Les visions alternatives de Pauline Vaillancourt Par Réjean Beaucage
/ 30 avril 2007
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Il y a un bout de temps que l’on
n’a pas entendu chanter la soprano Pauline Vaillancourt à Montréal.
Depuis 2000, en fait, alors qu’elle partageait la scène avec le comédien
Jean Maheux dans L’Enfant des glaces, un électr’opéra
dont elle avait réalisé la conception et la mise en scène (musique
de Zack Settel, livret de Quevedo et de Nerval) ; c’était la neuvième
production de la compagnie lyrique de création Chants Libres, dont
la chanteuse est aussi la directrice artistique. Pour l’entendre,
il faudrait aller en Europe, où elle a ces dernières années collaboré
avec le compositeur italien Maurizio Squillante. Elle tenait le rôle
principal de son opéra expérimental The Wings of Daedalus
(Les Ailes de Dédale) en 2003 ; elle participait aussi en 2005
(avec Joëlle Léandre [contrebasse], Carol Robinson [clarinette], Marianne
Schroeder [piano] et Frances-Marie Uitti [violoncelle]) à une série
de concerts en hommage à Giacinto Scelsi (1905-1988). Elle retournera
en Italie en juillet 2007 pour travailler à un nouvel opéra de Maurizio
Squillante. Pauline Vaillancourt explique : « J’aime participer à
des créations expérimentales qui me demandent de repousser, encore,
mes limites, mais je l’ai déjà beaucoup fait et avec le type de
mise en scène que je privilégie, je me demande un peu si mon corps
arriverait encore à suivre. J’y arriverais sans doute en me concentrant
au maximum, mais je considère que je n’ai plus grand-chose à me
prouver en tant qu’interprète. Par contre, pour ce qui est de faire
évoluer d’autres interprètes dans mes propres créations, j’ai
encore beaucoup de choses à découvrir. »
Les nouvelles formes d’opéra
ont souvent, en effet, la caractéristique d’être très exigeantes
pour les interprètes. Les mises en scène de Pauline Vaillancourt visent
à faire éclater le spectacle opératique et exploitent l’instrument
des chanteurs comme on ne songerait pas à le faire dans l’opéra
traditionnel. « Le chanteur part de son corps, et ce serait fou de
ne pas se servir des différentes possibilités qu’offre cet outil.
Quand on se sert adéquatement de son corps, on peut faire des choses
extraordinaires ; c’est ce que m’a appris mon expérience d’interprète,
et c’est ce que je cherche à représenter dans l’esthétique qui
me caractérise. » Dans cette esthétique, le public n’assiste pas
à un spectacle, mais de plus en plus souvent, il est dans le spectacle.
C’était déjà le cas dans la précédente production de Chants Libres,
L’Archange (2005, musique de Louis Dufort, livret d’Alexis Nouss),
dont Pauline Vaillancourt avait assuré la conception et la mise en
scène ; l’action se déroulait sur un plan surélevé qui entourait
les spectateurs, ceux-ci devant se tourner d’un côté, puis de l’autre,
pour suivre l’action. Dans le cas de la 12e production de Chants Libres,
Alternate Visions, un opéra augmenté, l’action se déroule dans
un bar où public et personnages se confondent. « Je trouve ça très
intéressant que le public soit avec nous, précise Pauline Vaillancourt,
parce qu’il est à l’intérieur de l’histoire, par opposition
à un public qui assiste à un spectacle, avec détachement.
C’est un autre défi pour les artistes, et pour la scénographie ;
on ne fait pas dans le papier mâché, c’est vraiment un bar
high-tech. » Les développements technologiques sont fréquemment
au cœur des productions de Chants Libres, mais la directrice artistique
n’en fait pas une condition sine qua non. Ainsi, la prochaine
production de la compagnie sera un opéra-féérie signé Gilles Tremblay,
« qui écrit sa musique sur du papier », et dont l’œuvre sera jouée
par un ensemble de 26 musiciens et 17 chanteurs en chair et en os. «
Cependant, précise Pauline Vaillancourt, on est en 2007, et l’opéra
est toujours un art total, alors on serait bien fou de se passer des
outils qui existent et qui sont à notre disposition. »
Pour la réalisation de Alternate
Visions, Chants Libres s’est associée au Laboratoire DEII (pour
« Laboratoire de développement d’environnements immersifs et interactifs
») et à Hexagram (Institut de recherche/création en arts et technologies
médiatiques, né de la jonction des deux principales universités en
arts médiatiques de Montréal, Concordia et l’UQAM, dans le but d’intégrer
leurs expertises en arts médiatiques). Inutile de dire que les technologies
à l’œuvre dans cette production représenteront la fine pointe de
ce qui se fait actuellement. Il est question de caméras miniatures
accrochées à certains personnages avec retransmission en direct, de
personnages virtuels et de « costumes interactifs ».
