Espace musique... Sylvain Lafrance s'explique Par Réjean Beaucage
/ 16 mars 2005
Le
2 février dernier, le Mouvement pour une radio culturelle au Canada (mrcc)
donnait une conférence de presse afin de dénoncer la disparition de la Chaîne
culturelle de Radio-Canada. Le MRCC, fondé en novembre 2004, a mis en
circulation une pétition revendiquant « une radio publique de qualité en
matière culturelle » et contestant « la décision de Radio-Canada de supprimer
la Chaîne culturelle sur la bande fm ». Cette pétition avait recueilli, au
moment de la conférence, les signatures de onze mille personnes et des
représentants d'une quarantaine d'organismes.
Jugeant que les instances décisionnelles de
Radio-Canada auraient failli aux exigences imposées par le Conseil de la
radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (crtc) pour l'octroi d'une
licence d'opération en modifiant le mandat et le nom de sa Chaîne culturelle
sans l'en aviser, le mrcc déposait ce même jour une requête officielle pour la
tenue d'une audience publique du crtc.
Le 4 février, La Scena Musicale rencontrait
Sylvain Lafrance, vice-président de la radio française de Radio-Canada, et
Christiane LeBlanc, directrice d'Espace musique.
LSM : Revenons rapidement sur la genèse de la
transformation de la Chaîne culturelle de Radio-Canada en Espace musique.
Sylvain Lafrance : Il y a deux ans, lorsque
nous avons commencé à revoir l'orientation de la Chaîne culturelle, il y avait
un réel problème d'écoute. On constate un problème d'écoute lorsqu'il y a peu
d'auditeurs, qu'ils n'écoutent pas longtemps quand ils le font, et qu'ils sont
insatisfaits de ce qu'ils entendent quand nous leur en parlons. Ce n'est pas
seulement une question de quantité, mais aussi une question de qualité. Alors
que faire ? Nous ne songions pas à changer le mandat culturel, mais nos
sondages ont convenu que le fait que des émissions surtout musicales et
d'autres à contenu parlé se côtoient, ça ne semblait satisfaire personne...
Quant au nombre d'auditeurs, il n'était pas optimal, bien sûr, mais il ne
l'avait jamais été... Cependant, à l'arrivée de Radio-Classique, en 1998, en
une nuit notre auditoire a fondu de 50 %. Il n'y a pas un dirigeant de service
public au monde qui pourrait constater ça et se dire que ce n'est pas grave.
Parallèlement à cela, on commençait à se rendre compte dans toutes les grandes
capitales que la diversité musicale était en voie de disparition dans les
réseaux privés. En analysant ces différents aspects, il nous est apparu que
nous devions concentrer le contenu culturel sur la Première chaîne, qui a
beaucoup de succès, et dédier l'autre chaîne à la diversité musicale.
Cependant, qui dit diversité musicale, dit multi-genres, puisque les lacunes en
ce domaine ne sont pas qu'en musique classique, mais dans tous les genres
musicaux. Nous n'avons pas retiré une seule minute d'émission culturelle sur
l'ensemble de nos services, nous les avons simplement transférées. Nous avons
donc aujourd'hui un produit radiophonique mieux défini, plus facile à
présenter; c'est une offre qui est claire, j'en veux pour preuve les sondages
d'écoute qui nous donnent raisons tant au niveau quantitatif qu'au niveau
qualitatif. On parle d'une hausse de 40 à 50 % pour Espace musique par rapport
à la Chaîne culturelle. C'est la même chose pour les émissions culturelles qui
se retrouvent sur la Première chaîne, l'une des plus écoutées au pays. Et
j'ajoute qu'il est faux de dire qu'Espace musique passe de la « musique
commerciale ».
LSM : Cependant, si l'on pense aux milliers de
signataires de la pétition du MRCC, voilà des gens qui étaient des auditeurs et
que vous semblez avoir perdus en chemin...
SL : Il est bien difficile de plaire à tout
le monde... Bien entendu nous sommes à l'écoute de ce que ces gens-là ont à
nous dire, puisque nous sommes un service public, et notre souhait est de
desservir l'ensemble des citoyens de notre mieux. Sur ce plan-là, il y en a 120
000 de plus qu'auparavant qui nous écoutent, et je me refuse à penser que c'est
parce que le service n'est pas bon, parce que les citoyens sont généralement
exigeants. Nous ne sommes pas toujours satisfaits à 100 % de tout ce qui sort
d'Espace musique...
Christiane LeBlanc : Mais nous ne l'étions
pas davantage dans le cas de la Chaîne culturelle.
LSM : Parmi les signataires de la pétition du MRCC, on
trouve aussi des musiciens de l'Orchestre symphonique de Montréal...
CL : Il y a pourtant une augmentation de
l'écoute des Radio-concerts de plus de 30 % et les dimanches matins, pour
l'émission d'Alain Lefèvre, c'est 40 %... Et nous continuons d'enregistrer des
concerts, puisque nous n'avons pas diminué les budgets de production; au
contraire nous enregistrons même deux concerts de l'OSM de plus qu'au cours des
trois années passées... Il faut spécifier que le pourcentage de musique
classique diffusé entre 18 h et minuit n'a diminué que de 22 %, pas davantage.
LSM : On a l'impression qu'en plus d'avoir gagné en
auditoire, Espace musique réalise aussi des économies en embauchant moins de
recherchistes, de réalisateurs, etc.
CL : À vrai dire, cela coûte plus cher
qu'auparavant. D'abord parce qu'il n'y a pas vraiment moins d'artisans et parce
que nous produisons davantage d'événements nous-mêmes. Nous faisons aussi plus
d'événements en région, parce que nous sommes maintenant vraiment diffusés d'un
océan à l'autre, et que nous devons en tenir compte. Espace musique diffuse en
direct à travers le Canada, et ce n'est pas pour des raisons d'économie que la
Chaîne culturelle est devenue Espace musique.
LSM : Mais n'aurait-on pas contenté tout le monde en
faisant d'Espace musique une Troisième chaîne ?
SL : Écoutez, s'il y en avait 12 je serais
content ! Vous savez, Radio France compte sept chaînes; la Suisse francophone,
avec une assez petite population, a quatre chaînes; en Belgique francophone,
c'est cinq... Nous n'en avons que deux, mais dans un des plus grands pays du
monde. Le nombre de transmetteurs qu'il faut pour relier tout le pays est
énorme, et en plus il y a une rareté au niveau des fréquences fm... Enfin, nous
avons en effet tenté d'obtenir une troisième chaîne il y a cinq ans pour
Info-Radio et on nous l'a refusé sous prétexte que le service public occupe
déjà trop de place... Si Radio France ne devait garder que deux de ses sept
chaînes, je crois que ses dirigeants devraient faire des compromis...
LSM : Il y aura dans deux ans des audiences publiques
pour le renouvellement de vos licences de diffusion; pourquoi ne pas avoir
attendu ce moment-là pour proposer de telles modifications à la mission de
cette chaîne ?
SL : Parce que nous n'avons pas modifié la
mission. Elle était auparavant à 82 ou 83 % musicale et elle est aujourd'hui à
90 % musicale. Il y avait déjà de l'éclectisme, de la musique du monde, de la
chanson et du jazz. Avant il y avait de la chanson en soirée, maintenant il y
en a en matinée; doit-on convoquer le crtc pour ça ? À vrai dire, nous excédons
nos conditions de licence tant en pourcentage de musique canadienne qu'en
musique francophone. Il n'y a toujours pas de publicité et il est hors de
question que cela change.
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