50 chandelles pour Jean Derome Par Marc Chénard
/ 22 septembre 2005
En
juin dernier, le saxophoniste, fiûtiste et compositeur Jean Derome célébrait
ses 50 ans. Reconnu comme l'un des chefs de file de ces musiques dites «
actuelles » au Québec, cet artiste aux multiples talents compte parmi les
membres fondateurs de la maison de disques Ambiances Magnétiques. Pourtant,
Derome roulait déjà sa bosse depuis plus de dix ans sur les scènes
montréalaises avant la création de ce label en 1983.
L'Avant-Ambiances
En juillet dernier, dans son domicile du
Plateau-Mont-Royal, Derome retraça pour nous les principaux jalons d'une
carrière déjà fort bien remplie. Pour lui, tout a commencé avec une modeste
fiûte à bec, instrument joué d'abord par sa mère. Esprit curieux et aventureux
de nature, il se mit à expérimenter sur le tôt, il s'amusa, entre autres, à
démonter un piano passablement mal en point hérité d'un voisin pour en utiliser
les cordes. Vers quinze ans, il se procure sa première fiûte traversière et s'y
consacrera exclusivement pendant plus de dix ans, adoptant par la suite le
saxophone alto au début des années 80, suivi du soprano et du baryton.
En 1971, il fait ses débuts professionnels au sein du
groupe Octographe, mais c'est au sein du trio Nébu qu'on commence à le
remarquer. Durant cette même décennie, il côtoya deux regroupements importants,
soit l'Atelier de musique expérimentale (AME) et l'EMIM (Ensemble de Musique
Improvisée de Montréal). Par ailleurs, il se produisit à l'Amorce, la
légendaire boîte du Vieux-Montréal gérée par le tout aussi légendaire Quatuor
du Jazz Libre du Québec.
Au fil des ans, Jean Derome s'est aussi frotté à
plusieurs grandes pointures internationales, entre autres le regretté
saxophoniste Steve Lacy (une importante infiuence, de son propre aveu), le
batteur hollandais Han Bennink, sans oublier le très infiuent guitariste Fred
Frith, avec qui il a enregistré et tourné. Parmi ses confrères montréalais, il
su(check)t de mentionner les deux Pierre (Tanguay et Cartier, avec qui il forme
le trio Évidence, ensemble voué au répertoire de Monk), Normand Guilbeault et,
bien sûr, sa compagne Joane Hétu. Pourtant, c'est son duo Les granules avec le
guitariste René Lussier qui reste son aventure la plus marquante pour le
public, une collaboration de plus de vingt ans qui se termina pour de bon en
1997.
De l'impro à la compo
Musicien aux multiples talents instrumentaux, Derome
joue de trois fiûtes et d'autant de saxophones, en plus d'un arsenal de jouets
et de « cossins » qu'il utilise dans ses moments les plus ludiques. Connu sur
nos scènes comme improvisateur chevronné, il est aussi un compositeur
protéiforme, se projet le plus connu étant son ensemble les Dangereux Zhoms, ou
encore un projet plus récent, « Canot-Camping », une improvisation structurée
pour grand ensemble qui sera présentée dans le Vieux-Port les 24 et 25 de ce
mois-ci dans le cadre de l'événement Escales Improbables (voir article en p.
47)
Moins connu du grand public, son travail de
compositeur pour le cinéma est un élément non-négligeable de son univers
musical. Au festival du Nouveau Cinéma, fin octobre, on pourra entendre des
musiques écrites pour deux films d'animation (« Liaisons » et «Rupture »),
produits par Jean Detheux, un cinéaste d'origine belge établi au Canada.
Récipiendaire de plusieurs distinctions, notamment le
« Freddy Stone Award » -- décerné à un artiste actif dans le domaine des
musiques créatives au Canada -- et un prix Opus pour l'artiste québécois ayant
eu le meilleur rayonnement international, Jean Derome se dit un assidu du
travail, habitude acquise sur le tôt lorsqu'il dut travailler d'arrache-pied
pour se qualifier à l'examen d'entrée en fiûte au Conservatoire de Montréal. Au
fil des ans, il a été confronté à des situations qui ont été très instructives
sur les réalités quotidiennes du musicien de jazz. Il aime raconter sa première
visite à New York en 1973, lorsque Pierre Cartier et lui partirent à la
recherche du célèbre centre de performance animée par le saxophoniste Sam
Rivers, le Studio Rivbea. En dépit des propos élogieux tenus dans les magazines
français, les deux jeunes québécois eurent toutes les peines du monde à trouver
l'endroit, dans le Lower East Side. Entendant de la musique au seuil de la
porte, ils suivirent le son et furent accueillis par Rivers, balai en main, qui
leur expliquait qu'il effectuait des travaux de rénovation. Pourtant, en
apprenant que les deux visiteurs étaient de Montréal, le célèbre musicien se
montrait plus que désireux de se rendre à Montréal avec ses accompagnateurs de
marque, le batteur Barry Altschul et le bassiste... Dave Holland !
Accueilli sur des scènes partout dans le monde, de
Montréal à Vancouver, de Bologne à Santiago et même à Perth en Australie, Jean
Derome reste quand même fidèle à son bercail, si bien qu'il est mu par un
principe de loyauté inébranlable envers ses collaborateurs de longue date. Qui
plus est, il se sert aussi du principe premier arrivé, premier servi au moment
de fixer ses engagements : peu importe qu'on lui fasse une offre plus
alléchante pour un autre spectacle, il respecte toute date déjà arrêté dans son
calendrier. Tout aussi généreux dans son propos verbal que musical, Jean Derome
a tracé une voie importante dans la musique au Québec, bien que la
reconnaissance du genre musical auquel il est associé a longtemps tardé à venir
de la part des instances publiques. Lui et les siens ont en quelque sorte été
des pionniers et il constate que d'autres bénéficient aujourd'hui de leurs
efforts pour se placer les pieds. Carrière bien remplie, certes, mais
souhaitons lui encore bien d'autres années à poursuivre cette aventure
actuelle, dont il est l'un des plus dignes et sympathiques représentants. *Au
mois d'octobre, Jean Derome aura l'occasion de croiser le fer avec un autre
musicien de renommée internationale, le saxo ténor et soprano britannique Evan
Parker. On en reparlera le mois prochain, c'est promis.
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