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La Scena Musicale - Vol. 13, No. 10

Alain et David Lefèvre : Energies Conjugees au Lanaudiere et Baie des Chaleurs

Par René Bricault / 1 juillet 2008


Issus d’une famille de quatre frères musiciens, le violoniste David et le pianiste Alain Lefèvre joueront ensemble cet été pour la seconde fois seulement en concert « officiel ». On pourrait s’étonner d’une pareille attente, tant d’un point de vue artistique que de marketing. Mais comme on le verra, ces bourreaux de travail auront dû surmonter plus d’un obstacle avant de pouvoir conjuguer leurs énergies.

Âge, géographie, relations, contraintes professionnelles : tout, en effet, aurait pu les séparer, n’eût été leur profond respect mutuel. « David a un caractère artistique admirable », de dire Alain; et David de renchérir en résumant ainsi son travail avec Alain : « Que du bonheur. » L’encouragement de leurs parents et en particulier la dévotion de leur mère semblent tout aussi partagés. En effet, même s’ils n’ont aucun souvenir d’avoir eu leur mot à dire quant au choix de leur instrument (du plus âgé au plus jeune des quatre garçons, alterneront piano et violon) et malgré le peu de disponibilité de leur père, clarinettiste et pédagogue des plus occupés, Alain et David se souviennent du soutien constant de leur mère, visiblement prête à bien des sacrifices pour l’éducation musicale de ses fils. Mais déjà à partir de leurs premières expériences en concert se dressera un premier obstacle, en l’occurrence leur différence d’âge. On le sait, une carrière de virtuose se prépare dès la tendre enfance. Une différence de sept ou huit ans comme celle des cadets Lefèvre décale à ce point les contraintes respectives qu’il devient pratiquement impensable de se rejoindre.

Certes, cela n’aura pas empêché le jeune David d’obtenir un poste de Konzertmeister dès l’âge de 23 ans, tandis qu’Alain joue déjà un peu partout autour du globe. Mais voilà justement que, tous deux enfin implantés dans le milieu professionnel, leurs choix de carrière respectifs limitent les occasions de rencontre. Concertiste, Alain passe d’une ville à l’autre. David, attaché à l’orchestre de Toulouse, puis de Monte-Carlo, travaille également avec sa conjointe de l’époque, la pianiste Anne-Lise Gastaldi.

Leur premier concert professionnel en duo, en 2003, leur aura permis de faire le bonheur de leur mère, enchantée par l’idée. Il aura aussi semé une graine dont le fruit semble enfin mûr, fruit que les frères Lefèvre tiennent à goûter à leur façon – c’est-à-dire en y mordant à pleines dents ! On le sait, Alain ne compte pas parmi les artistes « froids » et ne partage de connivence qu’avec les musiciens capables de communiquer un sentiment profond, spirituel. Impressionné par la sonorité du jeu de son frère, il lui trouve surtout la force intérieure d’avoir quelque chose à dire et d’être capable de le dire musicalement. David, pour sa part, ne cesse de s’étonner de la facilité, du naturel dont il fait l’expérience en travaillant ses partitions avec son aîné. Conscients du côté aventureux de cet essai musical, ils n’en ont pas moins l’intention d’en faire un disque en plus d’un concert… entre autres projets !

Comme le suggère leur éthique de travail, les frères Lefèvre n’ont pas choisi un répertoire de tout repos : outre la création d’une Fantaisie d’André Mathieu, dont Alain se fait l’ardent défenseur depuis plusieurs années, ils s’attaqueront aux sonates pour violon et piano de Lekeu (en sol majeur) et de Franck (la célèbre « sonate cyclique » en la majeur). Compositeurs francophones, œuvres post-romantiques complexes, programme réfléchi et cohérent. Reste la préparation, un chantier d’innombrables heures de répétition.

Alain aurait eu l’idée d’approcher David en premier lieu pour un disque, l’idée du concert ne venant qu’après coup. Heureux et fier de voir en son collègue Mario Labbé, fondateur et président de l’étiquette Analekta avec laquelle il enregistre, un homme encore capable d’un enthousiasme réel face à un nouveau projet, Alain tenait à en profiter pour inviter son frère à faire un retour en son pays natal. David espère d’ailleurs que sa collaboration avec Alain lui permettra de revenir plus souvent au Québec, auquel il demeure attaché. Reste à savoir comment se dérouleront les concerts estivaux. « On verra », se contente de dire Alain. Tout aussi stoïque, David refuse catégoriquement de jouer aux diseuses de bonne aventure, aguerri aux aléas des rendez-vous manqués, pétards mouillés et autres mauvaises surprises professionnelles.

Ces mots prudents ne réussissent pas à dissimuler la verve qui anime les deux musiciens. L’énergie dont ils font preuve émane d’une profondeur familiale plus psychologique pour Alain (leurs parents leur ayant « transmis un idéal spirituel d’abnégation »), plus physique pour David (les liens du sang favorisant la compréhension mutuelle, le phrasé musical respirant de façon naturelle – « presque biologique », selon ses termes), mais bien perçue et appréciée. David conclut en déclarant nourrir « beaucoup d’espérance dans le duo avec Alain, parce que l’énergie qu’il y a dans la formation de deux frères, c’est irremplaçable. C’est peut-être la plus belle chose qu’il puisse y avoir ».

Promu ambassadeur artistique du Festival de Lanaudière à Joliette, Alain y présentera donc le premier des deux concerts avec son frère le 7 juillet prochain (20 h, église de Berthierville), avant de faire escale au Festival international de musique de chambre de la Baie des Chaleurs le 10 juillet (Théâtre L.E.R., 19 h 30). Ce dernier sera capté et rediffusé par Espace musique (100,7 FM) le 22 juillet à 20 h. Voilà qui devrait aider les mélomanes à patienter, en attendant le retour de David (ou ses prochains disques distribués chez nous) et les nouveaux projets d’Alain : enregistrement du Concertino no 2 de Mathieu avec les London Mozart Players, animation à la radio de Radio-Canada tous les dimanches, promotion de la relève par les Auditions jeunes artistes, en plus des concerts… Une récente collaboration avec le soprano Suzie Leblanc en musique de Fauré l’aurait, de son propre aveu, assez bouleversé. Pourrait-on souhaiter la naissance d’une autre fusion d’énergies ? n


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