Yannick Nézet-Séguin Par Wah Keung Chan
/ 5 octobre 2006
«À
l’âge de dix ans, déjà, je voulais devenir un chef d’orchestre
», nous dit Yannick Nézet-Séguin, un jeune maestro de 24 ans, la
Découverte de l’année et le récipiendaire du Prix du public des
Prix Opus décernés en décembre dernier par le Conseil québécois
de la musique.
En juin 1998, la carrière de Nézet-Séguin
a pris un essor rapide lorsqu’il a reçu un téléphone de Bernard
Uzan, directeur général et artistique de l’Opéra de Montréal.
Un an après que Jacques Lacombe eût quitté son poste de chef des
chœurs et de directeur musical adjoint, l’Opéra de Montréal était
toujours en quête d’un remplaçant permanent. « J’ai été vraiment
surpris lorsqu’il m’a offert le poste, dit Nézet-Séguin. Il n’y
avait guère qu’un an que je commençais à m’intéresser à l’opéra.
J’ai donc passé deux mois à lire, à étudier, à écouter les enregistrements
des grands chanteurs et des grands chefs d’orchestre. » Cette année-là,
où l’on entendait surtout des fausses notes à l’Opéra de Montréal,
la nomination de Nézet-Séguin a été saluée comme un événement
des plus positifs. L’an dernier, en plus de faire ses débuts à l’Orchestre
Métropolitain, à la demande de Joseph Rescigno, il a dirigé le Gala
de l’Opéra, remplaçant un des chefs annoncés. Cette année, on
a pu l’entendre à deux reprises à titre de chef invité à l’OSM,
et c’est lui qui s’est chargé de la plupart des représentations
du Casse-Noisette des Grands Ballets. À l’Opéra de Montréal,
il a déjà dirigé une production de Lakmé et assumera la direction
d’orchestre du Couronnement de Poppée au printemps prochain.
Chaque fois, ses prestations ont été reçues avec enthousiasme, tant
par les musiciens que par le grand public et les critiques.
Nézet-Séguin s’est depuis longtemps
méthodiquement préparé à cette carrière. « Lorsque je me suis
joint aux Petits chanteurs de la cathédrale du Chœur Polyphonique,
le rôle joué par le directeur musical, et surtout la façon dont il
définit l’interprétation de l’œuvre, m’a tout de suite fasciné.
» Charles Dutoit a été son premier modèle.
« J’ai téléphoné au Conservatoire
de Montréal et je leur ai dit que je voulais devenir un chef d’orchestre.
C’était plutôt amusant, car je n’avais aucune idée des préalables
», comme il l’avoue aujourd’hui. Mais il a très vite appris. «
Je me suis inscrit aux cours exigés, je me suis spécialisé dans l’étude
du piano et j’ai fait de la musique de chambre. Un chef d’orchestre
doit comprendre le fonctionnement de chaque instrument. J’ai beaucoup
aimé l’approche du Conservatoire, parce qu’elle m’a permis de
progresser à mon propre rythme. » Des occasions de faire ses premières
armes se sont rapidement offertes. C’est ainsi que, à l’âge de
14 ans, il commençait à diriger des répétitions du Choeur polyphonique,
avant d’en devenir le directeur musical, en 1995, à l’âgé de
19 ans.
Cette période a joué un rôle très
important dans son cheminement. « Je me posais des questions au sujet
de la direction d’orchestre, auxquelles je ne pouvais trouver les
réponses dans des livres : Comment diriger une répétition? Doit-on
commencer en s’adressant aux musiciens ou en les faisant jouer? Et
comment tirer le meilleur parti du temps qui nous est imparti? Comment
s’adapter à un orchestre de calibre international? À un orchestre
de jeunes? » Nézet-Séguin a communiqué avec les Jeunesses Musicales
du Canada et, à force de persistance, au printemps de 1996, il s’envolait
pour la Suisse où il assistait aux répétitions de l’Orchestre mondial
des jeunes, sous la direction de Temirkanov, Pappano et Nagano. « Cela
m’a donné l’occasion de rencontrer des musiciens et des chefs d’orchestre.
J’ai été absolument étonné de voir que leurs opinions au sujet
des répétitions étaient presque toujours différentes des miennes.
»
Depuis qu’il a commencé à acheter
des enregistrements, en 1988, Nézet-Séguin a toujours été un grand
admirateur du maestro italien Carlo Maria Giulini. « Tout ce qu’il
a fait m’émeut. Alors que je me trouvais en Europe, j’ai communiqué
avec lui par l’entremise de l’ambassade d’Italie. Par la suite,
je lui ai écrit pour lui expliquer ma situation et lui dire ce qu’il
représentait pour moi. » D’octobre 1997 à juillet 1998, alors que
le maître s’apprêtait à prendre sa retraite, il a pu le rencontrer
à cinq reprises, en privé et lors de répétitions et de concerts.
« Il m’a enseigné à respecter mon travail, l’orchestre, la partition
et le compositeur. C’était un spectacle extraordinaire que celui
de l’intensité des mouvements de son corps, de ses yeux et ses mains.
Il m’a appris qu’avant tout, il faut savoir être naturel et que
c’est la meilleure façon de rester fidèle aux intentions du compositeur.
Il m’a également donné des conseils sur la façon de créer mes
propres mouvements de baguette. »
Lorsque l’on écoute Nézet-Séguin
parler de l’art de la Callas, de son admiration pour Tebaldi, de l’intelligence
des interprétations de Fischer-Dieskau, de sa vénération quasi religieuse
pour Furtwängler, des sentiments contradictoires que lui inspire Toscanini,
de l’humanité et de la vulnérabilité dans l’œuvre de Brahms,
du sentiment cosmique qui émane de la musique de Bruckner et de la
fusion absolue des moyens et du contenu de l’expression musicale chez
Bach, on n’a pas de peine à comprendre comment il arrive à s’imposer
avec tant d’autorité. « Lorsque je me présente devant eux, les
musiciens de l’orchestre sentent que j’éprouve beaucoup de respect
pour leur talent et leurs connaissances. » n |
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