Montréal/Nouvelles Musiques, Boudreau et Bouliane : Visions d'avenir Par Réjean Beaucage
/ 15 février 2005
English Version... Il
y a déjà quelque temps que les compositeurs Walter Boudreau et Denys Bouliane
forment un dynamique tandem d'organisateurs d'événements musicaux d'envergure.
Codirecteurs du festival Musiques au présent, organisé par l'Orchestre
symphonique de Québec en 1998, 1999 et 2000, ils sont aussi derrière la Symphonie
du millénaire, œuvre d'un collectif de 19 compositeurs donnée le 3 juin
2000 à Montréal par un fantastique ensemble de 333 musiciens ! Denys Bouliane a
aussi été l'instigateur, à l'Université McGill où il est professeur et
directeur du Contemporary Music Ensemble (CME), des festivals MusiNovembre
(1998), MusiOctobre (1999) et, depuis 2002, MusiMars, un événement qui se tient
à tous les deux ans en alternance avec la réalisation la plus ambitieuse du
tandem à ce jour, le festival international Montréal/Nouvelles Musiques (MNM),
qui en est à sa deuxième édition.
Bien qu'il semble naturel qu'une ville comme Montréal
soit dotée d'un grand festival international de musique contemporaine, il ne
faudrait pas croire que la mise sur pied de MNM se soit faite toute seule ! Ou
que la récurrence de l'événement soit dans la poche... « La deuxième édition
est encore plus difficile à organiser que la première, explique Walter
Boudreau. L'une des raisons de cette difficulté est que nous avons tendance, au
Québec, à lancer des choses sans jamais leur donner de suite... Nous sommes les
champions du one night stand... » La Semaine internationale de musique
actuelle de Montréal organisée en 1961 par Pierre Mercure ou les Journées
du xxe siècle organisées par l'OSM en 1995 en sont de beaux exemples...
« De plus, poursuit le directeur artistique de la Société de musique
contemporaine du Québec (SMCQ), il n'y a rien dans nos systèmes de soutien aux
arts ou dans les infrastructures gouvernementales qui semble avoir été conçu
avec l'idée d'un possible développement international. On donnera une subvention
à un ensemble pour qu'il puisse aller donner des concerts en Europe, et puis
plus rien ! Mais pour que ce genre d'aide donne des fruits, il faut qu'elle
bénéficie d'une action continue ! Par ailleurs, le succès de la première
édition du festival a pratiquement joué contre nous, puisqu'il a pu faire
croire aux subventionneurs que nous pourrions dorénavant nous passer d'eux...
Alors nous avons dû convaincre, encore une fois, tous les paliers concernés de
la pertinence de notre démarche. Il n'y a malheureusement pas de vision à long
terme... »
« Le problème, renchérit Denys Bouliane, c'est qu'il y
a 40 ou 50 ans, lorsque les différents instruments comme le Conseil des arts du
Canada ont été mis en place, c'était afin de soutenir la mise sur pied d'une
culture artistique ; cela a bien fonctionné et c'est extrêmement positif. Nous
savons qu'il y a aujourd'hui au Québec et au Canada une véritable pépinière de
talents de toutes sortes, mais les outils de soutien sont restés les mêmes, et
il n'a jamais été prévu que, passé le stade des pionniers, nous pourrions
devenir des partenaires valides au niveau international. Il n'y a pas de
politique culturelle du développement de la musique au Canada actuellement ; il
n'y a pas de direction, donc il est évidemment difficile d'engager des actions
continues. Pour transiger avec des institutions comme Radio France (comme nous
le faisons pour MNM en tissant des liens avec le festival Présences), pour
passer des commandes à des compositeurs, faire des prévisions de coûts et
s'assurer les services de tel grand chef d'orchestre, tel ensemble, tel
soliste, il faut pouvoir agir plusieurs années d'avance. La fonction de
direction artistique est quelque chose de relativement nouveau dans notre
société, qui implique une vision artistique à long terme, et c'est
malheureusement ce qui manque encore aux institutions qui doivent nous
soutenir. On passe 90 % de notre temps à travailler non pas à la programmation
du festival, mais à convaincre des gens qu'il faut installer une pérennité ;
c'est lourd ! »
Il va de soi que lorsque l'on planifie des événements
impliquant des partenariats avec des gens à l'étranger, il faut pouvoir
travailler selon un calendrier qui s'échelonne sur plus de deux ans... Le
milieu musical d'ici a acquis une maturité artistique indéniable qui réclame
des outils qui puissent lui permettre de faire briller son talent au niveau
international. Une structure comme celle du festival Montréal/Nouvelles
Musiques manquait très certainement dans le paysage musical de chez nous et il
est à espérer que nos institutions gouvernementales le comprendront à
l'occasion de cette deuxième édition afin que tout ne soit pas à recommencer
une troisième, puis une quatrième fois ! Heureusement, la persévérance du
tandem Boudreau/Bouliane semble inusable et leur ingéniosité dans la recherche
de moyens pouvant leur permettre d'établir la récurrence du festival fait
montre d'une créativité toute artistique !
