Méconnu Vivaldi Par Isabelle Picard
/ 2 novembre 2004
Vivaldi, compositeur méconnu ?
L'affirmation peut surprendre. Tout le monde connaît Vivaldi! Tout le monde
peut chantonner ou au moins reconnaître certaines parties de ses célèbres
Quatre saisons, probablement dans le Top 10 des classiques
réutilisés. Mais voilà. En dehors de la musique instrumentale, pas grand chose.
Il y a le célèbre Gloria, c'est vrai, mais la majeure partie des
mélomanes sait-elle que Vivaldi a composé d'autres oeuvres sacrées ? Un grand
nombre d'opéras ? Même du côté de la musique instrumentale, à trop réentendre
les mêmes oeuvres, on a l'impression de tout connaître alors qu'une grande part
est négligée.
Une monumentale édition discographique paraît
depuis 2001 chez Naïve – Opus 111 : « Vivaldi Edition ». Une édition entreprise
à l'initiative du musicologue Alberto Basso, président de l'Instituto per i
Beni Musicali in Piemonte, et qui devrait faire paraître une cinquantaine d'enregistrements
sur 10 ans. L'histoire de cette édition est peu banale. Tout commence à la
Bibliothèque nationale universitaire de Turin, où se sont retrouvés les
manuscrits d'Antonio Vivaldi en 1930 après près de 200 ans dans des mains
privées et bien des aventures. Le contenu des 27 volumes constitue un véritable
trésor de 450 oeuvres. Alberto Basso en a établi le catalogue en différentes
sections : musique sacrée et profane, concertos pour cordes ou pour instruments
solistes, cantates, opéras, etc. Au total, 296 concertos pour un ou plusieurs
instruments, cordes et
basse continue, 60 oeuvres de musique sacrée,
15 psaumes, une douzaine de motets profanes, trois sérénades de grande
dimension, une trentaine de cantates et une vingtaine d'opéras. Certaines de ces
oeuvres n'avaient pas été entendues depuis le xviiie siècle et
méritaient, selon le musicologue, d'être connues. Il a donc cherché à faire
paraître cette musique sur disque pour la rendre accessible au public, ce qui
est maintenant en partie accompli grâce à la collaboration entre Opus 111 et
l'Instituto per i Beni Musicali in Piemonte.
La Scena Musicale a reçu certains
volumes de cette édition, et il faut d'emblée affirmer qu'il s'agit de parutions
d'une qualité exceptionnelle à tous les niveaux. Des artistes de renom dans le
domaine de la musique baroque ont été sollicités, tels Barthold Kuijken et
l'Academia Montis Regalis, le Concerto Italiano et Rinaldo Alessandrini ou le
Freiburger Barockorchester et Gottfried von der Goltz. Plusieurs indices donnent
une idée du soin apporté à la publication : des notes détaillées à la fois sur
les oeuvres et les interprètes, des explications sur certains choix
d'interprétation comme les instruments de la basse continue, le diapason, les
tempos, et même des détails techniques sur les équipements d'enregistrement
utilisés. Mais surtout, l'écoute est tout à fait convaincante et promet que les
découvertes à venir seront belles.
Vivaldi instrumental
C'est dans le manuscrit conservé à Turin que se
trouve le plus vaste corpus d'oeuvres instrumentales manuscrites de Vivaldi :
307 compositions exécutables. On n'y retrouvera cependant pas de sonate pour un
seul instrument ni les concertos pour violon composés avant 1720 (sauf quelques
rares exceptions, peut-être conservés par Vivaldi « en souvenir »). Parmi les
disques de musique instrumentale, signalons « Sonate da camera » (OP 30252), « I
Concerti di Dresda » (OP 30358) et « Concerti per flauto traversere » (OP
30298). Ce dernier, avec Barthold Kuijken comme soliste et à la direction de
l'Academia Montis Regalis, se distingue des deux autres par sa sobriété. Dans
ces concertos pour flûte, Kuijken ne donne pas l'impression de vouloir
réinventer Vivaldi à tout prix; il agit plutôt comme si la musique se suffisait
à elle-même et il a bien raison. Son jeu est d'une grande précision, toujours
impeccable, sans grandes extravagances. Il ne s'agit d'ailleurs pas d'un
répertoire tape-à-l'oeil.
Vivaldi opératique
La plus grande surprise se situe peut-être du côté
de l'opéra. Les deux oeuvres écoutées, L'Olimpiade, avec le Concerto
Italiano dirigé par Rinaldo Alessandrini (OP 30316), et La verità in
cimento, avec l'Ensemble Matheus dirigé par Jean-Christophe Spinosi (OP
30365), sont portées par un grand souffle dramatique, particulièrement dans les
récitatifs, où l'expression prime avant tout. Même si tous les airs suivent le
schéma aria da capo, Vivaldi déjoue la monotonie par son invention
mélodique et les variations qu'il introduit. On reconnaît la fougue du Vivaldi
instrumental. Et cette fougue est totalement rendue par les interprétations
d'Alessandrini et Spinosi. Il faut que j'avoue avoir un faible pour Alessandrini
depuis ses enregistrements des Madrigaux de Monteverdi à la fin des années 90,
et il prouve encore une fois que mon amour est mérité! L'orchestre est expressif
et le soutien des récitatifs ajoute sans contraindre le rythme de la parole. On
pourrait attribuer ces mêmes qualificatifs au jeu de Spinosi et son Ensemble
Matheus, qui pousse encore plus loin les contrastes. Dans la Sinfonia
d'ouverture, vous vous demanderez peut-être même comment ajuster le volume. Mais
en général, ces effets se justifient par l'action et le texte. Vivement, qu'on
découvre davantage le répertoire d'opéra de Vivaldi et, pourquoi pas, qu'on nous
le présente sur scène ici. Le disque « Vivaldi Operas » (Naïve OP 30401) propose
des morceaux choisis des oeuvres enregistrées pour la Vivaldi Edition. Ces
quelques arias, duos et autres peuvent donner un apperçu, mais à mon avis le
contexte dramatique ajoute beaucoup.
Sacré Vivaldi !
Pourtant ordonné prêtre, on a longtemps cru que
Vivaldi n'avait que très peu d'oeuvres sacrées à son actif. C'est en grande
partie la découverte du contenu du manuscrit conservé à Turin qui a contribué à
rétablir les faits. Avec près de soixante oeuvres de musique sacrée vocale,
Vivaldi se montrait aussi sous le jour d'un compositeur de musique d'église.
Parmi ces pièces, se trouve le seul oratorio qui nous soit parvenu sur les
quatre que Vivaldi ait composés : Juditha triumphans (OP 30314). Ici,
l'instrumentation est beaucoup plus riche que dans les opéras. On y trouve deux
trompettes et timbales, deux clarinettes, un chalumeau soprano, une viole
d'amour, une mandoline, des théorbes... Étonnant ! Et ça devait l'être encore
davantage à l'époque, quand l'orchestre (entièrement féminin) de la Pietà était
caché derrière un voile noir (pour éviter de distraire ces messieurs...) et que
ces sons inusités se faisaient entendre.
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