Chants Libres présente L'Archange Par Réjean Beaucage
/ 9 avril 2005
On entend souvent pester contre le
conservatisme des grandes compagnies d'opéra et contre l'absence de
renouvellement du répertoire opératique. Si la première observation est sans
doute assez juste, la seconde ne saurait être émise que par des gens qui
regardent au mauvais endroit. La compagnie lyrique de création Chants Libres,
fondée en 1990 par la « chantactrice » Pauline Vaillancourt, en association
avec Joseph St-Gelais et Renald Tremblay, bâtit contre vents et marées un
répertoire opératique adapté au temps présent.
Les réalisations de la compagnie sont déjà nombreuses
et méritent d'être citées : Ne blâmez jamais les bédouins, musique
d'Alain Thibault sur un livret de René-Daniel Dubois (1991); Il suffit d'un peu
d'air, de Claude Ballif et Renald Tremblay (1992); La princesse blanche,
de Bruce Mather et Renald Tremblay (1994); Chants du capricorne, de
Giacinto Scelsi (1995); Le vampire et la nymphomane, de Serge Provost et
Claude Gauvreau (1996); Yo soy la desintegracion, de Jean Piché et Yan
Muckle (1997); Lulu, le chant souterrain, d'Alain Thibault et Yan Muckle
(2000); L'enfant des glaces, de Zack Settel et Pauline Vaillancourt
(2000); Manuscrit trouvé à Saragosse, de José Evangelista et Alexis
Nouss (2001); Pacamambo, de Zack Settel et Wajdi Mouawad (2002).
La lecture de cette liste de créations rappelle à ceux
qui ont eu la chance d'assister à ces spectacles des souvenirs en forme de
surprise et d'émerveillement devant des mises en scène d'une grande originalité
et, surtout, devant une Pauline Vaillancourt aux mille visages et aux cent
voix. Résolument tournée vers la création contemporaine qui utilise le langage
et les outils d'aujourd'hui, quand ce ne sont pas ceux de demain, la chanteuse
et conceptrice ne cesse de repousser les limites du genre, de l'opéra de
chambre pour voix solo à l'électr-opéra et jusqu'à l'opéra pour enfant (Pacamambo,
qui remporte un succès bien mérité à chacune de ses présentations et que l'on
reverra à Montréal à l'automne).
Poursuivant ses recherches de nouvelles formes
d'opéra, Pauline Vaillancourt nous propose cette fois un opéra'installation
dont elle signe la mise en scène : L'Archange (musique de Louis Dufort,
livret d'Alexis Nouss, création visuelle d'Alain Pelletier). Elle explique : «
C'est unpeu la continuation de la recherche que j'avais entreprise dans L'Enfant
des glaces : le rapport au temps, la mémoire et la non-mémoire, la
répétition de nos actes, le Mal, qui est partout, en nous et autour de nous, de
plus en plus présent par la multiplication des moyens de communication et des
médias; on a l'impression de pouvoir y toucher... Ça me préoccupe beaucoup, ça
me concerne, et j'ai la possibilité de pouvoir faire quelque chose, de tenter
de sensibiliser une partie du public. »
On assiste donc à un procès, celui du Mal, qui se
déroule en l'absence d'avocats (« on n'a pas trouvé d'avocat pour prendre la
défense du Mal »). C'est donc au juge (l'acteur Jean Maheu) qu'incombe la tâche
de se faire... l'avocat du diable. Défilent devant lui des « témoins », cette
artiste (la mezzo-soprano Fidès Krucker), capable de faire du beau à partir du
mal, une jeune fille abusée par son père et qui l'a assassiné (la soprano
Émilie Laforest) et le fantôme d'une femme décédée dans l'attentat du World
Trade Center de septembre 2001 (la soprano Frédérica Petithomme).
Fait intéressant, la méthode de travail qu'emploie
Pauline Vaillancourt prend sa source chez les interprètes. Elle fait d'abord
avec elles un travail de théâtralisation du texte, pour voir comment elles le
ressentent et comment elles croient qu'il devrait être chanté. Ce n'est
qu'après, que le compositeur Louis Dufort rencontre les chanteuses en studio
pour élaborer la musique.
La grande innovation, au niveau de la forme, tient au
fait que l'opéra est présenté au cœur d'une installation vidéo de l'artiste
Alain Pelletier incorporant une quarantaine de moniteurs. Celle-ci peut être
visitée en tout temps durant les heures d'ouverture du lieu de présentation, et
elle devient le décor de l'opéra durant les représentations. « L'action se
déroule sur deux plans, ça n'a rien d'une présentation "à l'italienne",
explique la responsable de la mise en scène. Au départ, nous voulions que
l'action se déroule en bas, et que le public la regarde d'en haut, comme dans
une arène, mais ce sera finalement l'inverse : le public sera « dans l'arène »,
avec le juge.
La liste des projets de Chants Libres ne raccourcit
pas, au contraire, et compte à moyen terme une collaboration avec l'Opéra de
Montréal pour un opéra de Gilles Tremblay ! Malheureusement, le budget ne suit
pas la même courbe, comme c'est le cas pour trop d'organismes culturels
importants... Mais ça, c'est une histoire qui se renouvelle sans arrêt !
L'Archange sera présenté les 28, 29 et 30
avril, les 5, 6 et 7 mai et l'œuvre sera également présentée durant le festival
Elektra les 12, 13 et 14 mai à la Station C, 1450, rue Sainte-Catherine Est,
Montréal 514 841.2642.
Installation visible en tout temps du 28 avril au 12
mai.
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