En prériphérie... de John Adams Par Réjean Beaucage
/ 31 mars 2007
Le 21e siècle encore naissant
pourrait être celui d’une véritable reconnaissance de la musique
étatsunienne. Souvent taxé de facile, voire simpliste, le répertoire
de nos voisins du sud est surtout, très souvent, iconoclaste, original,
hors-norme et, pour toutes ces raisons, rafraîchissant. Le fait que
Kent Nagano ait ouvert sa première saison à la tête de l’OSM avec
une œuvre de Charles Ives peut laisser espérer une ouverture en ce
sens. Que le même chef (lui-même natif des Étas-Unis, ne l’oublions
pas) ait aussi récolté un Grammy award en 1998 pour l’enregistrement
d’une pièce de John Adams (El Dorado) est aussi un élément
positif dans ce dossier. L’abondance d’enregistrements disponibles
(il faudrait une chronique mensuelle seulement pour Philip Glass...),
tant historiques que récents, joue aussi en faveur d’une réhabilitation
d’un répertoire sur lequel beaucoup d’observateurs ont tendance
à lever le nez. Profitons du 60 e anniversaire de John Adams (en février
dernier) pour lever un tout petit coin du voile.
The Dharma at Big Sur /
My Father Knew Charles Ives
Nonesuch, 79857 (53 min 32 s)
The Dharma at Big Sur est
une longue envolée en forme d’improvisation où le jeu de Tracy Silverman
sur un violon électrique est largement inspiré de celui du grand virtuose
indien L. Shankar (qui joue aussi, incidemment, sur un violon électrique).
Mais ici, la longue cadence du violoniste est enrobée, d’abord, dans
une brume microtonale (coup de chapeau à Lou Harrison) distillée par
le BBC Symphony Orchestra sous la direction du compositeur. Bientôt
les cordes de l’orchestre prennent le relais de la mélodie (que le
violoniste qualifie de « faux raga ») et l’enrobage se complexifie
jusqu’à rappeler dans le deuxième mouvement une version extatique
du In C de Terry Riley.
Lorsque John Adams dit que son
père (un homme d’affaires et clarinettiste amateur qui fut le premier
professeur de son fils) connaissait Charles Ives, c’est faux, mais
il est sûr que lui le connaît très bien (il compte d’ailleurs parmi
les directeurs de la Charles Ives Society). Il truffe cet hommage en
trois parties d’évocations de l’œuvre du vieux maverick
(atmosphère saturée d’angoisse et déchirée par la trompette comme
dans The Unanswered Question, allusions au répertoire des marching
bands, carambolages rythmiques, etc.). Le tout n’est pas simplement
plaqué sans ordre pour « faire comme », mais, au contraire, savamment
disposé pour un hommage qui n’oublie pas d’être personnel.
Adams : Violion Concerto
(+ Corigliano, Chaconne from The Red Violin ; Enescu, Romanian Rhapsody
No. 1 ; Waxman, Tristan and Isolde Fantasia)
Chloë Hanslip, violin ; Charles Owen,
piano ; Royal Philharmonic Orchestra / Leonard Slarkin
Naxos, 8.559302 (63 min 46 s)
La violoniste britannique Chloë Hanslip
n’a pas encore 20 ans, et le disque que voici, son troisième, l’établit
déjà comme l’une des grandes violonistes à surveiller. Ce programme
américain (l’œuvre d’Enescu est un arrangement de Franz Waxman,
un compositeur d’origine polonaise émigré aux États-Unis durant
la Seconde Guerre mondiale) lui offre l’occasion de démontrer une
virtuosité éclatante, doublée d’un goût très sûr pour la programmation
! La Chaconne (1997) de Corigliano, basée sur sa musique pour
le film de François Girard Le violon rouge, est déjà au répertoire
de bon nombre de solistes et l’une des œuvres les mieux connues du
compositeur (il l’a d’ailleurs transformée en concerto en 2003).
La soliste et le RPO en donnent une très belle interprétation. La
Rhapsody d’Enescu est l’une de ces pièces courtes et vives
que l’on imagine très bien en rappel à la fin d’un concert réussi,
quand tout le monde est bien réchauffé ! Quant à la Fantasia
de Waxman, c’est presque « Tristan et Isolde à Hollywood
», ce qui permet à la soliste d’y aller à souhait dans le registre
« expressif ». Enfin, le concerto d’Adams. Dans le premier mouvement,
l’orchestre déploie une spirale ascentionnelle qui emporte la soliste
dans les multiples développements d’une ligne mélodique qui semble
sans fin. Mais l’orchestre s’épuise et le violon sombre dans une
douce rêverie. C’est la chaconne du deuxième mouvement, où les
rêvassements de la soliste s’appuient sur une version zen de la basse
du canon de Pachelbel, ce qui permet à tous de reprendre des forces
avant le mouvement final. Celui-ci emprunte certains traits au Stravinski
de L’histoire du soldat, et un peu de la véhémence du
Sacre, pour une finale d’une vélocité redoutable. Une version
qui n’a rien à envier à celle de Gidon Kremer (London Symphony Orchestra
/ Kent Nagano ; Nonesuch, 79360).
Thomas May
The John Adams Reader
Essential Writings on an American Composer
Amadeus Press, 455 p., 2006
Un magnifique livre pour faire le tour
de l’univers du compositeur (comme en produit beaucoup Amadeus Press).
Entrevues avec Adams et certains de ses collaborateurs, notes de programme,
notes sur les enregistrements, critiques de concerts, liste complète
des œuvres, tout y est. On ne peut espérer mieux pour cerner la personnalité
d’un compositeur, à moins de se procurer l’ensemble de sa discographie.
Bien sûr, il s’agit d’un travail qui sera à compléter, parce
qu’à 60 ans, Adams n’a pas écrit sa dernière note, et on lui
en souhaite encore beaucoup, mais c’est un livre de référence auquel,
à n’en pas douter, on reviendra souvent.
À noter :
Walter Boudreau dirigera l’Orchestre
symphonique de Montréal dans une interprétation de Fearful Symmetries
(1988) dans le cadre du concert de clôture du festival international
Montréal/Nouvelles Musiques. L’orchestre sera accompagné par la
projection sur grand écran d’un film-montage de Jérôme Bosc,
Buster, conçu précisément pour cette œuvre de John Adams. Aussi
au programme : Alighieri (2003), de Vincent-Olivier Gagnon (avec
le quatuor de saxophones Quasar) et La Vie d’un héros (Tombeau
de Vivier) (1999, rev. 2002), de Walter Boudreau, avec la violoniste
Noémi Racine Gaudreault. Le 8 mars, 20 h, salle Pollack. www.festivalmnm.ca |
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