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La Scena Musicale - Vol. 12, No. 4 janvier 2007

La SMCQ a 40 ans !

Par Réjean Beaucage / 4 janvier 2007


C’était le jeudi 15 décembre 1966, à la salle Claude-Champagne. Bruce Mather et Paul Helmer présentèrent le deuxième livre de Structures (1956/1961), pour deux pianos, de Pierre Boulez. Puis, Serge Garant dirigea «Air d’Ishtar», extrait de Toi-Loving (1965) de R. Murray Schafer. Mather revint pour jouer sa Fantaisie (1964) et Serge Garant revint à son tour pour diriger sa pièce Anerca (1961). La Société de musique contemporaine du Québec, première du genre au Canada, était née.

Né d’une collaboration entre le compositeur Pierre Mercure (malheureusement décédé au début de cette année 1966) et le chef d’orchestre Wilfrid Pelletier (alors Directeur du Service de la musique au ministère des Affaires culturelles du gouvernement du Québec), le projet de mise sur pied d’une société de concerts vouée à faire connaître chez nous la vie musicale contemporaine a bénéficié de la détermination d’une poignée d’infatiguables promoteurs, parmi lesquels, outre Garant, Mercure et Pelletier, on compte aussi le compositeur Jean Papineau-Couture (premier président) et l’indispensable Maryvonne Kendergi (vice-présidente et organisatrice). Dans le programme du premier concert, celle-ci écrivait:

«Malgré – ou avec – la diversité de nos caractères et de nos ‘‘positions’’ esthétiques et musicales, nous sommes tous décidés à œuvrer pour une musique vivante: pour que, écrites par des compositeurs de notre temps, des partitions prennent vie par nos interprètes jusqu’à prendre place dans notre quotidien artistique.»

Quarante ans plus tard, LSM a rencontré le directeur artistique de la SMCQ (depuis 1988), Walter Boudreau, pour esquisser un bilan provisoire de l’activité de l’organisme.

LSM: Ce qui frappe d’abord, lorsque l’on visite les archives de l’époque, c’est de constater la grande activité médiatique que générait la toute nouvelle société de concerts.

WB: En effet, et comme avec tout ce qui est nouveau, les gens mordent, puis finissent par démordre... Quand Stockhausen est venu, la salle était pleine, mais s’il venait aujourd’hui, je ne suis pas certain que ça marcherait autant, et je ne cherche pas du tout à remettre en question la qualité de sa musique... Les temps ont bien changé... Il y a une certaine curiosité qui s’est refroidie, particulièrement en musique. C’est arrivé aussi dans d’autres disciplines, parce que lorsque l’on regarde ce qui se fait aujourd’hui au Québec en cinéma, par exemple, c’est très mainstream: c’est Aurore l’enfant martyre, Séraphin, Le Survenant... Il n’y a pas beaucoup de «Recherche et développement»... Cependant, 40 ans plus tard, je dirais que la première partie de la mission de la SMCQ a été très bien remplie, parce qu’il y a un répertoire incroyable, et de grande qualité, qui a été suscité par la SMCQ en grande partie – au moins pendant 20 ans, jusqu’à ce que d’autres organismes viennent se greffer à son action. Et mission accomplie, aussi, parce que la SMCQ a servi de catalyseur, c’est-à-dire que de pauvres petits compositeurs, qui étaient obligés de payer de leur poche pour faire jouer leur musique, se sont dotés d’une institution qui est forte, qui est en santé et qui manifeste un renouvellement constant, ne fut-ce que, par exemple, depuis sept ans grâce à son secteur jeunesse, et depuis six ans avec le festival Montréal / Nouvelles Musiques (MNM), qui se porte bien et va en grossissant. Et puis, il y a le niveau de l’expertise, c’est-à-dire que maintenant, au Québec, les groupes, les ensembles et les interprètes, parce que la SMCQ a servi d’école grâce au travail de Serge Garant, sont capables de jouer cette musique-là et se comparent favorablement à n’importe quel ensemble européen.

LSM: Au départ, il n’était pas question que le «comité des programmes» (on dit aujourd’hui le comité artistique) soit composé de compositeurs, précisément pour parer au conflit d’intérêts.

WB: La SMCQ a été fondée, à toute fin pratique, par des compositeurs. Parce que les compositeurs n’avaient pas à l’époque beaucoup d’incidence sur leur propre destinée. S’il avait fallu, en plus, que ce soit des interprètes qui décident à qui on doit commander des œuvres, ce serait bien différent. Il y a des œuvres qui sont plus conviviales pour les interprètes, mais qui ne sont pas forcément des œuvres de premier plan. Moi je les appelle les «pères fondateurs», ceux qui ont mis sur papier le règlement numéro 1 de l’organisme, et je pense que c’est un document qui est encore plus impressionnant que la constitution américaine! Il est tellement actuel et il «donne» le pouvoir aux compositeurs de voir à leur destinée, vers où on va aller, qu’est-ce que l’on doit privilégier, soutenir... Parce qu’il faut bien le dire, la SCMQ, ce n’est pas un organisme public. C’est un «club» formé de compositeurs; nous sommes 12 au comité artistique, et il y a une circulation d’idées, des prises de position, qui sont à la fois strictement artistiques et aussi politiques, parce que l’on ne peut pas ne pas être conscient de la place que l’on occupe dans la société et comment on peut agir dans la société. À plusieurs, on est toujours plus fort que si l’on est seul, et je pense que c’est en ce sens une belle réussite. Nous ne sommes pas à l’abri de la critique, et je le sais! Mais c’est un endroit où l’on a à cœur la défense du statut de compositeur.

