Le Studio de musique ancienne de Montréal - 30 ans de découvertes Par Isabelle Picard
/ 9 avril 2005
« Pour moi, personnellement, le plus gratifiant, c'est
cet espèce de travail de détective pour pénétrer en-dessous de la page
musicale, qui est de toute façon souvent vide de toute indication. C'est
absolument fascinant et c'est ce qui est le plus fondamental. C'est là que je
trouve le plus de richesse et de valeur dans une musique. »
Le
Studio de musique ancienne de Montréal (SMAM) a eu 30 ans en 2004. Peu
d'ensembles dévoués à la musique ancienne peuvent se vanter, au Québec, et même
au Canada, d'avoir une histoire aussi longue. Le secret de sa longévité ?
Chrisopher Jackson, co-fondateur du Studio et son directeur artistique depuis
1988, a accepté de nous le révéler : la détermination ! « Il faut être vraiment
déterminé, il faut croire en ce qu'on fait. » En 1974, tout était à faire dans
le domaine de la musique ancienne à Montréal. Presque personne ne jouait sur
les instruments d'époque. « Il y avait l'Ensemble Claude-Gervaise et c'était à
peu près tout, rappelle Christopher Jackson. Et pour les notions stylistiques,
la recherche musicologique était encore en train de se créer autour de la
complexité des conventions de l'époque. C'était un territoire encore en
défrichage. » Comme il n'y avait pratiquement rien, les fondateurs du Studio
ont d'abord voulu tout faire. Le SMAM devait être une institution incorporée
qui agirait un peu comme un avocat de la musique ancienne sur la scène
québécoise et montréalaise, irait chercher des subventions, organiserait des
levées de fonds, tiendrait des académies, ferait des éditions musicales, serait
une sorte de parapluie sous lequel auraient pu se retrouver plusieurs ensembles
musicaux. Assez rapidement, le Studio est devenu un ensemble instrumental, peu
de temps après, un orchestre baroque et finalement, un ensemble vocal.
Évidemment, ces ensembles ont agi comme une petite école pour les musiciens qui
y sont passés. Certains ont même par la suite fondé leurs propres ensembles.
Pas facile, avoir 30 ans...
Aujourd'hui, le milieu a complètement changé. Il y a
une multitude d'ensembles de musique ancienne de toutes sortes et, Christopher
Jackson le confirme, « on a atteint une belle maturité, surtout à Montréal.
C'est incroyable, la qualité d'instrumentistes et de chanteurs que l'on a ici !
» Toutefois, tout n'est pas rose : « Je ne peux pas dire que j'adore cette
période. Nous sommes dans une époque de marketing, où la publicité est très
importante, où l'image prime, où les gens achètent souvent plus avec les yeux
qu'avec les oreilles. Et le discours des superlatifs a tendance à prendre le
dessus sur les vraies choses. C'est vraiment la société mcluhanesque, où le
médium et le message sont mêlés. Ce n'est pas facile, d'avoir 30 ans. Il faut
retravailler le discours, redéfinir ce que l'on est, ce qui est vrai. » Il est
une chose que le directeur artistique du Studio refuse de faire : dire des
choses qui ne sont pas vrai et s'engager dans une sorte de discours fiévreux
qui ne correspond pas à ce qu'il fait, à ce qu'il considère vrai et important.
Les moments les plus importants, pour lui, restent les concerts, « quand il y a
une électricité entre ce qui se passe sur scène et la salle. Je pense que c'est
ce qui est central. » Nous sommes également dans une société qui valorise
l'innovation, et même si le SMAM innove à sa façon, en créant à Montréal des
œuvres qui n'avaient jamais été jouées en Amérique du Nord, en travaillant avec
des musicologue pour faire des œuvres de Biber qui n'avaient jamais été
éditées, par exemple, ce n'est pas exactement le type d'innovation qui a la
cote ces jours-ci...
Questions d'interprétation
Évidemment, en 30 ans, on évolue, et Christopher
Jackson nous confirme que sa façon d'aborder le répertoire a énormément changé.
