Aline Kutan : Née pour chanter Par Wah Keung Chan
/ 1 février 2007
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Lorsque la soprano canadienne d’origine
arménienne Aline Kutan montera sur la scène de la salle Wilfrid-Pelletier
dans le rôle-titre de Lakmé de l’Opéra de Montréal en février,
le cercle sera bouclé. Aline Kutan a fait ses débuts professionnels
à l’opéra dans ce rôle à l’Arizona Opera en 1996. C’est également
dans le rôle de Lakmé qu’elle a obtenu son plus grand triomphe international
il y a cinq ans, lorsqu’elle a remplacé une Sumi Jo souffrante au
Michigan Opera Theatre, donnant six représentations en neuf jours et
captant l’attention des médias. Aujourd’hui, sa voix claire, chaude
et flexible en font indubitablement la première soprano colorature
au Canada.
Pour réussir comme colorature, il faut
posséder ce genre d’agilité et de précision qu’exigent des rôles
comme la Reine de la Nuit de Mozart ou Zerbinetta dans Ariadne auf
Naxos de Richard Strauss. Une tessiture haute est souvent considérée
comme un talent naturel. «J’ai eu une voix claire très tôt», dit
la chanteuse. Lorsque la famille Kutan a immigré au Canada de la Turquie
alors qu’Aline avait dix ans, elle a pris des leçons de piano, chanté
dans des chorales. Elle a commencé sa formation vocale à l’âge
de onze ans avec le ténor David Meek, qui lui a enseigné les principes
de la respiration et à chanter dans le masque. Selon certains, ce type
de formation serait trop avancé pour une élève aussi jeune, mais
Aline Kutan soutient le contraire. «Mon deuxième professeur, Louise
André, m’a expliqué que lorsque les jeunes filles atteignent la
puberté, elles sont prêtes à chanter. Cela m’est arrivé à l’âge
de 10 ans.» À 14 ans, Aline Kutan étudiait le rôle d’Olympia;
à 16 ans, elle abordait celui de Violetta.
S’appuyant sur sa propre expérience,
Aline Kutan estime que les enfant peuvent parfaitement trouver un équilibre
entre les activités parascolaires et les études. «La musique est
excellente pour les enfants à l’école, dit-elle. Je ne pense pas
que cela les prive de quoi que ce soit. J’ai toujours eu d’excellentes
notes.» Lorsque vint le moment d’aller à l’université, elle dut
faire un choix difficile. «Je voulais étudier en même temps en sciences
et en arts, mais mon père jugeait que c’était trop. Il m’a dit
de suivre mon cœur. Si ça ne marchait pas, alors je pourrais faire
autre chose.» Après deux ans en musique à l’Université de la Colombie-Britannique,
elle s’est inscrite à l’Université Laval pour étudier avec la
réputée Louise André, qui l’a orientée plutôt vers le répertoire
de la colorature. «J’ai découvert un nouvel univers de sons allant
jusqu’aux mi et do suraigus. Le point de vue d’une femme concernant
la respiration et le placement était différent. Nous avons travaillé
davantage la résonance dans le masque et cela m’a aidée à aller
plus haut dans la voix de tête.»
Après l’obtention de son diplôme,
Aline Kutan a fait partie de la troupe de tournée de Phantom of
the Opera durant deux ans comme doublure du rôle de Carlotta et
chanteuse dans les chœurs. «Ce fut une expérience formidable pour
apprendre à maîtriser la voix et à garder la forme pour les numéros
de danse. Nous donnions huit représentations par semaine. J’ai compris
alors que je pouvais faire n’importe quoi, même chanter quand j’étais
fatiguée ou malade.» Elle s’est adaptée aux micros «en chantant
dans la tête plus que dans le corps. Il y avait beaucoup de prononciation
pour articuler les paroles. La voix est toujours acoustique, mais vous
faites plus attention aux consonnes, sans avoir à élargir la ligne
vocale».