LSM: Depuis 40 ans, la SMCQ a certainement exercé une grande influence sur l’esthétique musicale au Québec. Que peut-on anticiper pour la suite?

WB: Il y a la charte de la SMCQ, dont le premier article dit qu’il faut promouvoir la musique, et particulièrement celle d’ici, en faisant toutes sortes de choses: concerts, commandes, etc. Donc, je suppose que nos successeurs feront ce qui doit être fait pour y arriver. Moi, actuellement, j’utilise les moyens qui sont à ma disposition et qui me semblent être adaptés à la période dans laquelle nous vivons. Je ne peux pas présumer de ce que sera la SMCQ dans 25 ans... D’ailleurs, aujourd’hui, tout en étant très fidèle à ses objectifs, elle est très différente de ce qu’elle était il y a 40 ans.

Un concert et deux disques

Walter Boudreau: «Nous avons choisi d’aller à l’essentiel: un piano. Nous avons consulté le répertoire pianistique avec l’idée d’offrir un aperçu des transformations qui se sont opérées sur le matériel musical au fil du temps, mais sans pour autant faire un parcours historique. Le concert commence avec une courte pièce de quatre minutes qui est pour moi le sommet de ce que Denys Bouliane a écrit, la Contredanse du silène Badouny (1998), ensuite on va tout de suite vers Louis Dufort avec Trip à six (2003). Pratiquement tous les compositeurs québécois ont écrit pour le piano, et il y a de très grandes œuvres. Bien sûr, on pourrait dire qu’il manque un tel ou un tel, mais il faut tenir compte du fait que nous donnons aussi d’autres concerts, et il y a quand même là une palette esthétique incroyable, déployée sans artifice. Je voulais aussi profiter du 40e anniversaire pour rendre hommage à des gens qui, contre vents et marées, se battent pour la musique contemporaine. Les pianistes qui seront là sont des pianistes qui se sont mouillés (Louise-André Baril, Louise Bessette, Jacques Drouin, Bruce Mather, Francis Perron, Brigitte Poulin, Richard Raymond et Jacinthe Riverin – David Cronkite sera au synthétiseur et Louis Dufort au Disklavier). On veut rendre hommage à ces pianistes qui sont des amis de la SMCQ et qui font un travail extraordinaire, comme Bruce Mather qui viendra avec son piano accordé en seizième de ton, ou une jeune pianiste comme Jacinthe Riverin, pour montrer qu’il y a, encore et toujours, du sang neuf. Et tout ça sans flafla, parce que la SMCQ ne défend pas une image, mais des idées, et la musique.»

Concert 40e anniversaire de la SMCQ: Piano FORTE

Salle Claude-Champagne de l’Université de Montréal

Jeudi 14 décembre 2006, 19h

Au programme: des œuvres de Serge Arcuri, Denys Bouliane, Yves Daoust, Louis Dufort, José Evangelista, Sean Ferguson, Serge Garant, Michel Gonneville, André Hamel, Bruce Mather, Luc Marcel, Serge Provost, John Rea, Gilles Tremblay et Claude Vivier

Seront lancés ce soir-là:

À l’aventure!

Musique de Denis Gougeon

Ensemble de la SMCQ / Walter Boudreau; Orchestre Métropolitain du Grand Montréal / WB; Marie-Danielle Parent, soprano; Quatuor Erato

Centredisques CMCCD 11506 (71 min 51 s)

Excellente idée du Centre de musique canadienne de regrouper en monographies des œuvres disséminées sur d’anciennes parutions (ici: À l’aventure, de 1990, et Heureux qui, comme..., de 1987) et des premières au disque (Jeux de cordes, de 1995, et Clere Venus, de 2002). Pour découvrir (ou retrouver) le pouvoir d’attraction de la musique de Denis Gougeon.


Walter’s Mixed Bag

Musique de Walter Boudreau

Ensemble de percussions McGill / Pierre Béluse; Ensemble de la SMCQ / Walter Boudreau; Olga Ranzenhofer, violon; Alain Thibault, programmation

Atma (76 min 39 s)

Walter Boudreau dans toute son inextricable complexité! Il y raconte l’histoire de la musique (Le Récital, 1992) et la création du monde (Les sept jours, 1977), et se souvient de Claude Vivier (La vie d’un héros, 1999) et de Claude Gauvreau (L’Asile de la Pureté, 2003). D’une rare intensité.


(c) La Scena Musicale 2002