Chanter pour gagner — Les compétitions vocales : le chemin vers le sommet ? Par Joseph So
/ 14 mai 2005
English Version... De
nombreux et merveilleux chanteurs canadiens atteignent le sommet, mais ils ne
représentent qu’une portion de ceux qui ont le potentiel de poursuivre une
carrière importante.
Un gérant d’artistes disait lors d’une entrevue: “Plus que partout ailleurs au
monde, Manhattan a le plus grand nombre de voix fabuleuses attendant d’être
découvertes, mais il n’y a que un pour cent de ces chanteurs qui réussiront.»
Un taux de probabilité peu encourageant ! Un bon moyen de se faire remarquer
est donc de participer aux nombreuses compétitions vocales annuelles. Les
Canadiens y ont une longue histoire de succès. La Torontoise Teresa Stratas —
issue d’une famille d’immigrants de la classe ouvrière, a chanté sur les plus
grandes scènes du monde après avoir gagné les auditions du Met à la fin des
années 50. Après des années passées à lutter pour se faire une place dans le
monde de l’opéra, Ben Heppner s’est rendu aux finales du Met et a remporté le
Birgit Nilsson Prize en 1988, faisant de lui une célébrité. Aujourd’hui une des
plus grandes étoiles canadiennes, Isabel Bayrakdarian est devenue en 1997 une
lauréate du Met grâce à sa voix et sa personnalité étincelantes. Elle répétait
l’exploit trois ans plus tard à la Operalia Competition parrainée par Placido
Domingo. Et que dire de l’incroyable contralto Marie-Nicole Lemieux qui a
remporté les plus grands honneurs au Concours Musical International Reine
Elisabeth de Belgique ?
Il
existe littéralement des centaines de concours de chant, certaines d’entre
elles vieilles de quelques décennies. On trouve Cardiff Singer of the World,
Queen Sonja (Oslo), Belvedere (Vienne), Robert Schumann (Zwickau), Paris,
Tchaikovsky, et Wigmore Hall à Londres. Il y a aussi les compétitions nommées
d’après d’illustres chanteurs tels Caruso, Callas, Pavarotti, Corelli, Nilsson,
Kraus, Caballe, Sayao, Christoff, London, Tagliavini, Gobbi, Ponselle, Price,
Lawrence, Novotna, Albanese, Anderson, Horne — et la liste continue! Toutes ont
des restrictions par rapport à l’âge (habituellement 30 ans), et certaines sont
réservées aux citoyens de pays particuliers. D’autres encore mettent l’emphase
sur un compositeur quelconque ou sur certains styles de chant. La plus récente
est une compétition pour les chanteurs « trop âgés » pour participer à la
myriade de compétitions qui existent déjà. Ces compétitions ont habituellement
lieu tous les deux ou trois ans, parfois en rotation avec le piano ou le
violon. C’est une occasion pour les étudiants avancés et les jeunes
professionnels de tenter leur chance. Certains développent un talent pour la
réussite en compétition, comme le témoigne le matériel de presse. On vante
fièrement la mezzo Eleni Matos, par exemple, pour avoir gagné « trente-trois
compétitions nationales et internationales, plus que tout autre vocaliste de
l’histoire ».
Ce
mois-ci, les aficionados de chant se réuniront à Montréal pour la deuxième
compétition vocale tenue sous les auspices des Jeunesses Musicales du Canada.
Cette compétition relativement récente devient rapidement l’une des plus
importantes quant au calibre des participants, des juges, de l’organisation et
de l’argent à gagner. Il y a longtemps que les cercles musicaux attendaient un
concours de ce calibre, vu le nombre formidable de Canadiens présentement sur
la scène internationale. On a choisi six lauréats lors de la première
compétition tenue il y a trois ans; il s’agissait des sopranos Measha
Brueggergosman et Mélanie Boisvert, des barytons Daesan No et Joseph Kaiser, du
ténor John Matz, ainsi que de la basse Burak Bilgili. Il est remarquable qu’un
éminent panel international de jurés ait retenu trois Canadiens parmi les six
premiers, soulignant ainsi l’abondance de talents dans ce pays. Aujourd’hui, à
l’aube de la deuxième compétition, jetons un coup d’œil sur le cheminement de
ces premiers lauréats.
L’année
2002 a été bonne pour cette « cuvée » — chacun des six gagnants poursuit
activement sa carrière, bien qu’à différents niveaux. Measha Brueggergosman, la
gagnante du Grand Prix et qui avait déjà à l’époque l’aura d’une future
superstar, répond à toutes les attentes. Maintenant sur la liste d’artistes de
l’agence IMG, sa carrière est soigneusement nourrie « par une combinaison de
concerts, récitals, oratorios, et un brin d’opéra ». En voie de devenir une
importante artiste du disque, elle a fait deux enregistrements pour CBC dont on
ne cesse de faire l’éloge. De plus, deux des plus grandes étiquettes classiques
la courtisent dans l’espoir de lui faire signer un contrat. Ceci est d’autant
plus remarquable quand on se souvient que l’industrie du disque est en période
de crise. Le public aura le plaisir d’entendre Brueggergosman à Stratford cet
été où elle donnera une série de quatre concerts dont les programmes iront du
classique aux spirituals, en passant par le jazz.
