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La Scena Musicale - Vol. 12, No. 2 octobre 2006

John Zorn Le jazz de J à Z

Par Marc Chénard / 5 octobre 2006


Même si le dicton populaire nous dit que c’est le trois qui fait le mois, pour John Zorn, cependant, ce sera le deux. En effet, ce musicien-compositeur-producteur et enfant-chéri (ou terrible, selon le point de vue) de la musique américaine postmoderne fêtera ses 50 ans ce mois-ci. Dans sa propre cour à New York, l’anniversaire ne passera pas inaperçu, car on a prévu un mois d’activités autour de lui au bar Tonic, le fief qu’il a lui-même créé en 1998 peu après sa brouille avec la direction de la Knitting Factory.

Iconoclaste des uns, héros des autres

Après 30 ans de carrière, Zorn est l’un des rares musiciens gravitant dans l’orbite du jazz qui a réussi à se faire un nom sans pour autant diluer sa vision artistique. Par le passé, ceux et celles qui ont atteint la célébrité, ou le stardom comme disent les anglais, ont souvent accepté de jouer le jeu du grand commerce. Mais rien de tout cela avec Zorn : du bruitisme le plus échevelé à ses rencontres tonitruantes avec les Bill Laswell, Fred Frith, Mike Patton et autres, de ses nombreuses trames sonores (ses Filmworks) au jazz moderne de Masada (conjuguant le klezmer de ses racines juives au free-jazz d’Ornette Coleman), John Zorn est un touche-à-tout, sans conteste, et il a toujours maintenu une espèce de ligne dure qui lui a permis de se faire connaître non pas seulement dans son créneau d’élection, celui des musiques dites d’avant-garde, mais aussi de rejoindre un public plus large que celui des seuls connaisseurs.

Derrière son succès, il y a, d’une part, un certain élément de chance, notamment d’être vu au bon endroit, au bon moment, par un producteur de spectacles ou de disques — une race qui n’est certainement pas en pénurie à New York ; d’autre part, il ne faut pas dédaigner le fait que ce musicien, dont les initiales sont étonnamment les mêmes que la première et dernière lettre du mot jazz, a certainement travaillé d’arrache-pied à se créer une image.

Compte tenu de son âge, Zorn a grandi dans l’Amérique de l’abondance, gavé d’une culture populaire en pleine explosion, qui basculait du jazz au R&B, en passant pas le rock et toutes ses variantes. La passion musicale lui a pris très tôt et, adolescent, il écoutait de tout, si bien qu’il a avoué même dans une entrevue avoir volé régulièrement des microsillons (et nous sommes encore à l’époque de vinyles, ne l’oublions pas), les camouflant sous sa chemise et ce, sans jamais avoir été pris sur le fait. Devenu adulte, il a une connaissance du disque telle qu’il a déjà réussi à identifier tous les morceaux qu’on lui soumettait lors d’un test d’écoute publié dans le magazine Downbeat (et le choix musical était d’un éclectisme inouï).

Durant les années 80, cet artiste aux grandes ambitions a gravi assez rapidement les échelons, enregistrant avec des petits indépendants locaux, puis effectuant une entrée chez le label suisse Hat Art pour ensuite passer sous contrat avec le label Nonesuch, une griffe tout aussi connue dans le monde classique que dans celui du jazz. Par ailleurs, son passage à l’émission de télé du samedi soir, Night Music, (animée par cet autre saxo alto certainement plus pop, David Sanborn) a certainement été un de ses meilleurs coups de chance.

Le tournant

Pourtant, ce sera au cours des années 90 que la consécration lui sera accordée, lorsqu’il fonde non pas une seule compagnie de disques, mais bien deux : Avant, puis Tzadik (mot hébreu qui, soit dit en passant, signifie « homme juste »). Sa manœuvre la plus habile a été de mettre sur pied sa première étiquette (Avant) non pas aux États-Unis, mais au Japon. Bien avant cette date, Zorn avait tissé des liens très étroits avec plusieurs musiciens parmi les plus audacieux et, compte tenu de la forte agressivité de sa musique, pour ne pas dire de sa violence, son mélange détonnant faisait vibrer la corde sensible d’un jeune public nippon coincé dans un mode de vie sévèrement réglementé.

