Chemins vers la nouvelle musique Par Réjean Beaucage
/ 9 avril 2005
Louis-Philippe Pelletier
La
« nouvelle musique » ne se laisse pas souvent approcher sans efforts préalables
de la part de l'auditeur. Certaines œuvres, bien sûr, peuvent satisfaire
l'amateur dès la première écoute, simplement par leurs qualités intrinsèques,
mais les compositeurs qui les ont imaginées s'inscrivent à la suite de bien
d'autres dans l'histoire de la musique, un art qui a connu comme les autres un
développement exponentiel au 20e siècle. Aussi peut-il être très utile de «
réviser ses classiques » pour mieux goûter l'art actuel (un conseil que l'on
pourrait servir aussi à certains compositeurs !).
C'est dans cette optique que le grand pianiste
Louis-Philippe Pelletier a mis sur pied la série de concerts « Chemins vers la
nouvelle musique », afin de retourner aux sources de la modernité pour y mettre
à jour les déclencheurs des musiques d'aujourd'hui. Ce faisant, l'interprète
nous présente des œuvres qu'il connaît bien et l'on ne peut que lui savoir gré
de nous permettre de réentendre en récital ce répertoire trop peu fréquenté.
Choisir la nouvelle musique
La Société de musique contemporaine du Québec (SMCQ)
est fondée en 1966, alors que Louis-Philippe Pelletier étudie au Conservatoire
de musique de Montréal (dont il sortira en 1968 avec un premier prix). Le
compositeur Gilles Tremblay, qui dirige fréquemment l'ensemble de la SMCQ dès
1967, est son professeur d'analyse. « Je faisais toutes sortes de choses à
cette époque-là, explique le pianiste : des arrangements, un peu de
composition, mais surtout, je vivais, comme tous, au milieu d'une atmosphère
culturelle en pleine transformation, et, sans avoir de questionnement précis,
je fonçais. Gilles Tremblay a été très important pour la suite des choses; il
nous a ouvert au monde en nous parlant des musiques d'ailleurs, en nous
transférant une partie de l'héritage de Messiaen. » Pelletier ira bientôt
lui-même voir ailleurs, à Paris durant trois ans, pour étudier le piano avec
Claude Helffer et... la relaxation (ou kinésophie) avec Maurice Martenot et
Christine Saïto. « J'ai fait du taï-chi aussi; je vois par exemple un rapport
évident entre le dernier mouvement des Variations de Webern et les
séquences de taï-chi, mais cela m'a surtout aidé à acquérir une souplesse dans
la versatilité de la vitesse. »
Faisant partie de cette mouvance pour un
renouvellement des formes musicales et du bouillonnement qui frappe à partir
des années 1950 autant l'Europe (avec Boulez, Stockhausen, etc.) que les
États-Unis (où l'influence de John Cage est florissante), lepianiste se taille
une place parmi les interprètes à surveiller dans ce domaine en participant à
des concerts de la SMCQ où il donne en création nord-américaine des œuvres
d'André Boucourechliev (Archipel III, en 1972) ou Luc Ferrari (Société II,
en 1975). En 1976 et 1977, ses interprétations du répertoire pour piano solo de
Schoenberg, Berg et Webern sont saluées comme de grandes réussites. « J'ai été
désigné spécialiste de la Seconde école de Vienne, parce que c'est un
peu inévitablement ce qui arrive quand on s'attaque à un répertoire peu
fréquenté. Mais l'on n'est jamais vraiment spécialiste... Je vois
aujourd'hui ces mêmes œuvres sous un tout autre jour, et elles me posent
d'autres problèmes... » La musique mûrit au même rythme que l'interprète, même
si pas une note ne change. « Elles sont différentes... parce que je les ai déjà
jouées ! Je ne compte plus les fois pour certaines d'entre-elles. La difficulté
est une notion très relative. Certaines choses, par exemple, me paraissaient
très difficiles à mémoriser (je pense à la gigue de l'opus 25 [Suite für Klavier,
de Schoenberg]), mais ça ne me pose plus de problème. Parce que je les ai déjà mastiquées.
»
La compréhension du contexte de production de l'œuvre
est une donnée que Louis-Philippe Pelletier place au premier rang des devoirs
de l'interprète. « Je me suis plongé ces dernières années dans la lecture des
philosophes allemands et écrivains viennois des 18e et 19e siècles pour essayer
de sentir ce qui est à la base, ce qui a fait germer ce type de
compositeur, issu, bien sûr, d'une très forte lignée de compositeurs
formalistes. Schoenberg arrive à un moment déterminant de l'histoire; il y a un
éclatement social et culturel, auquel il participe en voulant renouveler la
musique. Il cherche à s'affranchir du carcan de l'histoire en créant son propre
système. Bref, le musicien que je suis cherche à comprendre quel est le sens de
tout cela. »
Faire des liens
Louis-Philippe Pelletier a joué ou consacré des
enregistrements à Boulez, Messiaen, Stockhausen, Xenakis, Schoenberg, Berg,
Webern, Vivier, Papineau-Couture, Garant et Boudreau, mais aussi à Bach,
Beethoven, Schumann, Brahms et Debussy. On a pu dire de ses interprétations de
Beethoven (enregistrement des opus 109, 110 et 111 sous étiquette Port-Royal –
PR2203-2) qu'elles dépoussiéraient ce répertoire. « C'est une grande
difficulté supplémentaire que pose le poids du passé, explique-t-il. Ou plutôt,
celui qui se dépose à la longue... Quant on a 30 ou 40 interprétations d'une
œuvres, chacune étant influencée par la précédente, on commence à s'éloigner du
texte, il y a une perte de sens. L'important, ça reste la compréhension de
l'œuvre et son interprétation personnelle. »
La série de trois récitals à laquelle le pianiste nous
convie présentera des œuvres de Schoenberg, Berg et Webern, Debussy, puis
Charles Ives. « J'ai ajouté un "s" dans le titre Chemin[s] vers la nouvelle
musique, emprunté à Webern, parce que ce qui m'intéresse, c'est de faire des
liens. On peut faire des liens entre une œuvre et son contexte de production,
mais on peut aussi faire des liens entre différents compositeurs apparemment
bien différents : trois Autrichiens, un Français et un Américain. L'usage de la
citation, par exemple, est récurrent chez Schoenberg, Debussy et Ives, mais
avec différents traitements. Nous vivons dans un univers où tout est
accessible, mais séparément, et l'on n'a pas souvent l'occasion de prendre le
temps de mettre les choses en perspective. » Un rendez-vous incontournable avec
un grand interprète qui nous offre de partager sa vision.
La SMCQ présente
Chemins vers la nouvelle musique
Lundi 4 avril, 20 h
Alban Berg, Sonate, opus 1 (1907)
Arnold Schoenberg, Sechs kleine Klavierstücke, opus 19
(1911), Klavierstück, opus 33b (1932), Klavierstück, opus 33a (1929),
Suite für Klavier, opus 25 (1924), Drei Klavierstücke, opus 11 (1908),
Fünf Klavierstücke, opus 23 (1923)
Anton Webern, Satz für Klavier (1906), Sonatensatz
(Rondo) (1906), Kinderstück (1924), Klavierstück, opus posthume
(1925), Variationen, opus 27 (1936)
Samedi 9 avril, 17 h
Claude Debussy, Douze études
Lundi 11 avril 2005, 20 h
Charles Ives, Les trois sonates pour piano
Salle Pierre-Mercure, Centre Pierre-Péladeau, Montréal
514 987-6919
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