Trust AV10 Par Réjean Beaucage
/ 31 mars 2007
Discussion à la sortie d’un
concert de musique électroacoustique : avec un ancien collègue de
la radio CIBL-FM, nous nous remémorons l’époque où l’on utilisait
une lame de rasoir pour extraire de la bande magnétique les petites
imperfections sonores qui l’encombraient, avant d’assembler les
deux bouts de bande magnétique restants avec du papier collant. C’était
dans les années 80. Je conserve quelques-unes de ces bobines, qui accumulent
la poussière au fond d’une étagère, résolument inutiles et irrémédiablement
muettes. Les magnétophones servant à lire nos petits chefs-d’œuvre
de montage sont pratiquement disparus... Les années 80, c’était
déjà plus de 100 ans après l’invention du phonographe par Edison,
en 1877. Le disque en vinyle a quand même eu une vie plus longue, et
plus mouvementée, que la bande magnétique, mais il y a fort à parier
que les plus jeunes lecteurs de cet article, à moins qu’ils aient
un goût pour l’art des DJ, ne savent que très vaguement à quoi
je fait référence en parlant de 33 tours, de 45 tours et de 78 tours...
La préservation du patrimoine
sonore n’est pas que l’affaire de quelques conservateurs amateurs
entretenant une forme de nostalgie pour une époque révolue ; écouter
Guillaume Apollinaire récitant Le
Pont Mirabeau (1913) où Gustav Mahler jouant au piano des extraits
de ses symphonies (1905), c’est avoir un accès privilégié à l’Histoire
et il y a dans cette proximité avec le sujet disparu quelque chose
de parfaitement miraculeux. Évidemment, l’Histoire, ce n’est pas
que celle des autres, et le Canada figure en bonne place dans celle
de l’enregistrement sonore. Emile Berliner, inventeur en 1881 du gramophone,
installait en effet ses presses à disque en 1899 à Montréal1.
Comme les livres, les différents supports sonores (et visuels) doivent
être conservés, une tâche énorme si l’on imagine le nombre astronomique
de productions de toutes sortes, ne serait-ce qu’au Canada.
Le Trust pour la préservation
de l’audiovisuel au Canada célèbre cette année son 10e anniversaire.
Ses objectifs principaux sont la sensibilisation à l’importance de
préserver le legs culturel que sont les productions audiovisuelles
et de travailler à rendre ces dernières accessibles au public. Le
Trust AV, n’est que la plus récente incarnation d’une lignée d’organismes
qui ont embrassé la cause de la préservation des documents sonores
et/ou visuels. Voici quelques dates qui jalonnent ce parcours :
-Établissement de la National Film Society
of Canada devenue en 1950 L’Institut canadien du film (ICF).
-1963
Fondation de Connaissance du cinéma; qui deviendra en 1971 La Cinémathèque
québécoise.
-1989
Fondation à Montréal de La Phonothèque québécoise/Musée du
son, un organisme à but non-lucratif reconnu comme organisme national
en matière de patrimoine par le ministère de la Culture et des Communications
du Québec.
-1996 Fondation de l’Alliance
pour le patrimoine audiovisuel canadien, devenu le Trust pour la
préservation de l’audiovisul
au Canada.
Le Trust AV a fondé les
Œuvres magistrales, qui tiennent chaque année depuis 2000 un gala
au cours duquel sont dévoilés des classiques canadiens choisis dans
les archives des industries du film, de la radio, de la télévision
et de la musique. Pour marquer son 10e anniversaire, le Trust AV a publié
un CD double qui constitue la première anthologie des œuvres sonores
ayant accédé au statut d’œuvre magistrale (voir encadré). Il est
à noter que les institutions pédagogiques peuvent se procurer cette
anthologie sans frais (www.avtrust.ca). D’autres organismes, animés
par de véritables mordus de la conservation et de la restauration du
patrimoine sonore, participent aussi à rendre accessibles les artefacts
témoignant du travail des pionniers du son. On peut penser à une compagnie
comme Disques XXI dont, par exemple, le coffret de 10 disques Une
simple mélodie, paru en début d’année, est sans doute la plus
complète anthologie qui ait été consacrée jusqu’à maintenant
à la chanson québécoise (1900-1960).
Il en existe d’autres,
et le monde de la réédition de documents d’archives semble se porter
à merveille, comme on peut le constater régulièrement dans nos pages
de recensions de disques ! Heureusement, parce que la préservation
du patrimoine, c’est l’affaire de tous.
1 On peut visiter le Musée
des ondes Emile Berliner, logé au 1050, rue Lacasse, à Montréal (www.berliner.montreal.museum).
Les personnes intéressées par le sujet liront avec intérêt L’histoire
de l’enregistrement sonore au Québec et dans le monde ; 1878-1950,
de Robert Thérien (Les Presse de l’Université Laval, 2003) ou «
Un historique des formats de reproduction », de Pierre Filteau, publié
dans la revue Circuit (vol. 16, no 3 : À musique contemporaine,
supports contemporains ?, Les Presses de l’Université de Montréal,
2006). On peut aussi écouter en ligne Le gramophone virtuel
de Bibliothèque et Archives Canada
(www.collectionscanada.ca/4/4/m2-120-f.html).
MasterWorks/Oeuvres magistrales
Gala Records, Gal-107 (2 CD : 76 min 31
s)
Une page de notre histoire
musicale à (re) découvrir ! Les plages consacrées à la musique classique
offrent une sélection d’œuvres très variée. Aux intonations lyriques
de Henry Burr avec sa version de « When You and I Were Young, Maggie
» (avec une qualité sonore acceptable considérant que l’enregistrement,
le plus ancien de la collection, date de 1923), à l’interprétation,
par le ténor québécois Raoul Jobin, de « La fleur que tu m’avais
jetée », une des plus belles pages de l’opéra Carmen. À
écouter également, la voix magnifique de Maureen Forrester dans le
chant « Urlicht » de la Symphonie nº 2 de Mahler, sous la
direction du légendaire Bruno Walter. Un moment sublime ! La pièce
la plus récente de ce CD est le « Lied der Lulu » chanté par Teresa
Stratas en 1979, dans une production parisienne de l’opéra d’Alban
Berg, dirigé par Pierre Boulez. La collection ne serait, bien sûr,
pas complète sans cette version de référence des Variations Goldberg
par Glenn Gould.
On écoutera avec autant
de plaisir le CD regroupant les musiques populaire et jazz, pour Moe
Koffman’s avec sa merveilleuse version de Swinging Shepherd’s
Blue ou In the Wee Small Hours of the Morning, magnifiquement
joué par Oscar Peterson.
Hélas, de grands noms sont
absents ; pourtant, la durée de chacun des deux CD est de moins quarante
minutes.
L’anthologie fait une large
place à la scène musicale québécoise. Il s’agit bien sûr
d’une constatation et non d’une critique. Le Canada anglais n’a
pas toujours reconnu la contribution des artistes québécois, comme
La Bolduc, à l’édification de la musique canadienne. Enfin, la sortie
de ce disque devrait intéresser tous ceux qui veulent découvrir ou
approfondir leur connaissance de notre patrimoine musical.
Joseph K. So
Traduction
: Christine Asselin |
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