L’autre
canadienne soprano à remporter les honneurs était l’Ontarienne Mélanie
Boisvert, qui fait présentement sa marque comme colorature. À date, sa carte de
visite au Canada et en Europe a été Olympia dans Les contes d’Hoffmann.
Également à l’aise au théâtre musical, Boisvert est une étincelante Cunégonde
dans le Candide de Bernstein. D’un calibre semblable est le grand et bel
Américain John Matz, qui défie l’idée qu’on se fait des ténors comme étant des
hommes petits et gros. Muni d’un physique de joueur de football et d’une
superbe voix, Matz est le rêve de tout directeur d’opéra. Il a déjà brillé dans
une série d’importants engagements, dont un aux côtés de Dame Kiri Te Kanawa
dans Vanessa de Barber à Washington et à Los Angeles. Il fera bientôt
ses débuts au Châtelet de Paris dans la Neuvième de Beethoven avec Zubin
Mehta et l’Israel Philharmonic.
La
basse turque Burak Bilgili a aussi fait ses preuves, ayant remporté les
honneurs aux compétitions Belvedere, Alfredo Kraus, et Neue Stimmen, et en se
rendant aux finales à Cardiff. Avec un début à La Scala dans le rôle d’Alfonso
dans Lucrezia Borgia, Bilgili est très en demande sur plusieurs scènes
mondiales. Cela n’est pas surprenant, vu qu’il est un des rares chanteurs dont
l’instinct dramatique pour les rôles buffo est appuyé par une
authentique basse de distinction. Selon certains critiques, le baryton coréen
Daesan No aurait dû se classer plus haut que la cinquième position. Comme
Bilgili, No est un finissant de l’Academy of Vocal Arts de Philadelphie, où il
a étudié avec Louis Quilico. À la fois à l’aise sur les scènes d’opéra et
en récital, No a gagné le prix Lieder à Cardiff, et le premier prix aux
compétitions Mario Lanza et Licia Albanese. Il est très en demande pour le
répertoire symphonique et le répertoire d’oratorio aussi bien en Occident que
dans sa Corée natale.
La
plus remarquable transformation au sein de ce groupe de lauréats est peut-être
celle du canadien Joseph Kaiser, baryton-devenu-ténor , qui décrit la
compétition comme un moment clé dans son développement artistique. « Que les
jurés Teresa Berganza, Grace Bumbry, Marilyn Horne, et Joseph Rouleau me disent
avec insistance que je suis un ténor — ils sont parmi les meilleurs chanteurs
de l’histoire de l’opéra — a vraiment été un élément déclencheur », dit
Kaiser. Depuis, Kaiser a de nouveau étudié avec Arthur Levy à New York.
Il s’est rendu aux finales des auditions du Met en mars dernier, démontrant par
là qu’il était confortable avec la transition. « Un conflit d’horaire m’a
empêché d’entrer en lice une deuxième fois à Montréal – en tant que ténor ! »
Les choses se passent bien pour Kaiser, qui anticipe avec hâte ses débuts
avec Simon Rattle à Aix en Provence. Aussi à l’agenda, une performance au
Salzburg Easter Festival avec James Conlon, avec Christoph Eschenbach à
Ravinia, et avec le San Francisco Opera avec Runnicles en 2007.
Alors,
les compétitions sont-elles un bon moyen d’atteindre le sommet du monde musical
? Ceux qui ont un peu de chance et qui sont suffisamment prêts et matures pour
ne pas succomber à la pression peuvent en effet lancer leur carrière s’ils ont
de bons résultats aux compétitions. Les jeunes chanteurs ont l’occasion
de recevoir les conseils de grands musiciens et d’établir d’importants
contacts. Bien sûr, les compétitions sont connues pour leurs résultats
imprévisibles. Il faut toujours être prêt à une part de hasard — les
compétitions récompensent ceux qui peuvent chanter sous pression, et ce, le
jour où ça compte. La soprano russe Marina Mescheriakova a commenté son échec à
se rendre aux finales à Cardiff : « Je suis réaliste — si on perd, ça ne veut
pas dire qu’on n’est pas bon, et si on gagne, ça ne veut pas dire qu’on est
fantastique. C’est comme jouer aux cartes. » Kaiser a un point de vue semblable
: « Si on se dit : si je gagne, parfait, et si je perds, ce n’est pas grave,
alors on aura du succès et on sera heureux. Il y a eu des moments où j’ai cru
que je n’avais jamais chanté aussi bien, et je n’ai pas gagné de prix. Il y a
eu d’autres moments où j’ai cru que j’aurais pu faire mieux, et j’ai remporté
le premier prix. »
«
Je ne voudrais pas que les chanteurs qui ne gagnent pas soient découragés —
l’atmosphère qu’on trouve aux compétitions n’est tout simplement pas
représentative de la vie en tant que chanteur d’opéra professionnel, dit
Brueggergosman. Pour ceux qui ne se rendent pas aux finales, aux demi-finales,
ou qui ne passent même pas les premiers tours, cela ne signifie pas la fin. La
compétition, c’est un sprint. Pour réussir sa carrière, il faut être bon tout
le temps pendant trente ans. »
[Traduction
: Danielle Dubois]
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