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La Scena Musicale - Vol. 12, No. 6 mars 2007

Edgar Fruitier : le mélomane

Par Philippe Gervais / 31 mars 2007


L’idée est sympathique autant qu’originale : offrir une anthologie musicale qui ne soit pas conçue autour d’un compositeur, d’un interprète ou du catalogue d’une maison de disque, mais qui reflète plutôt les goûts d’un mélomane très connu et apprécié du public, Edgar Fruitier. Voici donc Les Grands Classiques d’Edgar, plus de sept heures de musique choisie par lui, ce qui est à la fois beaucoup et bien peu, comme il se plaît à le souligner. Le plus assidu des auditeurs n’aura pas assez d’une vie pour explorer toutes les facettes de la musique dite « classique »; Edgar Fruitier le sait bien, et c’est en toute modestie qu’il nous a présenté son anthologie, conscient de son caractère forcément incomplet, mais souhaitant qu’elle attise ainsi, au moins chez quelques-uns, le désir d’aller plus loin et de devenir à leur tour des mélomanes avertis.

Comment est né ce projet de disques ?

Beaucoup de gens me demandaient ce qu’ils devraient écouter pour découvrir la musique, et je ne savais pas trop quoi leur répondre, puisque chacun a ses goûts et sa personnalité… Je cherchais donc
une solution quand la compagnie XXI-21 m’a approché avec une idée qui me convenait : réaliser une compilation suffisamment vaste pour que chacun puisse y trouver au moins quelques pièces qui lui plaisent et qui lui servent de porte d’entrée dans le monde de la musique classique.

Il semble que l’accueil du public soit déjà très bon !

J’en suis moi-même un peu surpris, et surtout très heureux ! Cela montre qu’il y a vraiment chez les gens une soif de découvrir ce répertoire.

Voilà qui vient couronner le travail de vulgarisation que vous menez depuis longtemps …

Si vous voulez, mais je n’ai pas pensé à moi. J’ai simplement cherché à être utile à ceux qui, malheureusement, passent à côté de la musique faute de voies d’accès. Toutes ces oeuvres, je les ai sur disques, en version intégrale, et une anthologie ne m’était pas vraiment nécessaire. Seulement, nous avons le devoir de partager nos passions et nos enthousiasmes ! En ce sens, je suis un peu pédagogue (et même proxénète !), mais cela vient en fait de ces moments de joie profonde que la musique m’a donnés, et que je souhaiterais faire vivre à d’autres.

Vous aimez les découvertes, les oeuvres rares, et pourtant vous avez aussi réuni beaucoup de pièces célèbres…

Oui, j’ai voulu me concentrer sur les plus grands compositeurs, et choisir des oeuvres mélodiques, faciles d’accès, celles qui avaient le plus de chance de plaire aux néophytes. Je ne leur demande pas un grand effort, mais je pense leur fournir un moyen d’aborder un jour des oeuvres plus difficiles, dans lesquelles on n’entre pas du premier coup, comme le Tristan et Iseult de Wagner, qui fait plus de quatre heures. Ceci dit, la compilation s’adresse aussi à ceux qui connaissent déjà bien la musique mais qui manquent de temps pour collectionner des disques et écouter de longues pièces.

Vous auriez souhaité que votre anthologie soit encore plus étoffée…

Bien sûr ! A l’origine, je voulais retenir beaucoup d’autres compositeurs et produire une quinzaine de disques, mais c’était impossible… Je regrette énormément d’avoir renoncé aux grands maîtres de la Renaissance et du XVIIe, comme Gesualdo, Lassus, Monteverdi… Pour la musique du XVIIIe siècle, les enregistrements présentés ne sont pas à la fine pointe des recherches musicologiques, mais je pense qu’ils ont leur charme et sont encore tout à fait valables, même si on ne joue plus le répertoire baroque de cette façon aujourd’hui.

Est-ce que la musique classique est suffisamment présente dans les médias, selon vous ?

En un sens, je suis mal placé pour répondre, parce que je n’écoute que rarement la radio et la télévision ! Je ne veux donc pas me prononcer de façon catégorique, mais j’aimerais revoir à Radio-Canada une émission comme Rayon musique, où des invités pouvaient, pendant deux heures, commenter les nouveautés du disque classique et faire entendre de larges extraits, ce qui rendait service à bien des gens en leur donnant des idées précises sur ce qu’ils devaient acheter. En attendant, mon ami Joël Le Bigot, qui aime beaucoup la musique, tient à ce que je continue à faire une chronique d’actualité discographique à son émission sur la première chaîne, le samedi matin.

Une chronique qui se limite malheureusement à cinq minutes…

Huit minutes, parce que je triche, ce qui amuse bien tout le monde… ! Mais c’est peu, j’en conviens, d’autant plus que Joël Le Bigot me faisait remarquer que je suis hélas le seul, ou presque, à venir critiquer les nouveautés du disque classique à la radio ! Au moins, j’ai carte blanche ; au début, pour ne pas dédoubler Rayon musique qui existait encore, on voulait que je traite seulement des disques produits chez nous, mais j’ai refusé, parce que c’est aussi en connaissant ce qui se fait ailleurs qu’on constate la qualité de nos interprètes.

Êtes-vous inquiet pour l’avenir de la musique classique ?

Je pense que nous vivons aujourd’hui, en quelque sorte, un nouveau Moyen Âge, mais qui amènera peut-être une Renaissance : tel un Phénix, la musique classique pourrait renaître de ses cendres en puisant dans sa tradition, en développant une pensée nouvelle qui se baserait sur une syntaxe ancienne, ou l’inverse. Il est parfois difficile d’évaluer les compositeurs contemporains parce que nous manquons de recul et qu’ils ne sont pas beaucoup diffusés, mais je pense qu’il se fait déjà un travail en ce sens, par exemple chez Walter Boudreau.

La musique classique rebute parfois parce qu’elle passe pour être trop « sérieuse »

La musique prend toutes les couleurs du tempérament de l’homme puisqu’elle est à son image. Elle reflète le travail sérieux des compositeurs, mais aussi leur personnalité et leur caractère, qui ont pu varier beaucoup ! C’est l’émotion qui compte à mes yeux, et je n’aime pas parler de « musique sérieuse », comme j’ai quelques réserves personnelles à employer l’adjectif « classique », qui aujourd’hui veut dire tant de choses à la fois qu’il ne veut plus rien dire. La musique classique, je l’appelle la musique que j’aime, tout simplement ! n


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