L'Étoile ou les exigences du comique musical Par Pierre Marc Bellemare
/ 12 décembre 2005
English Version... Bien
que reconnue comme un chef-d'oeuvre depuis l'origine par les musiciens et
l'élite des mélomanes, L'Étoile, opérette en trois actes d'Emmanuel
Chabrier (1841-1894), demeure inconnue du grand public. Ce n'est que ces
dernières années, depuis 1984 et la parution de l'intégrale Gardiner, qu'elle a
commencé à se faire une place dans les marges du répertoire d'opéra un peu
partout dans le monde.
Comment une oeuvre qui passe, à juste titre, pour un
des sommets du comique musical peut-elle avoir pris si longtemps à s'imposer
lorsque les amateurs d'opéra, de toute évidence, ne demandent qu'à se divertir?
C'est sans doute que, comme genre d'humour, le comique proprement musical n'est
peut-être pas si accessible que cela...
Reconnaissons que lorsqu'un spectacle d'opéra amuse,
c'est le plus souvent pour autre chose que la musique elle-même, soit la
situation dramatique, le jeu des interprètes, un détail de décor, de costume,
de mise en scène, et bien sûr le texte. Mais la musique, à elle seule, suffit
rarement à provoquer l'hilarité. Il faut dire que le talent de composer de la
musique drôle par elle-même n'est donné qu'à quelques-uns, même parmi les
génies. Rossini est l'un des rares à s'être particulièrement illustré dans
cette veine.
Offenbach en est un autre. Or il se trouve justement
que Chabrier se situe dans la tradition de ce dernier, avec cette différence
capitale toutefois que « le Mozart des Champs-Élysées » (à l'instar de celui de
Salzbourg) était doté du don de la mélodie loufoque à un degré peu commun,
tandis que les airs comiques de Chabrier ont généralement le souffle plus court
et que leur charme est moins immédiatement sensible.
Par contre, là où Chabrier l'emporte sur Offenbach et
presque tout le monde, c'est par la créativité inouïe qu'il déploie pour tirer
des effets drôlatiques des divers éléments du langage musical, au point où l'on
pourrait décrire la partition de L'Étoile comme une succession
ininterrompue de blagues sonores. Pour chatouiller le nerf humoristique de
l'auditeur, le compositeur a recours à toute une gamme d'artifices: tour
d'abord inattendu, et puis décidément saugrenu, donné à telle ou telle phrase
musicale; contraste risible entre le texte et la musique qui l'accompagne, ou
plutôt se joue de lui; joie enfantine prise à transformer les sonorités même
des mots en quelque chose comme un fragment de mélodie ridicule, etc. Mais là
où Chabrier se révèle comme un grand maître (et qui aura des élèves, dont
Strauss), c'est dans l'exploitation ludique et d'une inspiration jamais tarie
qu'il fait des mille et une ressources de l'orchestration, et surtout des
instruments à vent.
On imagine facilement la déconvenue du public de la
première production, en 1877, aux Bouffes (le théâtre même d'Offenbach!), lui
qui était habitué à des accompagnements instrumentaux soignés, mais
fonctionnels et simples. Après une quarantaine de représentations, l'opérette
fut donc retirée de l'affiche, pour entrer dans le purgatoire des
chefs-d'oeuvre méconnus dont on essaie de la faire sortir de nos jours.
Le public montréalais saura-t-il être plus indulgent?
On l'espère! Au fond, pour apprécier cette musique, il suffit de faire l'effort
de s'arracher au plaisir paresseux de l'écoute passive et de s'ouvrir les
oreilles... *
Opéra de Montréal
les 5, 9, 12, 14 et 17 novembre 2005 à 20 h
L'Étoile d'Emmanuel Chabrier
Michèle Losier (Lazuli), Frédéric Antoun (Le roi Ouf
1er), Marie-Josée Lord (Laoula), Monique Pagé (Aloès), Phillip Addis (Tapioca),
Orchestre Métropolitain du Grand Montréal et Chœur de l'Opéra de Montréal
direction de Jean-Marie Zeitouni.
Mise en scène de Mark Lamos. Décors et costumes du
Glimmerglass Opera et du New York City Opera.
Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts
http://www.operademontreal.com
- (514) 985-2258
L'Opéra de Montréal présente un autre technOpéra à la
[SAT]
Le jeudi 10 novembre à 19 h à la Société des arts
technologiques, on aura un avant-goût électrisant de L'Étoile de
Chabrier. L'événement comporte une conférence multimédia sur l'opéra, donnée
par David Lapierre, et un [Mix_Session] avec des chanteurs de l'Atelier
lyrique de l'Opéra de Montréal, placés au cœur de projections vidéos et sonores
conçues par les VJs et DJs de la [SAT]. Billets en vente à la porte (Gratuit
pour les abonnés 18-30 ans et les membres de la SAT). [SAT] : 1195, boulevard
Saint-Laurent, Montréal / http://www.sat.qc.ca
)
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