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La Scena Musicale - Vol. 12, No. 4 janvier 2007

Fête des ânes, fête des fous : Le monde à l’envers

Par Isabelle Picard / 4 janvier 2007


L’Ensemble Anonymus propose en décembre un programme inspiré d’une tradition du Moyen-Âge: la fête des fous. Une tradition dont les origines remontent sans doute aux saturnales de la Rome antique, ces banquets à ciel ouvert où on se travestissait, où les rangs sociaux disparaissaient et où les domestiques étaient servis par les maîtres. Une tradition qui rappelle aussi celle, plus ancienne encore, de Babylone, selon laquelle le roi donnait le règne à un de ses sujets pour se retrouver lui-même anonyme parmi la foule.

Fête des fous, fête des ânes, fête du renversement social. Pendant le solstice d’hiver, une période propice à un moment d’arrêt, on inverse les rôles durant quelques jours. On renverse la hiérarchie, on nie l’ordre établi. Entre le 26 décembre et le 6 janvier (parfois même jusqu’au 14 janvier), le fou est roi! Et si cet inversement est d’abord simplement ludique, un divertissement versant même dans le grotesque, il se transforme vers le xiiie siècle (au seuil du xive siècle) en satire. On s’adonne alors à une critique des mœurs de plus en plus rigoureuse, de plus en plus impertinente et acerbe.

On peut voir dans ce renversement hiérarchique l’exaltation des pauvres, des humbles, des faibles, des innocents, mais également un rappel de l’égalité de tous devant Dieu. D’ailleurs, l’inversement se vit au sein même de l’Église. Souvent, les petits clercs choisissent un des leurs pour être l’évêque durant cette période. Là encore, la caricature, les bouffonneries, l’extravagance et la satire sont de mise. Les célébrations commencent à l’intérieur de l’église pour souvent en sortir dans une procession improvisée. Le chant, lui aussi caricatural, occupe une grande place. Dans des parodies de messes, les textes sacrés sont remplacés par des âneries… en latin!

C’est le répertoire associé à ces célébrations que se propose d’explorer Anonymus. L’ensemble avait partiellement abordé ce répertoire sur son disques «Tempus Festorum. Musique médiévale au temps de la Nativité» (Analekta FLX 2 3106) il y a près de dix ans. C’est cependant la première fois qu’il lui réserve un programme entier. Claude Bernatchez, directeur artistique d’Anonymus, cite une phrase qui pour lui évoque bien ce que représentait cette fête et qui explique peut-être sa longévité: «Un bon chrétien, c’est comme un bon vin: il faut le déboucher de temps en temps».

Pour en savoir plus: J. Heers, Fêtes de fous et carnavals, Pluriel, Paris, Fayard, 1983.


(c) La Scena Musicale 2002