Edgar Fruitier : le mélomane Par Philippe Gervais
/ 31 mars 2007
L’idée est sympathique autant
qu’originale : offrir une anthologie musicale qui ne soit pas conçue
autour d’un compositeur, d’un interprète ou du catalogue d’une
maison de disque, mais qui reflète plutôt les goûts d’un mélomane
très connu et apprécié du public, Edgar Fruitier. Voici donc Les
Grands Classiques d’Edgar, plus de sept heures de musique choisie
par lui, ce qui est à la fois beaucoup et bien peu, comme il se plaît
à le souligner. Le plus assidu des auditeurs n’aura pas assez d’une
vie pour explorer toutes les facettes de la musique dite « classique
»; Edgar Fruitier le sait bien, et c’est en toute modestie qu’il
nous a présenté son anthologie, conscient de son caractère forcément
incomplet, mais souhaitant qu’elle attise ainsi, au moins chez quelques-uns,
le désir d’aller plus loin et de devenir à leur tour des mélomanes
avertis.
Comment est né ce projet de disques
?
Beaucoup de gens me demandaient ce qu’ils
devraient écouter pour découvrir la musique, et je ne savais pas trop
quoi leur répondre, puisque chacun a ses goûts et sa personnalité…
Je cherchais donc
une solution quand la compagnie XXI-21 m’a approché avec une idée
qui me convenait : réaliser une compilation suffisamment vaste pour
que chacun puisse y trouver au moins quelques pièces qui lui plaisent
et qui lui servent de porte d’entrée dans le monde de la musique
classique.
Il semble que l’accueil du public
soit déjà très bon !
J’en suis moi-même un peu surpris,
et surtout très heureux ! Cela montre qu’il y a vraiment chez les
gens une soif de découvrir ce répertoire.
Voilà qui vient couronner le travail
de vulgarisation que vous menez depuis longtemps
…
Si vous voulez, mais je n’ai pas pensé
à moi. J’ai simplement cherché à être utile à ceux qui, malheureusement,
passent à côté de la musique faute de voies d’accès. Toutes ces
oeuvres, je les ai sur disques, en version intégrale, et une anthologie
ne m’était pas vraiment nécessaire. Seulement, nous avons le devoir
de partager nos passions et nos enthousiasmes ! En ce sens, je suis
un peu pédagogue (et même proxénète !), mais cela vient en fait
de ces moments de joie profonde que la musique m’a donnés, et que
je souhaiterais faire vivre à d’autres.
Vous aimez les découvertes, les oeuvres
rares, et pourtant vous avez aussi réuni beaucoup de pièces célèbres…
Oui, j’ai voulu me concentrer sur les
plus grands compositeurs, et choisir des oeuvres mélodiques, faciles
d’accès, celles qui avaient le plus de chance de plaire aux néophytes.
Je ne leur demande pas un grand effort, mais je pense leur fournir un
moyen d’aborder un jour des oeuvres plus difficiles, dans lesquelles
on n’entre pas du premier coup, comme le Tristan et Iseult
de Wagner, qui fait plus de quatre heures. Ceci dit, la compilation
s’adresse aussi à ceux qui connaissent déjà bien la musique mais
qui manquent de temps pour collectionner des disques et écouter de
longues pièces.
Vous auriez souhaité que votre anthologie
soit encore plus étoffée…
Bien sûr ! A l’origine, je voulais
retenir beaucoup d’autres compositeurs et produire une quinzaine de
disques, mais c’était impossible… Je regrette énormément d’avoir
renoncé aux grands maîtres de la Renaissance et du XVIIe, comme Gesualdo,
Lassus, Monteverdi… Pour la musique du XVIIIe siècle, les enregistrements
présentés ne sont pas à la fine pointe des recherches musicologiques,
mais je pense qu’ils ont leur charme et sont encore tout à fait valables,
même si on ne joue plus le répertoire baroque de cette façon aujourd’hui.
Est-ce que la musique classique est
suffisamment présente dans les médias, selon vous ?
En un sens, je suis mal placé pour répondre,
parce que je n’écoute que rarement la radio et la télévision !
Je ne veux donc pas me prononcer de façon catégorique, mais j’aimerais
revoir à Radio-Canada une émission comme Rayon musique, où
des invités pouvaient, pendant deux heures, commenter les nouveautés
du disque classique et faire entendre de larges extraits, ce qui rendait
service à bien des gens en leur donnant des idées précises sur ce
qu’ils devaient acheter. En attendant, mon ami Joël Le Bigot, qui
aime beaucoup la musique, tient à ce que je continue à faire une chronique
d’actualité discographique à son émission sur la première chaîne,
le samedi matin.
Une chronique qui se limite malheureusement
à cinq minutes…
Huit minutes, parce que je triche, ce
qui amuse bien tout le monde… ! Mais c’est peu, j’en conviens,
d’autant plus que Joël Le Bigot me faisait remarquer que je suis
hélas le seul, ou presque, à venir critiquer les nouveautés du disque
classique à la radio ! Au moins, j’ai carte blanche ; au début,
pour ne pas dédoubler Rayon musique qui existait encore, on
voulait que je traite seulement des disques produits chez nous, mais
j’ai refusé, parce que c’est aussi en connaissant ce qui se fait
ailleurs qu’on constate la qualité de nos interprètes.
Êtes-vous inquiet pour l’avenir
de la musique classique ?
Je pense que nous vivons aujourd’hui,
en quelque sorte, un nouveau Moyen Âge, mais qui amènera peut-être
une Renaissance : tel un Phénix, la musique classique pourrait renaître
de ses cendres en puisant dans sa tradition, en développant une pensée
nouvelle qui se baserait sur une syntaxe ancienne, ou l’inverse. Il
est parfois difficile d’évaluer les compositeurs contemporains parce
que nous manquons de recul et qu’ils ne sont pas beaucoup diffusés,
mais je pense qu’il se fait déjà un travail en ce sens, par exemple
chez Walter Boudreau.
La musique classique rebute parfois
parce qu’elle passe pour être trop
« sérieuse »…
La musique prend toutes les couleurs
du tempérament de l’homme puisqu’elle est à son image. Elle reflète
le travail sérieux des compositeurs, mais aussi leur personnalité
et leur caractère, qui ont pu varier beaucoup ! C’est l’émotion
qui compte à mes yeux, et je n’aime pas parler de « musique sérieuse
», comme j’ai quelques réserves personnelles à employer l’adjectif
« classique », qui aujourd’hui veut dire tant de choses à la fois
qu’il ne veut plus rien dire. La musique classique, je l’appelle
la musique que j’aime, tout simplement ! n |
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