Philippe Bélanger et Pierre Grandmaison Cent ans à l'oratoire Saint-Joseph Par Réjean Beaucage
/ 18 octobre 2005
Une
création musicale de grande envergure soulignera la clôture des célébrations du
centenaire de l'oratoire Saint-Joseph. Avec plus de 400 interprètes, l'oratorio
de Pierre Grandmaison Plénitude et Résonances sera sans aucun doute la
création la plus importante de l'année à Montréal.
Lorsqu'il a été nommé titulaire des grandes orgues
Beckerath de l'oratoire Saint-Joseph, en 2002, Philippe Bélanger a dû commencer
à penser assez rapidement à la façon dont il entendait marquer le centenaire de
l'institution sise sur le flanc nord-ouest du mont Royal. « En effet,
explique-t-il, dès mon arrivée, on était en plein dedans et ça m'a plongé
rapidement dans l'histoire et la réalité de ce lieu, parce que ça débutait dès
octobre 2004, alors ça venait rapidement. On me demandait de soumettre mes
idées et celle d'une création était visiblement la bienvenue. Je n'avais
certainement pas le temps de composer quelque chose moi-même, mais je savais
que Pierre Grandmaison avait déjà composé une Messe solennelle pour les
célébrations du 350e anniversaire de Montréal (1992), entre autres œuvres, et
je connaissais aussi, pour l'avoir souvent entendu improviser, son côté créatif
s'exprimant en dehors du strict cadre liturgique. Je lui ai donc proposé l'idée
d'écrire un oratorio et nous avons beaucoup discuté des formes que ça pourrait
prendre. Pierre étant un grand liturgiste, il avait de bonnes idées sur la
direction que pourrait prendre une telle œuvre et puis un jour nous avons
soumis le projet qui, finalement, a été accepté. L'idée est de mettre en valeur
la réalité acoustique et historique de l'oratoire à travers une expérience
musicale et sensorielle. »
On connaît surtout Pierre Grandmaison comme titulaire
des grandes orgues Casavant de Notre-Dame à Montréal, depuis 1973. Son
catalogue compte, outre la Messe solennelle précitée, une Messe «
Notre-Dame de Montréal » pour le 150e anniversaire du diocèse de
Montréal (1986) et une messe en l'honneur de Marguerite d'Youville (1991). «
J'ai aussi composé des motets, précise-t-il, de même qu'une symphonie, qui est
toujours dans l'ordinateur... La Symphonie Theos pour choeur, orgue et
grand orchestre (1988) est dédiée à Jean-Paul II, à qui j'ai d'ailleurs remis
la partition. Je suis très attiré par la musique sacrée, probablement par
déformation professionnelle, étant plongé dans la liturgie près de 365 jours
par année. Cela étant dit, je ne détesterais pas relever le défi de faire de la
musique de film, comme j'en ai déjà fait pour Walt Disney ou pour la
télévision. »
In situ
La basilique de l'oratoire, inaugurée en 1955, est un
lieu impressionnant qui peut accueillir 3 500 personnes assises et son dôme est
le plus grand au monde après celui de Saint-Pierre de Rome, des
caractéristiques qui ont évidemment un impact sur la musique que l'on y
interprète. « Je fréquente l'oratoire depuis ma plus tendre enfance, explique
Pierre Grandmaison, alors que j'allais y écouter le prédécesseur de Philippe
[Raymond Daveluy a été titulaire de l'instrument dès son inauguration en 1960,
et jusqu'en 2002]. J'ai donc appris à connaître l'oratoire et son acoustique,
et toute la mystique interne de ce lieu qui est assez unique. Ce qui m'a
toujours impressionné, c'est bien l'acoustique, et je peux dire que j'aimerais
avoir l'équivalent à Notre-Dame ! Plénitude et Résonances a bien sûr été
pensée en fonction des caratéristiques particulières de l'endroit. »
L'effectif rassemblé pour interpréter l'œuvre est à
