Jean-Sébastien Côté Concepteur sonore, compositeur, sonorisateur Par Laurier Rajotte
/ 16 mars 2005
CONCEPTEUR OU COMPOSITEUR ?
Quelle est la différence entre compositeur et
concepteur sonore ?
C’est
une excellente question… [pause] Je pense qu’il n’y a pas une énorme différence
entre les deux. J’ai l’impression que le compositeur est plus soumis à des
règles, enfin, que les règles sont plus claires. Il n’y a pas véritablement
d’école pour composer des sons.
À ce sujet, je suis allé à l’émission de Jacques
Boulanger pour parler de la musique d’un spectacle que j’avais fait avec Wajdi
Mouhawad. En ouverture de la pièce, on m’avait demandé de créer un effet de
bombardement de guerre. Tout au long de l’entrevue, on a constaté que j’en
parlais comme d’une composition, c’est à dire que j’avais écrit cette ouverture
avec une section de basse, d’alto, etc. et les voix se répondaient. Il n’y
avait peut-être pas d’instrument purement musical, mais c’était composé comme
un texte. En somme, la composition et la conception sonore peuvent s’apparenter
grandement. La composition par contre, a des critères d’évaluation plus
précis (harmonies, mélodies, rythmes…). Il n’y a pas encore de traité
d’harmonie des effets sonores… ou si oui, je ne le connais pas
[rires] !!!
La recherche dans la conception sonore serait plutôt le
résultat sonore lui-même que la forme proprement dite ?
Oui et je dois dire que parfois j’ai travaillé plus
fort à créer un son qu’une musique. Car on le sait, rien n’est vrai au théâtre
et il faut créer le bon ´faux-bruitª qui devra sonner vrai pour le spectateur.
LE SON AU THÉÂTRE
Quels sont, pour un musicien, les défauts du théâtre ?
D’un point de vue musical et sonore, le grand
problème, c’est que les gens parlent sur scène. Le son de leur voix sort de
leur bouche tandis que les sons que nous inventons sortent des haut-parleurs.
Ça crée deux plans sonores très différents et difficiles à concilier. La source
n’est pas la même. Je me fie toujours au metteur en scène pour la balance
voix/son, car c’est lui qui perçoit l’œuvre dans son ensemble et il saura si
l’entrée d’une musique ne cadre pas avec la scène. Au cinéma par contre, on ne
retrouve pas cette dichotomie et les couches sonores texte-son-musique sont
balancées parfaitement. Tout sort du même système de son. Au théâtre, texte et
musique sont deux mondes différents et c’est tout un défi de faire entrer la
musique sans briser l’atmosphère.
De plus, il y a les vrais bruits de la scène que nous
devons considérer. Si par exemple l’acteur ouvre une valise, il y aura un
´clicª. Si pendant ce temps je dois faire passer un train en effet sonore, ce
ne sera pas facile de faire oublier que le bruit de la valise est vrai et que
le bruit du train ne l’est pas.
UN PARCOURS MUSICAL UNIQUE
Quelle est votre grande satisfaction de faire de la
musique au théâtre ?
Je pense que j’ai plus de plaisir à composer de la
musique pour la danse. Je viens de ce milieu, c’est le début de mon parcours.
Comme tout autodidacte, votre parcours semble unique.
Comment avez-vous commencé à faire de la musique ?
Je suis né à Rimouski, ma mère était professeure de
piano et, jeune enfant, la musique faisait partie de mon quotidien. Mon père
aussi était un grand amateur de musique. J’ai joué un peu de piano, de
saxophone et plus tard, ma passion s’est transférée sur les ordinateurs. À
l’adolescence, avec Tangerine Dream et Jean-Michel Jarre, j’ai
découvert la musique qui utilisait les ordinateurs et c’est à ce moment que
j’ai commencé à jouer du de la batterie. L’intégration du drum électronique
était de plus en plus grande et, de fil en aiguille, j’ai découvert que les
ordinateurs pouvaient s’utiliser comme instruments de musique. Bref, je dirais
que c’est l’union de deux passions, celle des ordinateurs et celle de la
musique, qui m’a mené ici aujourd’hui. Je suis certainement plus passionné par
la musique que par les machines, mais je trouve que malgré tout, c’est
magnifique un ´synth骅 [ici, il se lève et m’explique à quel point ses
´machinesª sont belles].
Et l’intégration à Ex Machina ?
En arrivant à Québec, je travaillais avec des
danseurs. J’ai rencontré Robert Caux qui a composé pour la danse et a aussi
composé la musique de La Trilogie des Dragons, Les Aiguilles et l’opium
et Elseneur. Plus jeune, j’avais déjà vu tous les spectacles de Robert
Lepage : Vinci, Plaques techtoniques, Elseneur, etc. Après quelque
temps, Robert Caux m’a fait connaître le directeur technique de Ex Machina puis
il m’a demandé de l’aider pour régler quelque chose, j’y suis ensuite retourné
et maintenant, m’y voici à temps plein.
Vous êtes donc maintenant à temps plein au théâtre.