La France à l'honneur
Produit par la SMCQ, en partenariat avec la faculté de
musique de l'Université McGill, l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM),
Espace musique et CBC Radio Two, MNM met pour cette deuxième édition l'accent
sur la musique française. Grâce à des liens établis avec le festival Présences,
organisé par Radio France, 12 œuvres données en première au festival parisien
(dont la 15e édition débutait le 29 janvier et se poursuit jusqu'au 13 février)
seront reprises dans le cadre de MNM. Quatre de ces œuvres sont d'ailleurs des
co-commandes de Radio France et de Radio-Canada (elles sont du compositeur
français Marc-André Dalbavie et des Canadiens Jean Lesage, Alexina Louie et
John Rea).
Denys Bouliane agissait en 1999 comme coordonnateur de
la participation québécoise au festival Présences, durant lequel on avait pu
entendre cette année-là les œuvres d'une vingtaine de compositeurs québécois,
l'ensemble de la SMCQ et le Nouvel Ensemble Moderne (NEM). Cette année, MNM
recevra l'ensemble Court-Circuit et son chef Pierre-André Valade, de même que
de nombreux compositeurs parmi lesquels Bernard Parmegiani, Philippe Leroux,
François Bayle, Martin Matalon et Philippe Hurel.
« Il est impossible, explique Denys Bouliane, dans un
festival qui compte 20 programmes différents, d'avoir une thématique unique qui
couvrirait l'ensemble des concerts ; ça finirait par devenir lassant. Nous
essayons donc, d'une manière plus souple, de mettre l'accent sur un certain
type de compositeurs. En ce sens, il y aura quelques compositeurs dont on
entendra plus d'une œuvre et cela permettra de faire le point sur leur
création. La musique du Brésilien Martin Matalon, par exemple, sera interprétée
par l'ensemble Court-Circuit et par le CME (qui interprétera Las siete vidas de
un gato, sa musique pour le film Un chien Andalou, qui sera
projeté) ; Marc-André Dalbavie, à qui le festival Présences est consacré cette
année, verra sa musique interprétée par Court-Circuit et par l'OSM ; Philippe
Leroux sera aussi joué deux fois par le NEM, etc. Ces gens-là seront ici, il y
aura des conférences et classes de maître et l'on pourra discuter avec eux de
leur travail. »
Outre les compositeurs invités, d'autres compositeurs
français seront évoqués, tel Olivier Messiaen, par l'ensemble torontois Art of
Time et l'Ensemble contemporain de Montréal (ECM), ou Pierre Boulez, qui sera
présent sur film. « Symphonie mécanique est un film de Jean Mitry dont
la musique est une œuvre électroacoustique très peu connue de Boulez, explique
Denys Bouliane. Il y aura aussi un film avec lui autour de Les Noces de
Stravinski, juste avant l'interprétation de l'œuvre par l'ensemble de la SMCQ
et le McGill Chamber Choir. » Le McGill Symphony Orchestra (MGSO) interprétera
quant à lui la Symphonie nº 1 d'Henri Dutilleux.
Les compositeurs de chez nous ne seront pas en reste.
On pourra entendre en création une œuvre de Serge Provost pour quatuor vocal
(le Hilliard Ensemble) et quatuor à cordes (le Quatuor Bozzini) ; deux autres
de ses œuvres seront interprétées par le NEM et par la pianiste Brigitte
Poulin. Michel Gonneville se joint à Espace sonore illimité (formé des
compositeurs Alain Dauphinais, Alain Lalonde et André Hamel) pour présenter la Symphonie
des éléments, qui sera interprétée par des musiciens du Conservatoire
de musique de Montréal et de l'école Joseph-François-Perrault. La musique de
Gonneville sera également interprétée par le Hilliard Ensemble. L'œuvre de Jean
Lesage Les mécanismes multiples de l'ivresse et de la nostalgie,
entendue en création mondiale lors du concert d'ouverture du festival
Présences, sera interprétée par l'OSM au concert de clôture de MNM. Alexina
Louie, qui sera présente à Montréal, pourra entendre sa musique interprétée par
l'ensemble Court-Circuit et par l'Esprit Orchestra de Toronto. L'Association
pour la création et la recherche électroacoustiques au Québec (ACREQ)
consacrera toute une soirée à la vidéo-musique de Jean Piché et Réseaux fera de
même pour la musique acousmatique de Gilles Gobeil. On pourra aussi entendre
une œuvre de chacun des codirecteurs artistiques, la musique Bouliane étant
interprétée par l'Esprit Orchestra et celle de Boudreau par l'ensemble de la
SMCQ avec le Evergreen Club.
New Music Concert saluera les pionniers de chez nous
(François Morel, Serge Garant, Robert Aitken, Bruce Mather, Gilles Tremblay).
Du côté de la jeune génération, Jean-François Laporte ouvrira le bal dès le
deuxième concert du festival avec une grande œuvre créée par le quatuor de
saxophones Quasar, le MGSO jouera Nicolas Gilbert et l'ECM présentera en
création une œuvre d'André Ristic.
Bref, du 28 février au 10 mars, Montréal vibrera aux
rythmes de MNM et la découverte sera à coup sûr au rendez-vous. Longue vie à
MNM !
28 février au 10 mars 2005
Montréal/Nouvelles Musiques, 514 987.6919 /
http://www.festivalmnm.ca
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