperkin.com
HHHIII
Second disque de l’ensemble du bassiste
montréalais originaire de Winnipeg Miles Perkin, cette nouvelle production
se situe dans le prolongement du premier, paru sous la défunte étiquette
Ombu Records en 2005. Formation éclectique à plus d’un titre, on
retrouve d’abord une instrumentation hétéroclite qui comprend une
harpiste, un spécialiste de la steel guitar, du dobro et du banjo,
deux souffleurs (Eric Hove, saxo alto et flûte, et Chet Doxas, saxo
ténor et clarinette) ainsi que le batteur Thom Gossage. Musique aux
confins des styles aussi, on y décèle des influences de folklores
non occidentaux, le gamelan balinais (Outpost) et la musique
gnawa, avec, en sus, des relents de rock progressiste (Rally the
Troops). Bien que Perkin signe toutes les six pièces de cet enregistrement
de 68 minutes, les connexions avec le jazz sont à vrai dire ténues
(pas mauvais en soi) et l’on entend du reste très peu de solos dans
le sens habituel du terme. Plus collective, cette musique brouille constamment
la ligne de démarcation entre l’écrit et l’improvisé, créant
un effet planant et une part de charme flou. Un bémol cependant : un
jeu de couleurs malheureux pour la pochette et des caractères minuscules
qui vous arracheront les yeux. Une musique de recherche, soit, mais
qui se cherche aussi beaucoup, un constat qui se dégage d’une prestation
de cet ensemble donnée à la mi-juin au Off Festival de jazz. MC
Joel Haynes Trio: Transitions
Cellar Live CL20908
HHHHII
Ghosts of yesterday dance to new rhythms
in this release by the Joel Haynes Trio with guest saxophonist Seamus
Blake. Coltrane is the main haunter of these eight pieces, principally
in Blake’s sound and phrasing, but we also get shades of Weather Report
and other fusion-era music in the group’s approach to harmony and
form. Even when this drummer-led band covers Brit-Pop group Oasis’s
“Champagne Supernova,” one can’t help but think of those previously
mentioned forerunners. Yet, this raises a nagging question for contemporary
jazz audiences: why listen to new releases that echo older approaches
when one could just pull out the old discs and revel in the glow of
past masters? The answer to that is: “You can’t hear them live.”
And this live recording reminds us of that, too. Even if the music is
conservative, it is both respectful and artistically polished, which
is saying quite a lot. Haynes’s drumming is solid, with a preference
for on-the-beat grooves that eschew the easy lure of swing clichés,
as in the propulsive rock edge of the title track and the organ trio
feel of “Wobbler”. While there is no organ here, pianist Tilden
Webb provides plenty of soulful playing, both in his way of setting
up infectious grooves and creative-sounding vamps, laying down some
fresh harmonic colour or spinning out some bluesy choruses of his own.
Bassist Judy Proznick plays sinewy lines throughout and provides one
of the more interesting compositions of the album, a dreamy ballad entitled
“L’Espace”. Despite some derivativeness in style, rhythm and melody
hold surprises, and the group expertly negotiates all of the twists
and turns, a telltale sign of a working band developing a sound worth
listening to rather than just a collection of individuals hastily thrown
together for a gig. PS
Bill Dixon With Exploding Star Orchestra
Thrill Jockey THRILL 192
HHHHHI
Exerçant une influence décisive sur
plusieurs générations d’improvisateurs, le trompettiste Bill Dixon
est pourtant un musicien qui sait se faire rare, particulièrement sur
disque, ce qui rend cet enregistrement récent d’autant plus pertinent
et important. L’un de ses admirateurs, le cornettiste Rob Mazurek,
est l’instigateur et directeur d’un ensemble réunissant de nombreux
talents hantant la scène des musiques créatives de Chicago : l’Exploding
Star Orchestra. Entrances / One (de Dixon), placé en ouverture
d’un disque qui comprend deux autres longues compositions, démarre
dans un véritable foisonnement percussif dynamique (deux batteurs se
partagent ici le travail), suivi d’une entrée graduelle des autres
instrumentistes qui appuient un dialogue entre les deux trompettistes. Constellations
For Innerlight Projections (de Mazurek), en revanche, est une pièce
multimédia ambitieuse, avec projections vidéo, un récitatif, d’imposantes
masses orchestrales et un solo minimaliste typique de Dixon. Entrances
/ Two, enfin, semble reprendre la première pièce, mais en version
plus sereine, pour ensuite imposer, dans sa seconde moitié, un genre
de long bourdon sans pulsation, au-dessus duquel la trompette bouchée
de Dixon apporte un commentaire posé qui précède une longue finale
en decrescendo. Un véritable triomphe pour Dixon et Mazurek, rien de
moins ! FAH
Deux Suisses par six
1. Félix Stüssi 5 & Ray Anderson :
Baiji
Justin Time JTR 8538-2
HHHHII
2. Manuel Mengis Gruppe 6 : The Pond
hatOLOGY 659
HHHHII
On ne peut pas dire que la Suisse, malgré
ses prestigieux festivals, soit particulièrement célèbre pour ses
musiciens de jazz. En voici pourtant deux qu’il faudra surveiller
de près.
