En périphérie… de la musique américaine Par Réjean Beaucage
/ 7 août 2005
L’été est la saison des festivals de jazz et même les
festivals qui n’en font pas une spécialité font souvent une bonne place au
genre, que ce soit au Festival de musique de chambre de Montréal, au Festival
de Lanaudière, à celui du Domaine Forget, ou ailleurs encore. On dit
souvent du jazz qu’il est la « musique américaine » par excellence. C’est
peut-être vrai, mais ce n’est certainement pas la seule ! Petit voyage dans
l’univers musical de quelques compositeurs américains.
Philip Glass
Associé au développement, dans les années 60, du
minimalisme américain, aux côtés de Steve Reich ou Terry Riley, Philip Glass
est regardé de haut par les tenants d’une musique contemporaine qui s’inscrit
dans le chemin ouvert par la musique sérielle. Accentuant dans sa propre
musique les diverses caractéristiques de la musique minimaliste (musique
tonale, prédominance du rythme, répétition, etc.), Glass a presque atteint un
statut de pop star à travers ses bandes sonores de films (Koyaanisqatsi [1982],
Powaqqatsi [1987]) et certaines œuvres pour la scène (Einstein on the
Beach [1976], The Photographer [1982], 1000 Airplanes on the Roof
[1988], etc.). Ses collaborations avec des artistes de musique populaire ont
achevé de l’ostraciser aux yeux des amateurs de « musique sérieuse »
(arrangements de musiques de David Bowie et Brian Eno pour « Low » Symphony
[1982] et « Heroes » Symphony [1996], collaborations avec Paul Simon,
Suzanne Vega, David Byrne et Laurie Anderson pour Songs from the Liquid Days
[1986], etc.). De plus, le compositeur a le tort d’être prolifique, ce qui
amène bien sûr de l’eau au moulin de ceux qui taxent sa musique de facilité…
Elle n’en porte pas moins une signature reconnaissable entre toutes, et qui ne
manque pas d’imitateurs. Quatre parutions récentes tracent un bon portrait du
compositeur (il y manque cependant des œuvres vocales, très présentes dans son
catalogue).
Saxophone – Orange Mountain Music (OMM 0006)
La compagnie Orange Mountain Music a été mise sur pied
pour « servir les fans, aficionados et chercheurs qui
s’intéressent à la musique de Philip Glass ». On compte y archiver les
centaines d’heures d’enregistrements dont le compositeur est le dépositaire :
œuvres préparatoires, raretés, enregistrements de concerts, etc. Ce disque-ci
recueille, comme son titre l’indique, des œuvres interprétées au saxophone (le Concerto
for Saxophone [1995] en version pour quatuor, par le Raschèr Saxophone
Quartet; Melodies for Saxophone [1995], par Andrew Sterman; The
Windcatcher [1992], par les Philip Glass Ensemble Woodwinds). Le Concerto,
dans cette version-ci (la version orchestrale offre un mouvement à chacun des
membres du quatuor) est un petit bijou du genre. Les qualités propres de la
formation y sont exploitées avec une grande efficacité et l’interprétation est
impeccable. Les Melodies, pour saxophone solo, et composées pour le
théâtre, sont en fait un cahier de travail pour le Concerto, auquel le
compositeur travaillait simultanément. Elles ne manquent pas d’intérêt en soi,
mais gagnent à être mises en contexte. La dernière œuvre met en valeur les
trois souffleurs du Glass Ensemble, qui se doublent eux-mêmes dans cette
version pour sextuor originellement composée pour flûte et piano. Il s’agit
d’une illustration parfaite de la marque de commerce (ou du tic) du
compositeur, soit l’utilisation de très courtes cellules rythmiques répétées
pour former une mélodie.
The Music of Philip Glass transcribed & performed
by Paul Barnes (OMM 0008)
Etudes for Piano vol. 1, No. 1-10 (OMM 0009)
Le premier disque regroupe des transcriptions pour
piano de musiques de scène. Le genre implique une diversité de styles qui n’est
pas toujours au rendez-vous avec Glass et c’est, évidemment, tant mieux. De la Orphée
Suite (d’après l’œuvre de Jean Cocteau) à Epilogue from Monsters of
Grace, en passant par la Trilogy Sonata, qui emprunte ses thèmes
à trois œuvres différentes pour former une sonate, le piano nous montre
principalement un Glass romantique, évoluant entre la contemplation et
l’onirisme. Les Etudes sont interprétées par Glass lui-même, qui les a
composées autant pour se délier les doigts que pour fournir de la matière à ses
concerts en solo. Ce ne sont donc pas des morceaux de bravoure pour pianiste
virtuose, mais bien plutôt des croquis de thème, des morceaux de l’univers
intime du compositeur, d’où leur intérêt.
Symphonie Nos. 2 and 3, Naxos (8.559202)
Si la musique de Philip Glass est populaire, c’est
bien sûr parce que l’homme a une écriture d’une efficacité redoutable et sa
musique pour orchestre en offre un très bon exemple. Dans les deux symphonies
reproduites ici, le compositeur explore plus qu’à son habitude les ressources
de la polytonalité et il en résulte une musique très dense. La Deuxième
symphonie, en trois mouvements, est interprétée par le Bournemouth
Symphony Orchestra sous la direction de Marin Alsop. Les deux premiers
mouvements sont lourds et graves, puis l’orchestre explose d’une joie soudaine
au troisième. La brillance des cuivres se frotte constamment à la rondeur
soyeuse des cordes, formant par opposition des cellules rythmiques répétées
jusqu’au vertige. La Troisième symphonie est écrite dans le format
classique de quatre mouvements, pour un ensemble de 19 cordes, qui commande une
écriture bien différente de celle pour grand orchestre. Glass y démontre encore
une fois une facilité à séduire qui reste déconcertante, mais, dans l’ensemble,
le fait qu’il soit l’inventeur de ce style qui a fait sa marque nous pousse à
laisser passer une propension à la redite qui serait inexcusable chez d’autres
compositeurs.
John Adams
Ehnes/Russo: Road Movies – Black Box (BBM1098)
John Adams est né 10 ans après Philip Glass, et sa
musique s’inscrit aussi dans le courant minimaliste américain, mais dans une
veine plus proche du style d’un Steve Reich. Adams, cependant, s’il base sa
musique sur différents processus de transformation graduelle, à la manière de
Reich, s’octroie des libertés dans la construction qui empêchent de le classer
comme compositeur de « musique répétitive », un terme souvent associé aux
minimalistes. On peut entendre ici ses deux premiers opus, Phrygian Gates,
un slalom géométrique de 30 minutes entre les modes Lydien et Phrygien, et China
Gates, une variation « pour jeune pianiste » de la précédente. Les deux
pièces datent de 1977 et sont interprétées par Andrew Russo au piano. James
Ehnes le rejoint dans Hallelujah Junction (1996), pour deux pianos, un
extraordinaire dialogue rythmique entre les deux instruments, qui n’est pas
sans rappeler par moments les expériences de Conlon Nancarrow. La dernière
œuvre, Road Movies (1995), la seule du compositeur pour violon et piano
(où Ehnes retrouve son Stradivarius), se déploie en trois mouvements qui
offrent autant d’ambiances bien différentes. Trois paysages américains mis en
lumière par d’excellents interprètes.
Voir dans la section des critiques (musique
contemporaine) : David Behrman, Lukas Foss et le livre d’Adelaida Reyes Music in
America.
|