S'il n'a jamais été très collé à la lettre de la loi par rapport à
l'interprétation historique, il reste évident que le son, la façon d'articuler
et toutes les parties intégrantes d'une interprétation musicale, matériellement
parlant, faisaient l'objet de plusieurs discussions. « À un certain moment, on
voulait que les chanteurs sonnent comme des instrumentistes; et plus tard,
évidemment, c'était l'inverse, on voulait que les instrumentistes sonnent comme
des chanteurs ! » Pendant longtemps, ces considérations matérielles étaient
très importantes. Et elles le sont toujours : « Pour un violon, par exemple, le
fait de ne pas avoir de mentonnière affecte directement le son, la quantité de
vibrato. La forme de l'archet a également un impact. Il y a certaines choses
que l'on ne peut pas faire sur des instruments modernes, mais que l'on peut
faire sur des instruments baroques, alors il est nécessaire d'avoir
l'équipement et tout le côté matériel bien en place. »
Toutefois, si au début il était davantage préoccupé
par le côté matériel, c'est désormais l'intangible qui intéresse le directeur
artistique du Studio. Ce qui est le plus important, c'est la musique elle-même
et ce qui se cache sous la partition. Bien sûr, la connaissance des conventions
stylistiques est nécessaire, mais également celle des conventions sociales,
liturgiques, théologiques, des valeurs morales de l'époque ou des
préoccupations politiques. C'est là que réside l'esprit. « Pour moi,
personnellement, le plus gratifiant, c'est cet espèce de travail de détective
pour pénétrer en-dessous de la page musicale, qui est de toute façon souvent
vide de toute indication. C'est absolument fascinant et c'est ce qui est le
plus fondamental. C'est là que je trouve le plus de richesse et de valeur dans
une musique. » Ce travail de recherche, il l'effectue dans toutes sortes de
sources, qui le mènent parfois dans des pistes bien éloignées. Lorsque, par
exemple, il travaille un psaume, un texte théologique, il cherche à connaître
l'interprétation qu'on en faisait aux 16e et 17e siècles, « parce qu'on ne peut
pas se fier à l'exégèse contemporaine, qui est souvent un peu à côté ». Il faut
tenir compte, par exemple, de la pensée des théologiens de l'époque ou
antérieurs, de saint Thomas d'Aquin, des différentes pratiques liturgiques qui
avaient cours à différents endroits. « Par exemple, je ne comprenais pas pourquoi
Monteverdi écrivait d'une certaine façon un certain texte. Le texte en soi ne
me donnait aucun indice, alors à un moment donné je me suis retrouvé au
téléphone avec un théologien de Floride justement spécialisé dans cette
époque-là... et ça, c'est intéressant. »
Pour Christopher Jackson, il n'y a aucun doute au fait
que ces recherches influencent la manière de jouer. Elles permettent de comprendre
la musique. Il transmet ensuite ses découvertes aux gens qui travaillent avec
lui, pour qu'éventuellement ils partagent tous une vision commune. « De toute
façon, la musique ancienne, en soi, c'est un truc qu'on ne peut pas imposer. Je
ne peux pas imposer mon empreinte sur les gens. Ils faut que je les séduise,
que je les convainque de ce en quoi je crois, et il faut qu'ils l'achètent !
S'ils n'achètent pas, s'ils ne sont pas eux-mêmes et ne partagent pas
minimalement mon idée, ce ne sera pas vrai. La véritable authenticité,
c'est ça; ce n'est pas de jouer le trille par la note supérieure avec quatre
battements. Oui, c'est important, c'est le matériel artistique avec lequel nous
travaillons, mais ce n'est pas central, c'est accessoire. »
Des vérités musicales ?