1. Le pianiste Félix Stüssi,
installé à Montréal depuis dix ans, signe avec Baiji son deuxième
album. Son quintette est rejoint sur la moitié des pièces par un invité
de marque, le tromboniste américain Ray Anderson. Les huit compositions
de Stüssi (remarquablement servies par une formation dynamique) développent
autant de concepts divers, du rapide « bebop staccato » de On The
Verge à Friifad, évocation des Alpes suisses, à Ripasso,
basé sur un rythme très latin. Mais ce sont les développements variés
de ces compositions qui font toute l’originalité du groupe : renonçant
à la traditionnelle succession de solos, Stüssi préfère renforcer
le caractère de chaque pièce avec des éléments chaque fois différents.
Anderson s’intègre parfaitement à l’ensemble et livre sur Porc-épic
un solo... épique ! Et ceux qui souffriraient de la canicule trouveront
dans la finale Whiteout Blues, évocation d’une grande tempête
de neige, le remède idéal.
2. Le trompettiste Manuel Mengis
et son sextette Gruppe 6 en sont eux aussi à leur deuxième opus, après
Into The Barn, également paru sur la célèbre étiquette helvétique
Hat en 2005. Comme compositeur, Mengis favorise la superposition de
lignes mélodiques et de rythmes complexes, une tendance évidente dès
l’ouverture Tomorrow Will Be Colder qui, à près de neuf minutes,
est la plus courte des quatre compositions de l’album. Une fois de
plus, l’ensemble est particulièrement bien rodé et homogène, tout
en laissant une place à l’originalité de chaque soliste, notamment
Mengis lui-même et Achim Escher, un saxophoniste alto incisif. La section
rythmique (Flo Stoffner, guitare électrique, Marcel Stadler, basse
électrique et Lionel Friedli, batterie) est remarquable de souplesse
et de légèreté, construisant à l’occasion des grooves subtils.
À plus de 18 minutes, Hide And Seek est la pièce de résistance
du disque, une construction de thèmes qui jaillissent tout au long
de la performance, jouant effectivement à cache-cache avec l’auditeur.
Voici un exemple parfait d’un jazz d’aujourd’hui qui sait demeurer
créatif sans tomber dans les excès.
FAH
Ab Baars Trio & Ken Vandermark:
Goofy June Bug
Wig 15
http://www.stichtingwig.com
HHHHII
Vu le passage récent de ces deux musiciens
à nos festivals et la sortie toute fraîche de cet enregistrement,
un mot s’impose sur cette nouveauté. L’un et l’autre, pour ceux
qui ne le sauraient pas, sont des saxos ténors de pointe, mais jouent
également de la clarinette, le Hollandais Baars se servant aussi du
shakuhachi. Bénéficiant de l’appui d’une rythmique de béton (Wilbert
de Joode, contrebasse, et Maarten van Duynhoven, batterie), notre tandem
de souffleurs ne se livre pas ici à un de ces duels épiques de saxos
rageurs. Bien au contraire, il y a beaucoup de subtilité et de nuances
dynamiques dans ce généreux programme musical de 11 plages étalées
sur plus de 71 minutes. Pourtant, ils savent aussi se laisser aller
par moments, par exemple dans Loosing Ground, mais cela relève
plutôt de l’exception que de la règle. Ce disque aux climats variés
réussit à maintenir l’intérêt en dépit de sa longue durée. Comme
Vandermark fait ses tours régulièrement chez nous et que son comparse
n’est pas étranger à notre ville, parions qu’on aura la chance
de les voir ensemble un de ces jours (du moins, c’est à souhaiter).
MC |
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