Aux États-Unis, en revanche, nombre de jazzmen ont tenté de s’autoproduire, question d’assumer pleinement la production et la diffusion de leurs œuvres. Cependant, comme le système américain a toujours mal valorisé le travail de ses artistes, beaucoup de ces tentatives étaient vouées à l’échec. Zorn, par contre, a réussi son coup puisqu’il a été le premier Américain à se doter d’une maison de disques à l’étranger. Ce faisant, il a pu continuer à fidéliser son public japonais et à créer de ce fait un certain degré d’exotisme chez lui, car les disques Avant, disponibles en importation seulement, se sont toujours vendus à fort prix sur notre continent.

Toujours chez lui, un jeune auditoire, friand de rock et de musiques électroniques de tous styles, appréciait tout autant son image d’adolescent hostile qui provoquait volontiers son public en ne manquant pas de rabrouer la racaille journalistique à qui il avait tourné le dos pendant de nombreuses années. Avec tous ces éléments en place, il lui ne restait plus qu’à franchir le dernier pas, soit de mettre sur pied son étiquette américaine, Tzadik, dont le premier grand coup a été la publication des dix disques réalisés en studio de son quartette Masada, suivi d’une série plus récente d’enregistrements en concert. Par ailleurs, il s’est aussi fait le promoteur de beaucoup d’autres artistes de son milieu, comme l’attestent ses séries consacrées aux compositeurs et une autre à la Radical Jewish Culture. Il va sans dire que cette dernière a grande faveur en Amérique du Nord et a indéniablement contribué à sa visibilité, mais elle n’est qu’un facteur parmi d’autres. Plus près de chez nous, le Festival international de musique actuelle de Victoriaville a certainement fait sa part pour le promouvoir, puisque Zorn a foulé ses planches à 12 reprises depuis 1988, et ce, avec des ensembles adoptant toutes les configurations imaginables. n

What is Modal Jazz ?

A Layman’s Guide

Paul Serralheiro / Vol. 8 N0. 3 - November 2002

Musical genres delight and develop the ear as varieties of flowers do a botanist’s eye or spices a gourmet’s palate. Rhythmic, melodic, harmonic, and architectural shifts of emphasis that characterize different styles within musical genres go further to provide esthetic refinement and broaden our feeling for the art and universality of music.

One such musical style is modal jazz. A phoenix that arose from the ashes of bebop in the late 1950s, the style is commonly associated with Miles Davis and his landmark Kind of Blue, whose relaxed tempi and whimsical, light-footed melodies have lured a myriad of listeners since its release in 1959, making the album the best-selling jazz record of all time.

What is distinct about modal jazz? While the musical effect of modes may be described as “simple” and organic, modality is a complex concept to define. Modes have a long history, reaching back in western culture to ancient Greece and in some other cultures to periods of even greater antiquity.

A “mode” in a musical context is defined by Webster’s dictionary as “an arrangement of the eight diatonic notes or tones of an octave according to one of several fixed schemes of their intervals.” That is the simple answer. A closer look reveals more complexity. Theoretical attempts to describe the modes reach back to Aristoxenus (c. 350 B.C.) and were carried on through the medieval period in the work of scholars like Boethius, Saint Ambrose and Hucbald. In the Italian Renaissance they were the concern of Guido of Arezzo, Hermannus Contractus, Tinctoris, and other writers up to Glearan in the 16th century. Thereafter the subject dropped from view until musicological interest in folk melodies arose in the late 19th century.

With the emergence of “tonal” music based on the major-minor system, pitch texture and architectural concerns were focused on the Ionian and Aeolian scales and on chromatic alterations, especially the latter. A very rational system evolved: 12 chromatic scales, 12 possible major keys and 12 possible minor keys, evincing a “happy” vs. “sad” dichotomy that paralleled the development of dialectic thought in Western philosophy. (Similar concepts were the rigid theological notions of good and evil, Descartes’ polarity of body and mind, and ultimately the Hegelian thesis-antithesis-synthesis paradigm). This binary system is dramatically reflected in the white key/black key dichotomy found on the piano—the dominant instrument in the teaching and performance of western music from the Age of Enlightenment onwards.

