Jane Eaglen – La wagnérienne Par Wah Keung Chan
/ 22 septembre 2005
English Version... Pas
de vacances estivales pour l'anglaise Jane Eaglen. La plus éminente Brünnhilde
de sa génération rentrait au travail en juin pour l'événement de l'été, soit
les trois représentations consécutives de L'Anneau du Nibelung de
Wagner, à l'Opéra de Seattle. Deux mois de répétitions plus tard, L'Anneau
de Seattle reçut des critiques favorables, avec une bonne part d'éloges pour
Eaglen.
L'interprétation de Brünnhilde relève de l'exploit. De
tous les rôles de L'Anneau de Wagner, œuvre grandiose en quatre opéras,
celui de l'héroïne, Brünnhilde, est sans contredit le plus exigeant: il
requiert non seulement assez d'endurance pour chanter trois opéras en cinq
soirs, mais aussi une voix puissante, qui porte au-delà de l'orchestration
wagnérienne, de même qu'une grande sensibilité émotive pour donner souffle au
drame. Parmi les plus grandes interprètes de ce rôle, on retrouve Frida Leider,
Kirsten Flagstad et Birgit Nilsson. L'espoir d'aujourd'hui est Jane Eaglen, qui
s'est jointe à la production de L'Anneau de Seattle en 2005, tout juste
après avoir participé à une production du même cycle à Chicago.
Bien qu'Eaglen ait chanté L'Anneau de
nombreuses fois, cette production est différente en raison de la longueur de la
période des répétitions (en prime, l'événement a lieu à Seattle, son lieu de
résidence !) et aussi parce qu'Eaglen travaille avec le metteur en scène
Stephen Wadsworth sur une reprise de la production de 2001 de L'Anneau à
Seattle. «Cette fois-ci, le spectacle est plus satisfaisant du point de vue
dramatique», affirme Eaglen.
Wagner a une signification toute spéciale pour Eaglen.
« Je suis née pour chanter Wagner », remarque-t-elle. Ce sentiment fut appuyé
par d'autres alors qu'Eaglen était encore très jeune. «J'étudiais le piano à
l'âge de cinq ans et, à un moment donné, je voulais être pianiste ou chef
d'orchestre. Mon professeur de piano m'a suggéré d'étudier le chant et, après
quelques leçons, j'en suis devenue une accro ! » Après quelques années de
leçons avec un professeur local qui voyait en elle le potentiel d'une future
Norma ou Brünnhilde, Eaglen a passé des auditions au Guildhall School of Music
de Londres, mais elle ne fut pas acceptée.
À l'age de 18 ans, Eaglen passa les auditions du Royal
Northern College of Music à Manchester. Joseph Ward reconnut son potentiel et
la prit comme étudiante. «Il croyait que le corps prenait du temps à développer
suffisamment de force, dit Eaglen. Je n'avais pas une voix exceptionnelle à
l'époque, mais il savait que ça demandait du temps.» En quelques semaines, Ward
l'orienta vers des rôles tels que Norma et Brünnhilde. « Il a ciblé quatre ou
cinq notes au cœur de ma voix qui avaient une sonorité particulière, se
souvient Eaglen. Il croyait que je finirais par chanter les opéras de Bellini
et de Wagner, donc aussi bien commencer à me familiariser avec la musique et
les styles. Nous nous sommes mis à travailler des extraits de Bellini et de
Wagner, mais c'était uniquement les extraits que j'étais capable de chanter:
des lignes de "Casta Diva" de Norma ou encore la musique de Sieglinde
extraite de Die Walküre, mais sans les notes aiguës. »
Les notes aiguës sont venues avec le temps. La clé de
son développement ? « Nous avons travaillé une méthode de bel canto. Selon
Ward, nous chantons avec tout le corps. Les cordes vocales et le souffle
doivent être supportés par les muscles du corps. Nous avons développé le
diaphragme afin qu'il appuie sur le souffle. Il faut plus d'intensité pour
chanter des notes aiguës et pour chanter doux. Chanter un opéra est comme
courir un marathon. Lorsque je donne des classes de maître, je veux que les
étudiants comprennent que le chant est un travail très exigeant sur le plan
physique. Beaucoup de chanteurs ne chantent pas avec tout leur corps. »
En 1984, après avoir été rigoureusement encadrée par
Ward pendant quatre ans, Eaglen s'est jointe à l'English National Opera pour y
chanter des rôles de soutien. Elle fit sa percée lorsqu'elle joua le rôle de
Donna Anna dans Don Giovanni de Mozart, avec l'Opéra d'Écosse, au sein
duquel elle joua également les rôles de Tosca et de Norma.
La diva anglaise a un faible pour la ville de Seattle.
En janvier 1994, Eaglen a remplacé Carole Vaness à la dernière minute dans la
production de Norma donnée par l'Opéra de Seattle; sa performance
provoqua un grand enthousiasme. Les enregistrements en direct de sa performance
subséquente de Norma, parus sous les étiquettes Opera d'Oro et EMI,
furent également très bien accueillis. Speight Jenkins, directeur général de
l'Opéra de Seattle, est intervenu rapidement : « Quelques jours après que Jane
Eaglen ait fait ses débuts américains non planifiés à Seattle, je lui ai
demandé si elle jouerait le rôle d'Isolde. Elle a accepté avec enthousiasme.
