Le krach du disque ? Par Réjean Beaucage
/ 29 novembre 2004
Requiem pour l'industrie du disque
Réalisé par Gilles Cayatte Coproduction : ARTE France, The Factory, Elzevir
Films France, 2004, 73 min.
La station de télévision ARTV diffusait le 30
octobre dernier dans le cadre de l'émission Thema, le documentaire Requiem
pour l'industrie du disque, qui examine les raisons pour lesquelles
l'industrie n'a pas su voir venir les récentes mutations technologiques qui
affectent le marché du disque à un tel point qu'elles mettent en péril sa
survie. Même si les exemples utilisés dans le documentaire se rapportaient
exclusivement à la musique pop, il ne faut pas se leurrer pour autant : quand
Madonna ou Michael Jackson éternuent, tous les orchestres du monde ont la grippe
!
Bien que l'on entende souvent les « spécialistes »
blâmer les pirates du MP3 pour la déconfiture du marché du disque, les auteurs
du documentaire, Éric Ouzounian et Stéphanie Joannès, ont préféré en chercher
les causes ailleurs et remonter le temps pour suivre l'évolution de l'industrie,
de ses premiers balbutiements, jusqu'à la rage boulimique des dernières années,
durant lesquelles les majors, nées au milieu des années 1980 avec
l'apparition du CD, sont devenues de véritables symboles du
cannibalisme sauvage. Aujourd'hui, Universal, BMG, Sony, Warner et
EMI détiennent 80 % d'un marché de 30 milliards de dollars (c'était 40 il y a...
trois ans !). À ce niveau-là, on ne vend plus de la musique, mais des produits,
et on doit les vendre à tous prix ! Les disques sont aujourd'hui
écoulés dans des magasins à grandes surfaces qui ont avalé les
petits disquaires spécialisés d'hier.
Les compagnies de disques, trop occupées à
surveiller les cotes de la bourse, n'ont rien vu venir des développements de
l'Internet et sont aujourd'hui à la merci des fournisseurs de service, qui
distribuent les chansons à prix fixe pour contrer l'hémorragie (bien exagérée)
des transferts de personne à personne (peer to peer). Eddy Cue,
vice-président de Apple et l'un des bonzes du iPod, avoue candidement : « J'ai
deux enfants de 10 et 12 ans qui n'ont jamais acheté de CD, et qui n'en
achèteront jamais ». Ils téléchargeront plutôt la musique de l'un des nouveaux
sites de vente électronique de chansons qui poussent comme des champignons en
espérant détrôner les sites gratuits. Le documentaire se termine comme une
histoire à suivre, au moment où la guerre des formats fait rage entre CD, SACD,
DVD, MiniDiscs et musique dématérialisée.
Peut-on vraiment en vouloir au public de
voler la musique de compagnies qui, après avoir inventé le disque
compact, dont les coûts de production sont moindre que ceux du vinyle, l'ont
pourtant vendu deux fois plus cher, et sans augmenter la part remise aux
créateurs, mais en offrant à leur VP des salaires à faire pâlir d'envie un
joueur de hockey ? Et doit-on se surprendre qu'une partie du public pense, comme
Pierre-Joseph Proudhon, que « la propriété, c'est le vol », quand un très large
pourcentage de la musique populaire contemporaine, du Rap aux remixes en passant
par le crossover, est littéralement basé sur le détournement et le
plagiat ?
L'histoire de l'enregistrement sonore au Québec
et dans le monde – 1878/1950 Robert Thérien Les Presses de l'Université Laval, 2003, 233
p.
Robert Thérien est l'un des spécialistes de
l'édition phonographique au Québec. Il est coauteur, avec Isabelle d'Amours, du
Dictionnaire de la musique populaire au Québec -- 1955-1992
(Institut québécois de recherche sur la culture, 1992) et, grand collectionneur,
est associé à de nombreuses rééditions de trésors oubliés. Son Histoire de
l'enregistrement sonore au Québec et dans le monde est sans doute
l'introduction parfaite au documentaire évoqué plus haut (mais l'auteur prépare
lui-même un deuxième tome qui nous offrira son interprétation de l'histoire
récente). S'il y a une chose que l'on peut reprocher à ce livre, c'est d'être
trop complet... Tout y est, les différentes techniques
d'enregistrement et de reproduction, l'explication de leur fonctionnement et la
date de dépôt de leur brevet d'invention, de même que la biographie de leurs
inventeurs, les tractations financières et politiques entre les compagnies qui
se les arrachaient, etc. Du paléophone de Charles Cros au gramophone de
Berliner, en passant par le graphophone d'Edison et autres zonophone, vitaphone
et telegraphone, rien ne semble manquer, sinon un tableau synoptique qui
pourrait faciliter la compréhension de toutes les transformations du « disque ».
