La bohème, de Mürger à Puccini Par Isabelle Picard
/ 5 octobre 2006
La Bohème, c’est le stage de la
vie artistique; c’est la préface de l’Académie, de l’Hôtel-Dieu
ou de la Morgue. (Mürger, préface des Scènes de la vie de
bohème)
Quatrième opéra de
Puccini et un des piliers du répertoire lyrique italien, La bohème
est directement inspiré de la vie de Henry Mürger. Né à Paris en
1822 d’un père tailleur originaire de Savoie et devenu concierge
à Paris, Mürger était destiné par ses parents à une carrière en
droit. Leurs espoirs ont cependant été déçus, car leur fils a plutôt
mené une véritable vie de bohème, dans la pauvreté, entouré d’amis
aux ambitions artistiques et des filles aux mœurs légères.
Il s’est inspiré de sa vie pour
écrire une série de courtes histoires, publiées entre 1845 et 1849
dans le magazine Le Corsaire. En 1849, Théodore Barrière, alors
dramaturge reconnu, propose à Mürger de collaborer à la création
d’une pièce de théâtre basée sur une sélection de ses histoires.
Cette pièce, La vie de bohème, obtient un énorme succès.
Suite à ce succès, Mürger publie,
en 1851, Scènes de la vie de bohème, pour l’essentiel une
reprise du matériel paru dans Le Corsaire. Puccini s’intéresse
à ces histoires et demande en 1893 à Giuseppe Giacosa et Luigi Illica
de lui préparer un livret d’opéra.
Et Leoncavallo ?
Alors que La bohème de Puccini
était créée à Turin en 1896, en 1897 avait lieu à Venise la première
d’un opéra de Leoncavallo… intitulé La bohème et basé
sur La vie de bohème de Mürger. Plagiat ? Coïncidence ? Cela
a en tout cas donné lieu à une controverse.
L’intention de Puccini de tirer
un opéra du récit de Mürger semble dater de l’hiver 1892-93, peu
avant la première de Manon Lescaut. Le 20 mars 1893, Leoncavallo
affirme dans les pages du périodique Il secolo, publié par
son éditeur, qu’il a eu le premier l’idée du sujet, qu’il a
même déjà approché les artistes qu’il a en tête et que Puccini
est parfaitement au courant. Puccini réfute bien sûr l’accusation
dans une lettre envoyée le lendemain au Il corriere della sera.
Il dit par ailleurs se réjouir de cette compétition avec son rival
et invite le public à déterminer le vainqueur.
La réaction du public à la première
de l’opéra de Puccini fut mitigée : plus positive pour les actes
1 et 4 que pour le reste. Presque tous les critiques virent une régression
par rapport à Manon Lescaut. Le succès est cependant rapidement
venu par la suite. L’opéra de Leoncavallo a pour sa part eu beaucoup
de succès à la première. Les deux opéras ont donc coexisté pendant
une dizaine d’années, mais celui de Leoncavallo a fini par être
éclipsé par celui de Puccini, vainqueur au tribunal de l’histoire. n |