La genèse de cette nouvelle production
remonte à 1999, alors que Chants Libres recevait la huitième édition
de la conférence internationale des compagnies de création lyrique
NewOp. Le compositeur John Oliver y avait fait entendre des extraits
de son travail en cours et Pauline Vaillancourt a été séduite principalement
par le livret de Genni Gunn. L’œuvre a beaucoup évolué par la suite,
bien entendu, à travers diverses collaborations commencées, puis avortées
(avec l’Europe notamment). Jean Décarie, de l’École des médias
de l’UQAM et chercheur à Hexagram s’est intéressé au projet et
les différents partenariats se sont mis en place. Parmi les partenaires
se trouvent aussi les galeries OBORO (Montréal) et Western Front (Vancouver),
pour un autre volet de la production : « C’est que l’opéra, précise
Vaillancourt, raconte l’histoire de personnages qui se re contrent
virtuellement à travers Internet pour se donner rendez-vous dans un
bar. La dernière représentation sera diffusée en direct par Internet
à Western Front, où se trouveront trois musiciens qui improviseront
par-dessus notre performance. » Ces musiciens s’ajouteront aux six
musiciens de l’ensemble Bradyworks, qui seront à Montréal pour interpréter
la musique de John Oliver.
Chants Libres travaille au renouvellement
de l’opéra depuis 1991 (première production : Ne blâmez jamais
les bédouins, opéra de chambre pour voix solo ; musique : Alain
Thibault, livret René-Daniel Dubois). Parmi les grandes réussites
de la compagnie, on compte Les chants du capricorne (1995, Giacinto
Scelsi), Le vampire et la nymphomane (1996, Serge Provost/Claude
Gauvreau), Yo soy la desintegración (2000, Jean Piché/Yan Muckle/Pauline
Vaillancourt), l’opéra jeune public Pacamambo (2002, Zack
Settel/Wajdi Mouawad) et L’Archange (2005). Chants Libres ne
cherche pas à servir de porte d’entrée que le public pourrait emprunter
pour ensuite se rendre à « l’autre opéra » ; Pauline Vaillancourt
précise : « Je pense que notre travail rend le public plus exigeant
en matière d’opéra, et que cela risque de forcer les grandes compagnies
à devoir faire preuve d’un peu plus de créativité dans leur programmation.
À Amsterdam, à Bruxelles, les compagnies ont compris qu’il est dans
leur intérêt de présenter des œuvres contemporaines, mais c’est
surtout au niveau des festivals que ça bouge le plus. Pour le moment,
nous prenons le risque de la création, mais nous constituons ainsi
un répertoire, et nous ne pouvons qu’espérer que de grandes compagnies
seront éventuellement intéressées à reprendre certaines de ces œuvres.
»
Afin de poursuivre son incessant
travail de développement de nouvelles formes d’opéra, Pauline Vaillancourt
doit s’entourer d’interprètes capables de certaines prouesses vocales
qui ne sont pas forcément enseignées dans les institutions d’où
sortent habituellement les chanteurs. En effet, la formation des chanteurs
est restée très traditionnelle, et c’est pourquoi Pauline Vaillancourt
met sur pied depuis quelques années des ateliers de formation professionnelle
pour chanteurs, afin de transmettre les différentes techniques qui
sont souvent utilisées dans les nouvelles formes d’opéra. Mais l’ingrédient
magique pour former une voix à de nouvelles techniques de chant, c’est
avant tout l’intérêt du chanteur pour ce type de répertoire. «
Il faut de l’amour, de la curiosité et de la persévérance, pour
avoir envie de travailler plus. Forcément, parce qu’il faut apprendre
de nouvelles partitions qui sont souvent difficiles, il faut pouvoir
faire de la scène sans toujours voir le chef, en chantant des airs
plus difficiles techniquement... Alors il faut des gens très disponibles.
C’est pour répondre à ce besoin d’un complément de formation
que nous offrons des ateliers où l’accent est mis sur le travail
du corps et sur le
mouvement, sur l’exploration de l’extended voice, et sur
la découverte des nouvelles technologies. La prochaine session de formation
se tiendra du 28 mai au 1er juin à l’Atelier lyrique de l’Opéra
de Montréal (info : 514.841.2642 ou creation@chantslibres.org). n
Alternate Visions, opéra augmenté,
pour 7 chanteurs et 6 musiciens.
Musique : John Oliver – Livret
: Genni Gunn – Mise en scène : Pauline Vaillancourt
Avec Rinde Eckert, Jacinthe Thibault,
Patrick Mallette, Éthel Guéret, Ghislaine Deschambault, Claudine Ledoux,
Jean-François Daignault et les musiciens de l’ensemble Bradyworks
sous la direction de Cristian Gort. Visuel et interactivité :
Jean Décarie – Scénographie : Pascal Dufaux – Costumes
: Liz Vandal – Textiles interactifs : Joanna Berzowska
– Éclairages : Jean Gervais – Maquillages : Jacques-Lee
Pelletier
Les 1er, 2, 3, 4, et 5 mai, 20 h 00,
à L'Usine C à Montréal
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