Le point de vue des musiciens Par Réjean Beaucage
/ 22 septembre 2005
Le
mois d'août étant un mois de vacances à l'OSM, ce n'est que quelques jours
avant la date de tombée du présent numéro que LSM a pu discuter de cette
situation di(check)cile avec Marc Béliveau, président de l'Association des
musiciens de l'OSM.
LSM : Le mois d'août a été fécond en réfiexions sur les
tenants et aboutissants du confiit opposant l'administration de l'OSM à ses
musiciens. Le 18 août, le critique musical du quotidien La Presse, Claude
Gingras, spéculait sur la possibilité de dissoudre l'orchestre et de le faire
renaître sous un autre nom, avec une nouvelle convention collective et des
musiciens qui en accepteraient les termes...
Marc Béliveau : Ce serait vraiment dommage
d'aller dans ce sens-là. L'OSM a un nom qui est le sien depuis plusieurs
décennies et qui est garant d'une grande réputation parmi les orchestres
importants, ce serait donc regrettable de s'imaginer que l'on puisse effacer
tout ça du revers de la main. On ne connait pas la recette magique pour obtenir
un orchestre de cette qualité... Sinon, il y en aurait partout, et ce n'est pas
le cas.
LSM : Les négociations entre l'administration et les
musiciens ont été suspendues en juillet dernier parce que l'administration a
refusé les propositions, présentées en bloc, des musiciens, sous prétexte
qu'elles comportaient des reculs par rapport à d'autres propositions faites
dans le courant du mois de juin.
MB : C'est faux. En juin, les médiateurs nous
ont demandé de présenter des offres pour le volet normatif. Il restait à ce
moment-là une qinzaine de points auxquels nous avons apporté une trentaine
d'allègements, mais il était important pour nous que cette offre soit
considérée comme « globale ». Cependant, l'administration a refusé de la
considérer comme telle et nous a présenté une contre-offre qui ne reprenait que
les points qu'elle voulait bien accepter. Nous avons refusé cette contre-offre
et retiré la nôtre. En juillet, nous avons présenté une nouvelle proposition
calquée sur l'attitude de l'administration (si elle acceptait de nous offrir
0.2 % de plus, nous acceptions de baisser notre demande de 0.2 %, par exemple).
Sur le volet normatif, comme notre offre globale de juin n'avait pas été
acceptée, nous sommes revenus à ce que nous avions proposé avant juin.
LSM : Selon les calculs de l'administration, vos
demandes semblent peu en phase avec le contexte économique montréalais et si
l'on peut comparer l'OSM à d'autres grands orchestres au point de vue de la
qualité, il est impossible de le faire au point de vue financier...
MB : J'ai de la di(check)culté avec le
concept qui consiste à se cacher derrière l'économie montréalaise, quand à tout
juste 180 kilomètres de distance, soit à Ottawa, il y a une ville à l'économie
tout à fait comparable et qui entretient un orchestre dont les musiciens sont
payés 20 % de plus que nous.
LSM : Vous parlez de l'Orchestre du Centre national des
Arts (OCNA), qui compte beaucoup moins de musiciens que celui de Montréal.
MB : C'est vrai, mais il n'a pas la
réputation que nous avons... Il n'a pas 35 tournées internationales derrière
lui et 90 enregistrements sur le marché... Ce que je veux souligner, c'est que
depuis le début de cette négociation nous demandons la parité avec Ottawa, et
que cette parité n'équivaut pas à une augmentation de 85 %... Il faut aussi
dire que nous avons à peine parlé du volet monétaire durant ces négociations,
très occupées par le normatif, et s'il est vrai que nos demandes à ce chapitre
sont très élevées, il faut comprendre que c'est une position de négociation...
Je vous dirai très sincèrement que nous sommes des musiciens, pas des
comptables, et que l'on apprend aussi au fur et à mesure du déroulement des
choses. On s'aperçoit que l'on n'avait pas réalisé l'importance du résultat
cumulé de nos demandes, et je crois que nous sommes prêt à apporter à la table
quelque chose de plus réaliste.
Ce qui reste un peu déplorable, c'est la vision de
l'adminstration dans tout ce dossier. Entre 1990 et 2005, le budget del'OSM a
augmenté de 10 %, tandis que l'infiation a augmenté de 40 %. Cela réduit
évidemment le pouvoir d'achat de l'OSM de 30 % par rapport à 1990, mais je ne
crois pas que ce soit la faute des musiciens... Il y a un travail administratif
qui n'a pas été fait. Pour obtenir un produit qui touche l'excellence, il faut
s'assurer de demeurer compétitif et de pouvoir aller chercher les meilleurs
musiciens.
LSM : Que dites-vous de l'argument selon lequel la
présence de l'OSM à Montréal durant 46 semaines en raison de l'absence de
tournée épuise le public?
MB : Vous savez, un orchestre comme celui
d'Ottawa fait environ 55 programmes différents dans une année, tandis que, pour
le même nombre de semaines et le même nombre de services, nous en faisons plus
de 90... Je crois donc que l'on peut remplir 46 semaines à Montréal. Les
tournées sont importantes pour la visibilité de Montréal, mais pas pour la
survie de l'orchestre. Quant aux enregistrements, sont-ils absolument
préalables aux tournées? Ça me semble moins tangible. Presque tout a déjà été
enregistré, c'est d'ailleurs l'une des raisons des di(check)cultés du marché,
je ne suis donc pas prêt à dire que les deux sont indissociables. Quant à
l'offre de majorer notre rémunération de 25 % lors d'enregistrements, nous ne
l'avons ni acceptée, ni refusée, puisqu'il n'en a pas encore été question en
négociation... On nous offre aussi de partager les profits, mais on ne s'attend
pas à en faire...
LSM : En bref, comment peut-on penser augmenter le
budget de l'orchestre pour répondre à vos souhaits ?
MB : Je crois qu'il serait possible de faire
preuve de plus d'agressivité afin d'aller chercher de nouveaux auditeurs, du
côté de la programmation par exemple. D'autre part, le mécénat au Québec est
deux fois moins important que dans le reste du Canada. Il faudrait peut-être
songer à de nouvelles législations pour l'encourager. D'ici-là, cependant, je
pense que nous devrons malheureusement demander au gouvernement de nous aider.
On voit l'inéquité du côté fédéral entre les subventions octroyées à l'OCNA et
à l'OSM. Du côté de Montréal, si la ville veut continuer à profiter du nom
prestigieux de l'OSM, on devra peut-être augmenter le financement qu'on lui
offre, qui est actuellement de 400 000 $.
LSM : À propos de prestige, ne craignez-vous pas que
cette tourmente indispose Kent Nagano ?
MB : Monsieur Nagano nous a donné
l'impression d'être quelqu'un qui n'a qu'une parole et qui respecte ses
engagements. Il s'est donc engagé auprès de l'OSM jusqu'en 2012 et nous n'avons
rien entendu qui le contredise. Il nous a dit avoir été attiré par Montréal en
raison de la qualité des musiciens et c'est ce que nous cherchons à préserver.
Un chef, si bon soit-il, n'obtient de bons résultats qu'avec de bons
musiciens... Évidemment, il est normal que les gens se posent des questions,
surtout si l'on fait courir dans les médias des spéculations sur le
démantèlement de l'orchestre... Je persiste à dire que la situation pourrait se
régler très rapidement, les deux parties devant bien sûr mettre de l'eau dans
leur vin. On est forcé de s'entendre, et on trouvera une façon de le faire. *
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