J'ai ensuite demandé à Ben Heppner s'il accepterait de jouer le rôle de
Tristan. » Le ténor héroïque canadien s'est joint à la production, et les deux
chanteurs ont donné une première performance triomphale lors de la
représentation estivale de Tristan und Isolde en 1998, qui fut la
production la plus marquante de cette année-là. Le spectacle de « Ben et Jane »
s'est ensuite rendu au Metropolitan Opera en 1999 (où il fut filmé et diffusé
sur PBS) et à Chicago en 2000. Pendant ce temps, Eaglen fit ses débuts au Lyric
Opera de Chicago avec son interprétation de Brünnhilde en 1996, répétant le
rôle à l'été 1999 avec l'Opéra de San Francisco et au printemps 2000 avec le
Metropolitan Opera, avant de retourner à Seattle pour la production 2001 de L'Anneau.
En 1999, elle épousa un bénévole de l'Opéra de Seattle, Brian Lyson, et le
couple s'installa à Seattle. Depuis, elle se produit régulièrement à l'Opéra de
Seattle, notamment dans le rôle de Leonore de l'opéra Fidelio de
Beethoven, dans le rôle-titre de Turandot de Puccini et dans le
rôle-titre d'Ariadne auf Naxos de Richard Strauss. À l'Opéra de Seattle,
elle a obtenu le prix de l'artiste de l'année à deux reprises.
Pour ce qui est des enregistrements d'Eaglen, il
existe un vaste catalogue d'interprétations d'œuvres de Bellini, de Wagner et
de Puccini; un enregistrement attendu de Tristan und Isolde est
toutefois en suspens en raison de certaines incertitudes de l'industrie. Sa
façon d'approcher la musique de Bellini et de Wagner est un sujet favori des
intervieweurs. « Je chante la musique de Wagner à la manière italienne, plutôt
que de chanter de la musique italienne à la manière allemande. On approche la
musique en chantant des lignes et des phrases. Dans le passé, Frieda Leider et
Lilli Lehmann ont interprété à la fois des œuvres italiennes et des œuvres de
Wagner. » Néanmoins, il est difficile de ne pas cataloguer Eaglen comme une
soprano wagnérienne, étant donné que celles-ci se font rares. Toujours à la
recherche de nouveaux défis, Eaglen a abandonné Turandot. « Je trouve
insatisfaisant d'être là debout pendant 18 minutes à chanter en ne faisant que
pointer du doigt. » Un saut vers la comédie avec Die Fledermaus de
Johann Strauss suivra son agréable expérience dans la production d'Ariande auf
Naxos de Richard Strauss à Seattle. Pour ce qui est des œuvres
dramatiques, un rôle est prévu pour Eaglen dans Macbeth de Verdi à
l'Opéra de Vancouver en Septembre 2006, un rôle qu'elle a évité dans le passé.
« Je ne le chanterai pas de façon vulgaire. Je le chanterai en bel canto, avec
de l'expression dramatique dans la voix. »
Récemment, Eaglen a reçu un doctorat honorifique de
l'Université McGill soulignant l'ensemble de ses réalisations. Lors de
l'allocution de la remise de son diplôme, Eaglen a précisé que la musique
classique est la plus stimulante et la plus énergisante qui soit. « Je crois
que nous avons tous besoin de divertissement sous une forme ou une autre; en
tant que fournisseurs de divertissement, nous devons être fiers de pouvoir
parvenir à rendre les autres plus heureux grâce à nos efforts. »
« Je sais que je travaille mieux si j'ai d'autres
choses dans ma vie... ma propre forme de divertissement. Pour moi, cela
comprend le baseball, aller encourager les Mariners de Seattle, ce qui est
souvent un exercice futile, ou aller au cinéma, lire et même regarder American
Idol à la télévision. Toutes ces choses me permettent de me reposer l'esprit,
de décrocher de mon travail. Jusqu'à récemment, j'écoutais aussi une cassette
que j'appelais ma "cassette d'échauffement," qui comprenait diverses chansons
de Meatloaf, de Whitney Houston et de Bonnie Tyler. Je chantais avec la musique
dans la douche tout en me préparant à aller au théâtre; il s'agissait
véritablement d'un échauffement, mais ça me mettait aussi de bonne humeur et me
donnait de l'énergie. Il n'y a rien de mieux que de chanter "Holding Out for a
Hero" à tue-tête pour se préparer à sauver le monde dans la peau de Brünnhilde.
C'était mon divertissement et ça me préparait pour mon travail. »
« J'ai eu la chance de me lier d'amitié avec un acteur
remarquable, le défunt Roddy McDowell, et une fois, j'ai eu une conversation
similaire avec celui-ci. Nous discutions d'un constat qui est souvent fait dans
notre milieu, à savoir que nous ne faisons pas un travail "qui sauve des vies".
À ce sujet, McDowell a dit : "C'est vrai, mais le chirurgien qui sauve des vies
vient entendre un concert, un opéra ou un récital, et il se sent mieux par la
suite. Le lendemain, il peut donc mieux faire son propre travail, ce qui rend
le nôtre tout à fait utile." » *
[Traduction : Christiane Charbonneau]
Concert
Jane Eaglen interprète le rôle de Sieglinde dans le premier acte de Die Walküre
de Wagner avec l'Orchestre symphonique de McGill, sous la direction d'Alexis
Hauser. Stefano Algieri, professeur de chant à McGill, interprète le rôle de
Siegmund, et Joseph Rouleau est en vedette dans le rôle de Hunding. 30
septembre 2005, 20 h, (514) 842-2112.
Chanteuses préférées :
Birgit Nilsson et Maria Callas
Compositeur méconnu préféré : Benjamin Britten
Œuvre préférée : L'Anneau de Wagner
Lecture actuelle : Harry Potter
Sonnerie de téléphone cellulaire : "The Muppets"
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