“There will be fewer chords”

In contrast to tonality, modality implies not only a linear approach, a melodic imperative, but also a different way of thinking about harmony. The main difference between a “mode” and a “scale” is a matter of connotation rather than of denotation. A mode is, like a scale, a series of transposable interval relationships. The difference is that a scale (usually categorized as major, minor, diminished, or augmented) implies harmonies built up in intervals of a third of that and related scales, for example the notes C-E-G, D-F-A, E-G-B, and so on in the key of C major. Musical ideas are developed through movement away from and back to the home key, or tonic, which may be either major or minor.

A mode, on the other hand, implies a series of transposable interval relationships in which harmonies emphasize intervals other than thirds. Seconds and fourths are a preferred pattern. Musical ideas created from a mode are developed via changes in the character of the mode (e.g. from C Dorian to C Mixolydian) or in modulation to other modes related in some way, or even to completely unrelated modes. The structural notion of tension and release—found in the major-minor system from Bach through Brahms and into early 20th-century popular music and pre-Kind of Blue jazz—still applies, but the musician’s palette of melodic colours is considerably wider. The harmonic language is enriched, since modes bring new harmonic structures into the aural mix. The number of chords, however, is cut down, so that the music resembles those non-Western genres that develop thematic material not through chord progression but via rhythm and melody over a fairly stable harmony.

Birth of a Serene Cool

Although modal jazz as an entity arose in the 1950s, there were some notable foreshadowing works, such as George Russell’s “Cubana Be Cubana Bop” from 1947. As a movement or phenomenon, however, modal jazz was originally centered in the work of a handful of musicians that included Miles Davis and George Russell, arranger Gil Evans, pianist/composer Bill Evans, saxophonist/composer Oliver Nelson, and later Wayne Shorter, Herbie Hancock, Chick Corea, and John Coltrane. The modal approach eventually permeated all of jazz. One can hear modal features in most of the jazz styles since the 1960s. Modality also pervades many recent styles of popular music, in large part due to the evocative sensibility of modal jazz.

Modal jazz’s seminal works are the recordings Milestones and Kind of Blue by Davis’ ensemble and the theoretical formulations published in George Russell’s Lydian Chromatic Concept. “There will be fewer chords,” Davis explained to his band at the time, “but infinite possibilities as to what to do with them.” Notable achievements that followed in the wake of the relatively low-key modal jazz revolution included Coltrane’s A Love Supreme, Herbie Hancock’s Maiden Voyage, and the work of Freddie Hubbard, Weather Report, and Chick Corea. The approach arguably influenced some aspects of Free Jazz, such as its non-adherence to harmonic restrictions, and modal features also appear in the neoclassicism of artists like Wynton Marsalis.

Any consideration of the “meaning” of modal jazz must include a look at its social, cultural, and historical contexts, since music is, after all, a cultural expression that does not exist in a vacuum. Musical gestures say something universal and at the same time something specific and relevant to the musicians’ lifetimes. The social relevance of the modal approach to jazz lies in its reflection on the issues and Zeitgeist of the late 1950s and 1960s—such as the questioning of received Eurocentric perspectives and the emerging of a post-colonial political landscape which, along with the evolving global village, led to a widespread interest in world culture and world music.

One of the essential features of jazz as an art form is its reinvention of itself, the attempt of musicians to find their own voice, their own sound. For the second half of the first century of jazz, explorations in modality served that purpose. It brought new blood to jazz, stirred the imagination, and succeeded in “keeping it new.” n