Les deux années qui ont suivi, après
Phantom, ont été difficiles pour Aline Kutan, puisqu’elle s’est
retrouvée sans professeur. «Louise André a été atteinte d’Alzheimer
et cela m’a vraiment déprimée, elle était un grand professeur de
chant.» Elle a alors décidé de perfectionner et faire siennes les
deux techniques quelque peu opposées apprises de ses professeurs. Elle
a toutefois connu un revers en 1994: «Au concours régional du Met,
j’étais la première à chanter et j’ai été affreuse.» Écoutant
une autre chanteuse faire mieux dans le même répertoire, elle a douté
de son choix de carrière. Une classe de maître à l’été avec Ileana
Cotrubas l’a aidée à mettre plus d’émotion dans son chant. Après
son mariage, Aline Kutan remporta une série de concours en 1994-1995,
notamment le concours de l’OSM, le concours Mozart de la COC et le
concours du Metropolitan Opera qui lui ouvrit les portes de Lakmé
à l’Arizona Opera.
«Lakmé est un rôle de bel canto
au sens français. À part l’air des clochettes, c’est un rôle
plutôt lyrique.» Pour Aline Kutan, Lakmé raconte une histoire
d’amour toujours pertinente de nos jours. «Je pense à la guerre
en Iraq, je me dis que l’amour peut jeter des ponts entre deux cultures
qui se détestent. L’amour nous fait faire des choses que nous pensions
au-dessus de nos forces. Je ne croquerai jamais une fleur de datura
pour me donner la mort, mais je ferais beaucoup de sacrifices pour ma
fille et mon mari.»
Avant sa grossesse, Aline Kutan passait
normalement les deux tiers de l’année loin de sa maison de Pointe-Claire,
se produisant à l’étranger et surtout en Europe. Durant sa grossesse,
devant temporairement réduire le rythme, elle a trouvé du temps pour
enseigner. «Cela m’a aidée à confirmer mes idées et j’ai appris
à utiliser des images différentes pour chaque élève», dit-elle.
Son approche est axée sur le naturel: «Il devrait y avoir peu de raideur
ou de tension dans le corps, sauf dans le souffle; l’air doit pouvoir
circuler dans le corps, être utilisé de façon efficace; le son doit
sortir de la gorge et vibrer dans les cavités de résonance; il faut
chanter les paroles comme dans la langue parlée, ne jamais compenser
avec la mâchoire.»
La Lakmé de Montréal sera la sixième
d’Aline Kutan et marquera son retour sur scène après la naissance
de son premier enfant, sa fille Nadine, il y a cinq mois. Elle a continué
à chanter tout au long de sa grossesse, même si, en raison des déplacements,
elle a dû annuler des engagements à La Scala, au Japon et aux Canaries.
«Au début, j’étais très fatiguée physiquement. À Lille, dans
La Flûte enchantée, je devais porter une robe très lourde. Vocalement,
j’ai senti mon corps changer. Mes aigus étaient un peu moins sûrs,
mais le souffle était merveilleux, surtout dans les sixième et septième
mois.» Dans ses cinquième et septième mois de grossesse, elle a enregistré
deux disques récents de l’étiquette Analekta qui montrent une belle
couleur vocale. Elle avoue que sa prestation, au septième mois de sa
grossesse, à l’inauguration de la nouvelle salle de la Canadian Opera
Company, ne fut pas sa meilleure. «Une fois que j’ai accouché, j’ai
essayé de chanter et tout était là, intact.» Elle s’est accordé
trois mois de congé avant de retravailler sa voix. «Chaque année,
j’arrête de chanter pendant deux ou trois semaines, pour me reposer
et me débarrasser des mauvaises habitudes. Il me faut dix jours pour
déconstruire ma voix puis la reconstruire et, en réalité, j’adore
ce processus.»