À prévoir pour le tome 2 !
David et Goliath
La maison de disques Analekta abrite la plus
importante étiquette indépendante spécialisée dans le répertoire classique au
Canada. Nous avons demandé à Mario Labbé, son fondateur, de nous faire
part de sa vision des difficultés que traverse actuellement l'industrie du
disque.
« Il y a une véritable crise dans l'industrie du
disque et elle est générée par un changement dans les habitudes de consommation
et par un changement de format. Le grand problème, c'est qu'il n'y a pas de
nouveau format, puisque nous vivons la dématérialisation du support. C'est un
ajustement qui demandera sans doute plusieurs années. Les patrons des grandes
multinationales, qui rendent des comptes à leurs actionnaires, ne peuvent pas se
permettrent d'être patients ; ils ont à produire des rapports trimestriels ! Ils
sont nombreux à avoir posé des gestes qui dévalorisent le produit qu'ils
vendent, des gestes dangereux et graves. Ils creusent leurs propres
tombes.
J'imagine que d'ici quelques années quelqu'un va se
réveiller chez Universal et demander qui est l'imbécile qui a fermé Philips !
Une des deux plus grandes institutions de musique classique de l'après-guerre a
été fermée, probablement par un vice-président de passage qui voulait faire un
coup d'éclat ! On voit ces compagnies brader leur catalogue en magasin et ça ne
fait que contribuer à dévaloriser le produit. Évidemment, un produit dévalorisé
sera plus difficile à vendre... D'autant plus si on peut y accéder par
Internet.
Je suis surpris de constater qu'Analekta est l'un
des plus gros fournisseurs du site archambaultzik.ca ; ce sont mes clients, vos
lecteurs, qui vont sur ce site pour se procurer une œuvre à 0.99 $ (ou 9.99 $
pour un album complet). Cela dit, nous vendons très peu de disques complets, et
je crois que les gens se servent de ce genre de site comme outil de consultation
préalable à l'achat du CD. Peut-être les gens sont-ils bien équipés pour écouter
ces extraits sur leur ordinateur, mais je pense que les mélomanes ont
généralement une chaîne stéréo et aiment bien posséder l'objet-disque.
Chez Analekta, nous n'entrons pas dans la logique
de dévalorisation du produit. J'ai bâti une image de marque avec des produits de
qualité supérieure, qui peuvent se comparer avantageusement à ceux de Deutsche
Grammophon, par exemple, alors il n'y a aucune raison de les vendre à rabais.
Nous investissons énormément dans la qualité des artistes, dans la production
technique et dans tous les aspects de notre travail et je considère que le prix
actuel est déjà tout juste suffisant, il n'est donc pas question
de le baisser. Les maisons de disques qui adoptent cette stratégie nous rendent
la vie difficile à court terme, mais elles scient la branche sur laquelle elles
sont assises... Parce qu'une fois qu'on a baissé le prix d'un disque, il n'est
pas question de le ramener au prix initial. Et comment fera-t-on pour produire
de la qualité si on n'a plus de revenus? C'est une vision à très court terme :
on vend plus d'unités d'un disque à rabais, mais sur une courte période de temps
; après ça se stabilise, tout simplement parce que le public pour ce genre de
produit est limité. Si on doit en vendre 5 000, on en vendra 5 000...
Je crois qu'à l'avenir on achètera toujours des CD,
comme on achètera toujours des livres, mais pour les musiques que l'on n'écoute
qu'à l'occasion, on s'abonnera plutôt à Naxos Music Library, où l'on trouvera
tout ce que l'on voudra. Il ne manque plus qu'une meilleure qualité de bande
passante, et on nous la promet pour bientôt. »
L'enregistrement sonore à Montréal, cent ans
déjà !
Jusqu'au 26 septembre 2005
Voilà une visite qui s'avère idéale pour compléter
la lecture du livre de Robert Thérien. Ouvert depuis le 24 janvier 1996, le
Musée des ondes Emile Berliner porte le nom de l'inventeur du gramophone,
installé à Montréal dès 1899 pour commercialiser son invention. Il a emménagé en
1907 dans l'immeuble qui abrite aujourd'hui le Musée. On y monte chaque année
une exposition différente ; celle qui est en cours retrace l'histoire des
studios d'enregistrement à Montréal. Le musée a une collection de près de 7 000
objets, mais doit malheureusement organiser de petites expositions thématiques
en raison de l'exiguïté de ses locaux. Il est opéré par un personnel bénévole et
a pour cette raison des heures d'ouverture assez restreintes.
Musée des ondes Emile Berliner 1050, rue
Lacasse, Montréal (514) 932-9663 info@berliner.montreal.museum
www.berliner.montreal.museum Heures d'ouverture: vendredi, samedi et
dimanche, de 14 à 17 h
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