lui seul impressionnant : on compte l'Orchestre Métropolitain du Grand Montréal
gonflé à 97 musiciens et accompagné des chœurs de l'université McGill, de
l'église Saint Andrew et Saint Paul et du chœur des Petits Chanteurs du
Mont-Royal (ce dernier sous la direction de Gilbert Patenaude), avec Jean
Laurendeau aux ondes Martenot et Philippe Bélanger à l'orgue. Le choix du chef
attitré de Opera McGill, Julian Wachner (lui-même compositeur et organiste),
pour diriger l'ensemble n'est pas gratuit, comme l'explique Philippe Bélanger :
« Les organistes sont habitués à devoir gérer l'acoustique, manipuler la
réalité de réverbération d'un lieu ; quelquefois, ça pourra nous empêcher de
faire certaines choses, mais ça en permettra d'autres. Les organistes qui
donnent souvent des concerts dans des lieux différents doivent s'adapter à
l'acoustique et cela devient un art en soi. Pierre est un organiste/compositeur
qui a tenu compte de ces paramètres particuliers dans son travail et le fait
que ce soit dirigé par un autre organiste/compositeur est important parce que
ce dernier comprendra clairement l'intention du compositeur. On entend quand
même rarement des orchestres dans des lieux qui ont plus de 9 secondes de
résonance. Je pense que l'on passerait complètement à côté en jouant cette
œuvre dans une salle de concert à l'acoustique sèche. »
Le compositeur créé même des effets en plaçant des
cuivres et des chœurs dans le dôme ! « C'est une œuvre très spatialisée,
confirme-t-il ; par exemple, j'ai deux groupes de timbales, à gauche et à
droite, avec lesquels je fais des effets stéréophoniques. » Et l'utilisation
des ondes Martenot arrive un peu comme une surprise pour une œuvre de ce genre.
Pierre Grandmaison précise : « sans copier personne, j'ai beaucoup étudié les
partitions de Honegger et Messiaen, que je considère comme des maîtres de
l'écriture pour cet instrument. De plus, comme j'ai une immense orchestration
(15 bois, 7 cuivres, 5 percussionnistes, les claviers, et les 5 811 tuyaux de
l'orgue !), j'ai consulté quelques grandes partitions. Deux des partitions qui
ont été très utiles sont celle du War Requiem, de Britten, et celle du Sacre,
de Stravinksi, une véritable leçon d'orchestration ! L'écriture de ma pièce est
atonale, puis très tonale ; les deux se côtoient. » Philippe Bélanger ajoute :
« On peut reconnaître à l'oratoire des essences d'il y a 100 ans, puis
d'autres d'il y a 50 ans ; certaines sont tout à fait contemporaines, tandis
que des plans se font pour l'avenir. Il y a tout ça dans cette musique. On ne
célèbre pas le jour du 100e anniversaire, mais bien un siècle d'histoire. »
Le texte est basé sur ceux de l'office divin, des
textes des Pères de l'Église et certains textes de l'Apocalypse. Le compositeur
précise : « C'est une œuvre religieuse, mais concertante ; elle n'est pas
liturgique. Elle est en cinq mouvements qui sont autant d'états, et construite
en forme d'arche, le troisième mouvement, Hymne d'actions de grâce,
étant passablement actif ; on monte vers un sommet de luminosité pour
redescendre vers une luminosité intérieure. »
Un événement monumental qui réserve sans doute de
grandes surprises et de grandes émotions. Un événement, il faut aussi le
souligner, pour lequel on ne prévoit pour le moment que deux représentations. À
ne pas manquer.
Plénitude et Résonances, oratorio pour double
chœur, orgue, ondes Martenot et orchestre symphonique, présenté en première
mondiale le vendredi 28 et le samedi 29 octobre 2005 à l'oratoire Saint-Jospeh
- 3800, chemin Queen-Mary, Montréal. (514) 733-8211
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