La Symphonie du Millénaire : Un opus pour le début des temps Par Marc Chénard
/ 5 novembre 2006
Pour bon nombre de gens, Le trois
fait le mois n’est qu’un dicton français parmi d’autres.
Mais pour Walter Boudreau, ces quelques mots acquièrent une tout autre
résonance. Chef attitré de la SMCQ et compositeur, cet homme aux mille
idées voit venir, inéluctablement, le plus grand rendez-vous musical
de sa vie.
En effet, dans un mois, soit le samedi
3 juin à 20h30 pile (le lendemain, en cas de pluie), une volée de
2000 clochettes explosera sur le terrain de l’oratoire Saint-Joseph,
signalant l’ouverture d’une œuvre gargantuesque, la Symphonie
du millénaire. Pendant 90 minutes, quinze ensembles interviendront
dans ce magnum opus, notamment l’OSM, la SMCQ, le Royal 22e
Régiment, les Petits Chanteurs du Mont-Royal, les grandes orgues et
le carillon de l’oratoire, les sirènes de deux camions de pompiers
et, pour finir, 2000 carillonneurs!
Au cours des derniers mois, les médias
se sont attardés à la dimension organisationnelle du spectacle, mais
celle-ci ne représente qu’un côté de la médaille. L’autre présente
un énorme casse-tête musical: en effet, 19 compositeurs (17 hommes,
2 femmes) ont été assignés à chacune des formations participantes.
Devant cette énorme galère et son éclectique équipage, une question
ne peut manquer de se poser: comment arrive-t-on à réconcilier, sinon
à rallier, autant de visions et de préoccupations artistiques individuelles?
«Il nous a fallu inventer un code, précise
Walter Boudreau, parce qu’il aurait été impensable de réunir tous
les compositeurs sans préalable aucun. Plutôt que de leur imposer
des règles rigides, ou de leur dire comment ils devaient composer leur
partie respective, nous leur avons plutôt proposé d’emblée des
balises permettant de trouver des terrains d’entente.» Pour ce faire,
Boudreau suggéra en guise de thème principal un chant grégorien du
Moyen-Âge intitulé Veni Creator Spiritus. Non seulement est-il
entonné au début et à la fin de l’œuvre, mais il la parcourt en
filigrane, repris et transformé au gré de chaque compositeur. Pour
justifier ce choix un peu inusité, Boudreau invoque, entre autres raisons,
la simplicité de sa facture, les manipulations rythmiques et harmoniques
diverses qu’il invite et un attrait personnel pour sa ligne mélodique.
Pour la tenue de ce grandiose concert
gratuit du 3 juin, quatre jours complets ont été prévus pour aménager
le terrain de l’oratoire Saint-Joseph. Sur une superficie de 1 km2,
on comptera une douzaine d’estrades couvertes, des dispositifs de
sonorisation et d’éclairage complets du site et, au beau milieu,
une aire spécialement réservée pour les quelque 25000 spectateurs
attendus à cet événement.
Le défi présenté sur le plan organisationnel
est énorme et il faudra un véritable tour de force pour le relever.
Riche en rebondissements, cette folle aventure artistique a habilement
franchi les innombrables obstacles dressés sur son parcours. Mais tout
ce périple n’aurait pu avoir lieu si ce n’était d’une inspiration
qui marqua Walter Boudreau. Celui-ci se rappelle encore les clochers
d’église sonnant dans tous les quartiers d’une ville assoupie,
alors qu’il était assis sur le flanc de la montagne par un dimanche
matin du printemps de 1964. «Pourquoi ne pas créer une œuvre musicale
qui pourrait les unir, toutes?» s’était-il demandé. Au lieu de
l’écarter du revers de la main, il ne s’est jamais départi de
cette idée, désormais gravée en son for intérieur. Pourtant, il
lui aura fallu attendre jusqu’en 1997 pour que le vent tourne en sa
faveur, car c’est à cette date que le Conseil québécois de la musique
(CQM) proposa au milieu musical de soumettre des projets spéciaux pour
marquer l’arrivée prochaine du nouveau millénaire.
Le terrain de l’oratoire Saint-Joseph
se présenta comme l’endroit idéal, puisqu’il répond aux critères
d’un site fixe et spacieux. D’autres avantages sont aussi à signaler,
notamment son majestueux grand orgue, sa propre chorale, les Petits
Chanteurs du Mont-Royal, et son carillon de 56 grandes cloches. Mais
ce n’est pas tout: il y aura bel et bien 2000 carillonneurs en place,
auxquels s’ajouteront d’autres cloches accrochées à deux anciens
camions de pompiers, sortis tout spécialement du musée pour l’occasion.
Pour compléter ce retentissant portrait, des cloches d’église seront
aussi entendues durant le concert, celles-ci ayant été préenregistrées
par les compositeurs participants dans leur paroisse respective.
Durant le mois de mai, tous les ensembles
ont répété individuellement et ceux-ci viennent tout juste de compléter
deux autres répétitions collectives en salle. «Il y aura des surprises
pour tous, nous déclare l’un des compositeurs participants, Vincent
Collard, et j’inclus aussi les gens directement engagés dans le projet.
Comme la superficie occupée est grande, le son prendra du temps à
voyager et c’est vraiment difficile de prévoir les résultats.»
Pourtant, cet aspect critique a été examiné de très près et Louis
Dufort, l’un des participants et compositeur spécialiste en électroacoustique,
a prêté main-forte en tant que conseiller technique en sonorisation.
«Il y aura des tours de délai, précise-t-il, c’est-à-dire un système
de haut-parleurs qui retarderont la transmission de sons proches pour
permettre une synchronisation avec d’autres venant de points plus
éloignés.» Pour assurer cette synchronisation, les chefs de tous
les orchestres seront en contact radio avec le coordonnateur du projet,
Denys Bouliane; ce dernier se trouvera dans le pavillon abritant la
console de son, d’où il assurera la direction globale à partir de
la partition maîtresse de quelque 400 pages!
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