Quels étaient les avantages de la danse du point de vue de la musique ?
Le grand avantage c’est que les danseurs ne parlent
pas ! Sans faire de blague, lorsqu’il n’y a pas de texte on évite les
difficultés à gérer la compétition entre la voix et le haut-parleur. De plus,
la musique a une participation beaucoup plus active à la danse qu’au théâtre.
Quelqu’un peut aller à un spectacle de danse, ne pas aimer la chorégraphie et
apprécier la musique tandis qu’au théâtre, c’est assez rare qu’on sorte d’une
pièce en se disant : ´la musique était tellement bonne, je vais y
retourner demain pour la réécouterª. Un autre avantage, c’est que les danseurs
en danse contemporaine s’adaptent bien à des changements de musiques. Au
théâtre, si les acteurs ont à jouer sur une musique, tout doit être placé
longtemps à l’avance, tandis que pour les danseurs, c’est beaucoup plus naturel
de suivre une musique.
EX MACHINA
La musique pour la danse semble vous passionner.
Pourquoi êtes-vous maintenant à temps plein dans le monde du théâtre ?
Les avantages sont reliés à la façon de travailler de
Robert [Lepage]. Je ne suis pas certain que je ferais uniquement de la musique
au théâtre de la façon classique comme dans les compagnies traditionnelles. Je
comprends très bien la méthode de travail qu’a Robert. Il faut essayer et voir
ensuite le résultat. On ne s’arrête pas à une idée ni à un concept. Pour moi,
la musique, c’est la même chose ; ce qui m’intéresse, c’est d’entendre le
son et d’essayer. D’une répétition à l’autre, le résultat s’améliore.
Cette façon de travailler est très stimulante, il faut
s’adapter, rien n’est fixe, on est en recherche constante. Je me souviens que
nous étions en Autriche et que 15 minutes avant le début du spectacle, Robert
vient me demander un changement de musique. On l’a essayé et après le
spectacle, nous en avons conclu que le résultat n’était pas satisfaisant. Nous
sommes professionnels et nous n’essaierons pas des choses impossibles en
représentation, mais je crois qu’il faut oser prendre des risques pour
s’améliorer.
Est-ce que Robert Lepage a des demandes musicales aussi
précises qu’il en a, par exemple, pour les éclairages ?
Premièrement, Robert est très musical. Je crois que la
principale raison pourquoi il n’est pas musicien, c’est qu’il n’y a que 24
heures dans une journée. Il sait jouer un peu de piano, il sait lire la
musique, il en écoute beaucoup et il a une bonne oreille. Généralement, ses
idées musicales sont très claires, mais ça laisse beaucoup de marge de
manœuvre. Il y a toujours place à l’ouverture. On ne parle pas beaucoup, je lui
suggère plutôt des sons et quand il aime, il le dit. Quand je travaille avec
lui, je suis conscient que c’est son show et que mes sons sont là pour le
soutenir. Nous travaillons en équipe, donc le spectacle n’est pas un véhicule
pour mes propres idées. Si je veux mettre mon travail à l’avant-plan, je n’ai
qu’à faire mes propres spectacles. Ceci étant dit, je participe pleinement au
spectacle, mais en tant que musicien appuyant le travail du créateur.
Est-ce qu’être musicien au théâtre c’est faire un
travail dans l’ombre ?
Au théâtre, la musique est le parent pauvre de toutes
les autres disciplines (éclairages, décors, costumes…). La musique se rajoute
après tout. C’est la dernière étape. Elle est souvent accessoire, par exemple,
c’est de la transition. Mais c’est comme ça et ça s’explique. Ici à Ex Machina,
je ne sens pas cette relation de parent pauvre. La production me donne des
outils pour donner beaucoup de place au son.
FINALE
Quel est votre rêve artistique le plus fou ?
J’ai plusieurs projets qui arrivent en même temps.
J’aimerais faire de la musique pour moi. Trouver la musique que je veux faire.
J’ai tellement adapté mes idées à ce que les autres recherchaient que j’ai
laissé de côté ce que j’avais en tête. J’ai le goût de le faire pour le
plaisir. En fait, mon rêve, c’est d’avoir le temps de travailler ma propre
musique et -pourquoi pas- de la mettre sur disque.
Quels sont vos conseils à un jeune artiste ?
Je suis autodidacte et je n’ai qu’un seul conseil à
donner. Je suis certain que les écoles sont très bonnes et que les études
peuvent être bénéfiques, mais mon unique conseil c’est que si tu veux faire
quelque chose : fais-le ! Je n’ai jamais envoyé mon CV à personne, j’ai
fait ce que j’avais à faire et ça m’a fait rencontrer des gens qui ont entendu
mon travail. Il n’y a pas de secret : just do it ! Ensuite, il faut
rester ouvert aux possibilités que la vie nous offre.
Le projet Andersen
Une œuvre de Robert Lepage
Conception sonore : Jean-Sébastien Côté
du 22 février au 23 mars
Théâtre du Trident (Québec)
Laurier Rajotte
laurajotte@yahoo.fr
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