Au rayon du disque

Le palmarès des chroniqueurs 2004-2006

Vol. 10 no 9 - Juin 2005

Le choix du rédacteur

Alexander von Schlippenbach Quintet : Monk’s Casino

Intakt CD 100

HHHHHI

Bon an mal an, il y a toujours des parutions discographiques qui se démarquent du lot. Parfois, c’est l’ampleur même de la chose qui accroche l’œil (comme les rééditions anthologiques), parfois c’est la performance qui bouleverse, parfois c’est l’originalité même du concept de départ. Le dernier point s’applique dans le cas de cette remarquable nouveauté. En effet, en trois disques compacts (trois heures et seize minutes pour être exact), cinq musiciens passent en revue l’œuvre complète (71 morceaux) de l’un des monstres sacrés du jazz, le tout aussi exceptionnel pianiste que compositeur, Thelonious Monk. Aventure musicale dirigée de main de maître par le vétéran pianiste berlinois Alexander von Schlippenbach, ce Casino de Monk est une entreprise assez unique dans les annales du jazz. Certes, la musique de Monk figure sur d’innombrables disques, et pas seulement en jazz, mais le fait de tout jouer dans le cadre de concerts-marathons a peu de précédents, sinon aucun. C’est en 1996 que le pianiste s’est greffé à quatre plus jeunes collègues allemands qui, eux, interprétaient déjà un grand éventail de pièces du maître. Plusieurs prestations européennes suivirent (surtout en Allemagne et en Autriche), préludes aux enregistrements captés sur le vif dans un club berlinois à l’été 2003 et, en reprise, à l’hiver 2004. Venir à bout de ces pièces en si peu de temps relève du tour de force, mais l’ensemble s’acquitte de la tâche avec brio. On notera surtout le merveilleux tandem de souffleurs que sont Axel Dörner (trompette) et Rudi Mahall (clarinette basse), ce dernier étant un musicien à découvrir de toute urgence, si ce n’est déjà fait. Ils ravivent le spectre de l’équipe de Booker Little et d’Eric Dolphy du début des années soixante. Point de nostalgie ici, mais une complémentarité tout aussi inspirante que celle de leurs légendaires prédécesseurs. La rythmique de Ulli Jennesen (batterie) et de Jan Röder (contrebasse) ne clopine pas non plus ; tous deux sont à la hauteur de la situation, bien qu’on aurait souhaité un peu plus de personnalité de leur part. Dernier, mais non le moindre, Herr von Schlippenbach, à 67 ans, reste toujours l’un des piliers les plus solides de la musique improvisée européenne (écoutez son trio avec Evan Parker et Paul Lovens et donnez-moi de vos nouvelles). Aussi éclaté qu’il peut être, il n’a jamais rompu les amarres avec le jazz américain. Preuve éclatante à ce sujet, ce coffret nous permet d’entendre l’intégralité de l’œuvre monkienne sans succomber aux tentations des relectures aseptisées du répertoire.

Marc Chénard

Les disques HHHHH

Mujician :
There’s No Going Back Now

Cuneiform Rune 232


Juillet 06 - Charles Collard

Joëlle Léandre :
At the Le Mans Jazz Festival

Leo CDLR458/459


Juin 06 - Paul Serralheiro

World of Rhythm : Live in Lugano
Herbie Hancock, Ron Carter, Billy Cobham

TDK DVWW-JWOR


Mai 06 - Paul Serralheiro

Aldo Romano/Louis Sclavis/Henri Texier :
African Flashback

Label Bleu LBLC 6679


Avril 06 - Félix-Antoine Hamel

Jane Bunnett : Radio Guantanamo:
Guantanamo Blues Project Vol. 1

EMI 09463-46808-2-0


Février 06 - Paul Serralheiro

On The Road With Duke Ellington
Robert Drew, 1967/1974

Docurama NVG-9502 DVD


Novembre 05 - Félix-Antoine Hamel

John Kosrud :
Odd Jobs, Assorted Climaxes

Spool SPP 203


Octobre 05 - Paul Serralheiro

Orkhestrova :
Electric Ascension

Atavistic UNS 159 CD


Septembre 05 - Charles Collard

Peter Epstein, Brad Shepik, Matt Kilme :
Lingua Franca

Songlines SGL SA 1555-2


Septembre 05 - Paul Serralheiro

Keith Jarrett :
The Art of Improvisation

EuroArts 2054118 DVD 84 min + 42 min Bonus


Juillet 05 - Charles Collard

Charles Lloyd :
Jumping the Creek

ECM 1911


Juin 05 - Charles Collard


(c) La Scena Musicale 2002