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La Scena Musicale - Vol. 10, No. 7

Denis Dion : Opus Magnum

Par Réjean Beaucage / 9 avril 2005


Lors du huitième Gala des prix Opus, décernés par le Conseil québécois de la musique (pour les activités de la saison 2003-2004), le compositeur Denis Dion a été doublement honoré. Il a été nommé « Compositeur de l'année » (prix accompagné d'une bourse de 10 000 $ du Conseil des arts et des lettres du Québec) et son œuvre De mains osées toiles, créée le 7 octobre 2003 par l'Orchestre symphonique de Trois-Rivières, a été sacrée « Création de l'année ». Dans une belle communauté d'esprit, considérant qu'il s'agit de jurys différents, le prix couronnant le « Directeur artistique de l'année » a été décerné à Gilles Bellemare, de l'Orchestre symphonique de Trois-Rivières. Il faut également noter que Denis Dion est le premier compositeur à recevoir pour une deuxième fois le prix accordé à la « Création de l'année » (son œuvre à la mère, créée le 4 mars 2001 par l'Orchestre symphonique de Trois-Rivières, avait également reçu ce titre). La Scena Musicale vous propose cette entrevue qui brosse le portrait d'un compositeur inspiré.

Bien qu'elles ne soient guère disponibles sur disque, une situation qu'il serait plus que pertinent de corriger, le Centre de musique canadienne nous informe que le catalogue du compositeur Denis Dion compte une quarantaine d'œuvres pour des formations diverses, les plus anciennes étant datées de 1981.

« Je suis originaire de la ville de Québec, où j'ai commencé à étudier la musique au Cégep de Sainte-Foy [guitare], puis à l'Université Laval [composition]. Les années 1970–80 ont été de belles années pour la radio de Radio-Canada et je peux dire que j'ai découvert la culture musicale d'ici grâce à la radio. Je pense aux émissions de Serge Garant, entre autres. Après la maîtrise, en 1983, j'ai envoyé mon dossier dans plusieurs universités, à Toronto, New York et ailleurs. Lorsque j'ai reçu une réponse de la University of Southern California (Los Angeles), elle était non seulement positive, mais on m'apprenait aussi que j'étais récipiendaire d'une bourse pour étudiants étrangers, la bourse Hans J. Salter [très prolifique compositeur de musique de films originaire d'Autriche -- sa filmographie compte 34 musiques de film... pour la seule année 1942 !]. Cette aide m'a été offerte pour toute la durée de mes études [doctorat obtenu en 1987]. Durant mes études, j'ai toujours gagné ma vie en jouant de la guitare dans les clubs ou les restaurants et ça s'est poursuivi à Los Angeles où je formais un duo avec ma compagne, pianiste. »

Le compositeur n'avait pas encore abordé la musique de film au moment d'entrer à la University of Southern California, dotée d'importantes infrastructures consacrées à cette forme (proximité d'Hollywood oblige). On peut penser que les explorations qu'il a faites dans ce domaine durant ces études, avec la souplesse particulière que requiert ce genre, conjuguées à son travail alimentaire de guitariste, auront eu un certain effet sur la construction du style du compositeur. Denis Dion a également pu approcher l'équipement électronique de studio durant ses années sur la Côte Ouest, mais c'est à son retour au Québec qu'il a vraiment découvert les possibilités de l'électroacoustique : « J'y ai été initié par Bernard Bonnier [qui fut un collaborateur de Pierre Henry], à son studio de Lévis, le studio Amaryllis. » Une initiation qui aura porté fruits, Denis Dion composant fréquemment des musiques mixtes. « J'aime le violon, la flûte ou la guitare, mais nous sommes en 2005, et je pense qu'il est normal que l'univers instrumental puisse cohabiter avec l'univers électronique. L'équilibre entre les deux est toujours difficile à atteindre, mais on ne peut y arriver qu'en le recherchant. Et tout ça est encore très jeune, à peine une cinquantaine d'années. L'informatique a apporté une nouvelle façon de comprendre le son et lorsque je regarde ce qu'ont pu faire des compositeurs comme Tristan Murail ou Gérard Grisey, qui ont pu grâce à ces outils calibrer le spectre harmonique et bâtir des structures musicales à partir d'un bref événement sonore, je suis heureux que des gens aient exploré ça, et ça m'inspire. Quand Bernard Bonnier faisait une musique pour le théâtre, il parlait de faire une mise-en-son. Chaque événement sonore avait son importance et sa fonction, et cela a certainement influencé ma façon de penser la musique. La première pièce que j'ai composée au studio Amaryllis, en 1989, est Conversations à la lumière, dédiée à Serge Garant. J'avais encore un rapport embryonnaire avec l'équipement électronique, mais musicalement, ça marche. »

Il a composé bien d'autres depuis, mais on n'a guère l'occasion de les entendre sur disque. « Ha... J'ai un excellent enregistrement de Cartes postales de Trois-Rivières (1999), mais l'édition coûte trop cher, c'est un orchestre... Walter Boudreau a dirigé la création de Débâcle (1998) avec l'Orchestre symphonique de Québec, pour alto solo (Pemi Paul); je mettrais ça sur disque demain matin ! » Il y aurait bien des articles à écrire sur toutes les œuvres de nos compositeurs qui dorment dans des voûtes et dont l'histoire s'éteint à petit feu... Denis Dion aime raconter des histoires : À propos de Saint-Denis Garneau, De prime abord; Pour causer un peu, En Second Lieu, des Remembrances dont il emplit ses Carnet de raisonances, dans ses moments de Solimilitude, entre deux Jeux de givre à l'ombre de L'arbre aux souhaits, sur L'Île aux filous...

« Ne dit-on pas souvent que faire de la musique, c'est raconter une histoire ? Beaucoup de gens qui connaissent ce que je fais disent en effet que c'est souvent une musique très cinématographique, ou imagée. On a interprété Cartes postales de Trois-Rivières à Toronto et à Montréal, et l'on me disait : « on voit Trois-Rivières dans cette musique »; pour moi c'est un très beau compliment, parce que ça rend compte, en effet, de ma découverte de Trois-Rivières durant la première année de résidence à l'OSTR. » Denis Dion a remporté le prix Opus de la « Création de l'année » avec la première pièce qu'il a composée durant sa résidence à l'OSTR, et aussi avec la dernière. Voilà qui pourrait stimuler l'imagination de bien d'autres directeurs d'orchestres !


(c) La Scena Musicale 2002