Même si elle est actuellement la meilleure
colorature canadienne, Aline Kutan demeure une femme débordante d’énergie,
chaleureuse et accessible, loin de la diva poussée par une machine
de relations publiques. En personne, elle dégage une simplicité rafraîchissante,
prête autant à partager sa recette santé d’ignames qu’à parler
métier. À l’opéra, le rôle avec lequel elle se sent le plus d’affinités
est la Constanze de L’Enlèvement au sérail de Mozart. Elle
vénère Joan Sutherland pour sa voix merveilleuse, mais reconnaît
que la prononciation et les tempos de la grande soprano australienne
laissaient à désirer. L’artiste Kutan est terre à terre. À l’aise
tant à l’opéra qu’en récital, elle souhaite devenir une artiste
plus complète. Elle se sent prête pour le répertoire colorature plus
lyrique, par exemple les rôles de Gilda dans le Rigoletto de
Verdi ou de Lucia di Lammermoor de Donizetti. Souhaitons que les directeurs
d’opéra l’entendent.
[Traduction: Alain Cavenne]
Questions
Qu’est-ce que vous lisez ces jours-ci?
Holy Cow: An Indian Adventure
– Sarah Macdonald
The Girlfriend’s Guide to Surviving
the 1st Year of Motherhood – Vicki Lovine
Quelle musique écoutez-vous à la
maison?
De la musique classique, du jazz, du
pop et les Beatles (mon mari est accro)
Quelle est votre
œuvre musicale préférée?
Spartacus de Khatchaturian
Quelle est la sonnerie actuelle de
votre cellulaire?
Mission Impossible
(pour mon cellulaire européen)
À quels instruments les parents devraient-ils
d’abord initier leurs enfants?
Ceux auxquels l’enfant semble s’intéresser.
Le piano et le violon sont probablement les meilleurs choix, mais pourquoi
pas les instruments à vent?
Quels cinq disques apporteriez-vous
sur une île déserte?
Tout et n’importe quoi de Mozart
Strauss, Ariadne auf Naxos (après
tout, nous sommes sur une île déserte) avec Jessye Norman
De la musique pour piano comme Vladimir
Ashkenazy jouant le Deuxième concerto de Rachmaninov
Une compilation de musique pop des années
1980
Un enregistrement des rires et roucoulements
de mon bébé
Vos cinq endroits préférés à Montréal:
1. Le Vieux-Montréal, pour les promenades,
les galeries d’art, la Pointe-à-Callière
2. Sainte-Anne-de-Bellevue, pour les
promenades au bord de l’eau et la crème glacée en été
3. La rue Saint-Denis pour le magasinage
et les sushis du Mikado
4. Le Village Pointe-Claire pour ses
boutiques et le resto Le Gourmand
5. Le mont Royal pour le patin en hiver
et les pique-niques en été
Restaurants préférés:
Trattoria San Ferdinando à Naples: les
meilleurs antipasti et poulpes grillés
Le Boucher à Bordeaux: le magret de
caantastique, spécialités arméniennes et grecquesnard, inoubliable
Taverne Avedis à Avignon: une cuisine
fantastique, spécialités arméniennes et grecques
Lakmé de Léo Delibes
Aline Kutan: Lakmé - Frédéric Antoun:
Gérald - Randall Jakobsh: Nilakantha - James Westman: Frédéric -
Mireille Lebel: Mallika - Anne Saint-Denis: Ellen - Allison Angelo:
Rose - Leticia Brewer: Mistress Bentson - Thomas Macleay: Hadji
Orchestre Métropolitain du Grand Montréal
/ Jean-François Rivest
Chœur de l’Opéra de Montréal
Adam Cook: mise en scène
3, 8, 10 et 14 février, 20h, salle Wilfrid-Pelletier
de la Place des Arts. – 514.842.2112
Autres concert à venir pour Aline
Kutan:
Concert lyrique avec l’Orchestre Symphonique
du Conservatoire Royal de Musique de Liège - 24 et 25 mars à l'Eglise
Saint-Sever de Rouen.
Les Illuminations, de Benjamin
Britten avec la Sinfonia de Toronto - 5 mai, Grace Church on-the-Hill,
Toronto.
Rôle de Philine dans Mignon,
d’Ambroise Thomas - 27 mai et 29 mai, Opéra-théâtre d’Avignon.
Rôle de la Reine de la nuit dans
La Flûte enchantée, de Mozart – septembre et octobre, Opéra
de Santiago, Chili.
Aline Kutan:
High on Singing
Wah Keung Chan
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