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La Scena Musicale - Vol. 10, No. 6

Diabolique Agrippina !

Par Réjean Beaucage & Wah Keung Chan / 16 mars 2005


L'Opéra de Montréal présente, en première à la compagnie, l'opéra Agrippina de George Frideric Handel, dans une mise en scène de Jacques Leblanc, à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts les 12, 17, 19, 21, 23 mars 2005 à 20 h. Cette production représente l'entrée d'Handel dans le répertoire de la compagnie ; c'est aussi la première participation de Karina Gauvin à l'une de ses productions (si l'on excepte sa présence au Gala de 2003) et c'est également la première fois que les Violons du Roy sont invités à se produire à l'Opéra de Montréal (sous la direction de leur fondateur Bernard Labadie, qui est aussi le directeur artistique de la compagnie). Cinq Canadiens y tiennent les rôles principaux : Lyne Fortin (soprano), Krisztina Szabó (mezzo-soprano), Karina Gauvin (soprano), Daniel Taylor (alto) et Brett Polegato (baryton), auxquels s'ajoute l'Américain Kevin Burdette (basse).

La Scena Musicale a recueilli les propos de quelques-uns des artisans de cette production. Voici ce que Lyne Fortin, Karina Gauvin, Bernard Labadie et Daniel Taylor avaient à en dire.

LSM : Pourquoi avoir choisi de présenter Agrippina à l'OdM, plutôt qu'avec les Violons du Roy ?

Bernard Labadie : Montréal n'a jamais vu de production professionnelle d'un opéra de Handel; il me semblait impératif de combler cette lacune. Aux Violons, nous ne pouvons produire que des versions de concert (comme le Alcina de l'an dernier), alors que je tiens à ce que le public fasse la découverte de ce répertoire dans sa forme la plus complète. Et puis, les Violons du Roy seront dans la fosse de toute façon !

LSM : Quelle est, pour vous, la partie la plus intéressante de la partition ?

Bernard Labadie : L'invention intarissable d'un génie qui entre dans la première phase de son « âge adulte » de compositeur. Agrippina est chez Handel le témoin du passage rituel des années de formation à la pleine possession de ses moyens expressifs. On y trouve déjà certaines des plus grandes pages dramatiques du compositeur (l'air d'Agrippina « Pensieri, voi mi tormentate » au deuxième acte est un chef-d'oeuvre visionnaire qui nous projette bien au-delà des conventions du langage de l'époque). En même temps, le foisonnement propre à la jeunesse y est toujours présent, et l'oeuvre présente une variété extraordinaire (c'est l'opéra de Handel qui comporte le plus grand nombre d'airs).

LSM : Qu'est-ce qui vous attire le plus dans Agrippina ?

Bernard Labadie : De tous les opéras de Handel, c'est celui dont la théâtralité est la plus proche de la sensibilité moderne. Plutôt que de nous présenter des magiciennes, des déesses ou autres personnages mythologiques, il met en scène des êtres de chair et de sang dont l'univers tourne autour de deux axes : le pouvoir et le sexe. Et Handel se délecte du plaisir de créer pour chacun de ces êtres exacerbés un langage, une personnalité, un univers qui leur sont propres et qui rendent leurs drames, leurs espoirs et leurs déceptions crédibles et compréhensibles pour le public aujourd'hui encore, près de trois siècles après la création de l'œuvre.

LSM : Qu'y a-t-il de plus stimulant dans le fait de chanter du Handel ? Et dans celui de chanter Agrippina en particulier ?

Lyne Fortin (c'est la première fois qu'elle chante le rôle d'Agrippina) : C'est une bonne gymnastique vocale... Très bon pour la santé. C'est certainement une esthétique différente de celle de Verdi mais tout aussi inspirante. Le grand défi pour moi est de mémoriser tous les récitatifs. Même avec de bonnes coupures, je me demande si je serai jamais prête « à mon goût ». C'est amusant de faire le rôle d'une « maniganceuse » qui n'est pas malade, ne meurt pas à la fin et qui, en plus, gagne ce qu'elle voulait. Vocalement ce n'est pas très difficile, alors c'est plus amusant qu'autre chose.

Karina Gauvin (Poppé) : J'ai toujours aimé chanter Handel à cause du regard très direct qu'il posait sur les émotions humaines. Handel a choisi de représenter Poppée avec des mélodies presque toutes composées dans des rythmes ternaires. Pour accentuer sa jeunesse et sa frivolité peut-être... Alors, le défi particulier pour moi, dans le rôle de Poppée, sera de lui donner un relief dramatique. Cette liberté, je pourrai l'exercer dans le jeu, mon interprétation des récitatifs et ma propre ornementation des da capo des airs. J'ai hâte de me mettre à la tâche !

LSM : En quoi la musique d'Agrippina diffère-t-elle des autres musiques de Handel ?

Lyne Fortin : Aucune idée, à part le fait qu'il était jeune lorsqu'il a écrit cet opéra... enfin c'est ce que j'ai entendu dire; moi, je suis inculte... L'harmonie est souvent tarabiscotée et imprévisible; ce qui est assez rafraîchissant.

Karina Gauvin : Tout d'abord, nous avons affaire ici à du jeune Handel. À certains moments, c'est comme si on entendait la charpente de ce qu'il composera plus tard. On est témoin à la fois de grands éclats de génie tout en ayant l'impression de voir l'envers du décor. C'est fascinant !

LSM : Quel est votre partie préférée dans cet opéra ?

Karina Gauvin : Je crois que l'air d'Agrippina « Pensieri...» est LE moment dramatique et chargé d'émotion de l'œuvre. Ces airs à grand déploiement que l'on retrouve avec régularité dans l'œuvre de Handel était une de ses grandes forces et vous vous en régalerez aussi je vous assure ! Et, pour d'autres raisons, presque tous les airs d'Othon me font pleurer. Ces airs chargés de tristesse sont d'une très grande beauté, voilà tout !

Daniel Taylor : Agrippina is only Handel's third opera with an unusually elaborate plot including comedic "buffo" moments. The contrast between Ottona as 'hero' and the glimmer of truth in his relationship between him and his dishonest, competitive 'friends' offers an unfortuanate reality rarely found in staged operas; this type of naturalism is more often found in great literature (Albee, Shakespeare, Checkov). Thus in Agrippina both audience and performer are provided with the challenge of letting go of their pre-judgements in order to reveal the true and powerful portraits Handel has created. Handel's Act II series of laments for Ottone offers some of the operas' most beautiful work.


(c) La Scena Musicale 2002