Ce qui est particulièrement fascinant, dans ce que
l'on peut extraire de la recherche « sous la partition », c'est qu'on observe
des constantes à travers les âges, aujourd'hui comme au 16e siècle. Ceci
pourrait fournir un élément d'explication au fait qu'il y ait actuellement un
tel engouement pour la musique ancienne. « Je crois, explique Christopher
Jackson, qu'il y a de vraies "vérités" musicales. La musique en soi est une
chose non verbale, qu'il est bien difficile de verbaliser, mais prenons par
exemple la polyphonie de la première moitié du 16e siècle; je ne devrais pas
dire ça, mais il n'y a pas, d'une certaine manière, de musique moins expressive
que ça. C'est une musique qui est construite selon une vue de l'univers complètement
différente de la nôtre. Pourtant, nous avons fait un disque qui a remporté un
Félix, avec cette musique. C'est à bien se gratter la tête : pourquoi une
musique aussi « aride » a-t-elle touché tellement de gens ? Je pense que les
principes de base de la structure de cette musique-là répondent à quelque chose
qui est fondamental en nous. Et ce n'est pas seulement l'expressivité d'une
ligne musicale, mais la structure même, harmonique et linéaire, gérée par des
règles très sévères et basées sur des principes ésotériques drôle à lire pour
nous : l'harmonie des sphères, l'idée que les planètes avaient chacune une
note... ce n'est pas nous. Cependant, il y avait une fascination pour les
consonances et les dissonances, et ces éléments sont fondamentaux : stress et
résolution. »
Il raconte encore une anecdote pour illustrer ses
dires : Tous les étudiants en beaux-arts de l'Université Concordia doivent
suivre un certain cours, inter-disciplinaire, durant lequel M. Jackson fait
toujours une présentation. Il a ainsi fait écouter un motet de Jean Mouton, Nesciens
mater, que le SMAM en enregistré sur son disque « L'Harmonie des
sphères » (MVCD 1121), à une assemblée d'environ 650 étudiants. Cinq de ces
étudiants sont allés le voir après la présentation pour avoir les références
exactes de la pièce en question... « Ils ne savaient pas pourquoi c'était beau,
mais ils ont beaucoup aimé ça. »
La voix, instrument par excellence
On le sait, le SMAM se consacre depuis un certain
temps au répertoire vocal. Ce choix, le directeur artistique l'explique assez
aisément : « la meilleure musique composée jusqu'en 1750, c'est la musique
vocale ». Et c'est de loin à la voix qu'est consacré la plus grande partie du
répertoire des époques abordées par le Studio, soit, grosso modo, le 16e, le
17e et la première moitié du 18e siècle. Après 1750, la musique instrumentale a
commencé à devenir plus importante. Christopher Jackson soutient cependant que
les choses les plus intéressantes restent les œuvres instrumentales de Bach. «
On ne peut pas dire que Haendel et Vivaldi "accotent" vraiment Mozart ou Haydn,
de la période qui les suit immédiatement. L'instrument qu'est l'orchestre, et
les instruments en général, étaient très évolués, oui -- Bach a montré jusqu'où
on pouvait aller --, mais c'est seulement après que la musique instrumentale a
vraiment pris son envol. »
Il faut aussi dire que la voix est un instrument à
part, « le meilleur au monde », dit Jackson. C'est un organe physique, sans
intermédiaire. On ne peut pas tricher. « C'est d'une grande fragilité et en
même temps d'une grande puissance émotive. Si le chanteur veut bien, il y a des
possibilités extraordinaires, avec la voix. Et c'est immédiat. » Le travail
avec les instruments est différent, plus lié à une approche technique. « Ils
ont souvent besoin, justement, du langage et du discours des chanteurs pour
arrondir les coins, être moins préoccupés par la technique, les ornements,
l'improvisation et tout le reste. »
Et qu'en est-il du traitement de la voix dans la
musique contemporaine ? C'est du cas par cas, parce qu'avec chaque compositeur
on a pratiquement un nouvel idiome, un nouveau style. Mais le Studio de musique
ancienne a touché au répertoire contemporain en interprétant le Stabat Mater
d'Arvo Pärt (disque compact Atma ACD2 2310). « Au début, je n'étais pas très
attiré par ça. Je trouvais ça un peu artificiel, parce que Pärt base son
écriture sur beaucoup de musique médiévale et du début de la Renaissance. Quand
j'ai commencé, j'avais du mal à trouver où était son essence, où il
voulait en venir. » Fait amusant, les rôles de séduction entre Jackson et ses
chanteurs se sont en quelque sorte inversés, puisque ce sont ces derniers qui
l'ont convaincu à propos de cette musique : « En concert dans le cadre de
Montréal Baroque, il y a deux ans, il faisait une chaleur épouvantable dans la
petite chapelle, mais ils ont chanté ça d'une telle manière, c'était tellement
fort, c'est comme si l'image était devenue claire pour moi. Les morceaux sont
tombés en place. Il y a une patine, sur cette musique, qui est très
superficielle. Il y a un côté un peu New Age et hypnotique, et ça, ce
n'est pas très satisfaisant. Mais là où l'image a pris le focus, c'est qu'il y
a une grande puissance. C'est un processus qui se fait dans le temps, c'est
tellement soutenu, tellement linéaire, que cette puissance organique, on peut
dire, ne se révèle pas immédiatement, mais elle est définitivement là. C'est
étalé dans le temps. Ce qu'on fait à la Renaissance, c'est plus dense, mais
c'est semblable... »
Le mardi 5 avril 2005, à 19 h 30, le Studio de musique
ancienne s'associe à un complice de longue date, Daniel Taylor, avec son
Theatre of Early Music, dans un programme consacré à la musique de l'Allemagne
du Nord avant J.S. Bach. À l'église Saint-Léon de Westmount. 514 861-2626 /
www.smam-montreal.com
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