Le fabuleux destin de Chantal Masson-Bourque Par Noémie L. Robidas
/ 2 novembre 2004
Il n'y a pas de doute, Chantal
Masson-Bourque possède une baguette magique. Ou alors expliquez-moi comment
elle peut enseigner à la fois l'alto, la direction chorale, la didactique
instrumentale, la pédagogie des cordes, diriger les choeurs de l'Université
Laval à Québec et poursuivre encore avec passion une carrière
d'interprète...
C'est d'ailleurs un casse-tête pour la Faculté de
musique de l'Université Laval, qui devra très bientôt dire au revoir à cette
grande dame puisqu'elle prendra sa retraite en mai prochain. Combien de
professeurs faudra-t-il pour la remplacer ? Certains disent trois, d'autres cinq
mais la plupart disent qu'elle est irremplaçable!
Pour tracer un juste portrait d'elle, il me
faudrait un pinceau, des couleurs éclatantes, chaudes et d'autres pleines de
douceur. Il me faudrait encore de la poésie, des épices et bien sûr, de la
musique...
Espérons que ces mots suffiront.
Une première question nous vient à l'esprit :
comment a-t-elle développé tant de cordes à son arc ? « Le destin ... les
petites étoiles qui se sont allumées sur mon chemin, me répond-elle. La vie m'a
toujours poussée de l'avant et m'a offert des tonnes de défis que je n'avais pas
le choix de relever, on comptait sur moi, on me faisait confiance. »
Née à Saint-Denis, près de Paris, à la veille de la
seconde guerre mondiale, Chantal Masson-Bourque a grandi dans une famille de
neuf enfants où la musique habitait les murs au quotidien. Chantal jouait du
violon mais n'avait jamais pensé en faire son métier jusqu'au jour où la voiture
d'un professeur de violon du Conservatoire National Supérieur de Paris tomba en
panne devant la maison de ses parents ! Pour remercier la famille de l'avoir
aidé, le musicien donna quelques leçons à la jeune Chantal et lui conseilla de
passer l'audition pour faire son entrée au Conservatoire. Cependant, elle avait
dépassé la limite d'âge pour faire son entrée en violon. Le sort était jeté, son
alto l'attendait !
À 21 ans, diplôme en main, elle entre à l'orchestre
de chambre de la Radio française à Nice. Un autre hasard, celui-là en faisant la
queue au bureau de poste avec son alto, lui met sa première baguette de chef de
choeur en main. Elle travaille ensuite à Paris et s'implique dans le mouvement «
à Coeur joie » où elle acquiert d'abord sa formation, entre autres auprès de
Philippe Caillard, et agit ensuite comme chef, formatrice et conférencière. En
1964, le destin l'emmène à traverser l'océan jusqu'à Québec ... et elle y est
toujours !
L'Université Laval a vu en elle, dès son arrivée,
une candidate exceptionnelle pour assurer un poste de professeur compte tenu de
l'éventail de ses connaissances et de la polyvalence de ses aptitudes.
Quarante ans plus tard, qu'a-t-elle accompli? À
cette question, Chantal Masson-Bourque ne sait quoi répondre. Elle me dit, avec
cette humilité qui la caractérise, « j'ai semé quelques graines aux quatre vents
... Comme j'ai fait beaucoup de choses, je n'ai pas pu les approfondir toutes.
Il y a des enregistrements qui garderont mon son, mais il y a surtout ces
professeurs d'instrument à qui j'ai transmis le fruit de mes recherches. Ce sont
mes enfants et leurs élèves, mes petits enfants. C'est par eux que j'ai pu
diffuser et que je diffuse encore mes trouvailles. »
En fait, madame Masson-Bourque s'est imposée aux
premiers rangs de la vie musicale canadienne autant comme altiste que comme chef
de choeur. De Moncton à Edmonton, en passant par la France et les États-Unis,
elle a fait chanter des milliers de choristes et marqué des centaines
d'étudiants en musique. En 1996, elle recevait l'Ordre du mérite choral de
l'Alliance des chorales du Québec et le prix de l'Association des chefs de
choeurs canadiens.
Au cours de sa carrière, on a pu l'entendre jouer
comme soliste avec les orchestres symphoniques de Québec, d'Ottawa et ceux,
aujourd'hui disparus, de Radio-Canada à Québec et à Montréal. Chantal
Masson-Bourque a enregistré dix-neuf concertos pour alto et orchestre comme
soliste pour Radio-Canada. De plus, depuis sa formation en 1982, elle est
altiste au sein du Quatuor Laval, dont la discographie compte cinq disques
compacts. Son enregistrement des sonates de Brahms avec le pianiste Luis Sarobe
en 1997, sous étiquette Atma, a reçu un accueil élogieux de la critique. Avec la
complicité de la violoniste Mariko Sato, l'altiste a contribué à la diffusion de
la musique actuelle en créant et enregistrant des oeuvres de compositeurs
québécois, dont plusieurs lui ont été dédiées.
Côté pédagogie instrumentale...
Professeure très appréciée des élèves de la
Faculté, elle a mis sur pied à l'Université Laval des cours de pédagogie
instrumentale mais surtout, un programme de 2e cycle en didactique
instrumentale. Il s'agit d'un cursus de maîtrise unique en son genre et
s'adressant aux musiciens possédant un solide bagage en interprétation qui
désirent se diriger vers l'enseignement tout en continuant de se perfectionner à
l'instrument. Le séminaire qu'elle anime est un lieu d'échange et
d'apprentissage hors du commun où chacun est appelé à enseigner à l'autre à
travers l'instrument, la création, la lecture, l'interprétation, la coopération
et même la poésie. Des cours d'instrument, de musique chambre, d'orchestre, des
séminaires d'analyse et d'histoire complètent la formation.
Pour en apprendre davantage sur cette magicienne,
vous pouvez jeter un coup d'oeil à ses écrits, comme sa traduction du livre de
Paul Rolland, dont elle a diffusé les recherches au Québec et en France,
L'enseignement du mouvement dans le jeu des cordes (1991), ou encore le
Guide de chant choral (1975) préparé par le ministère de l'Éducation et
réédité à plusieurs reprises.
Vous n'êtes pas rassasié ? Laissez-lui quelques
années de retraite, « de re-traite -- se traiter autrement
», précise-t-elle, et je parie que vous pourrez garnir votre
bibliothèque d'ouvrages de Chantal Masson-Bourque, car c'est là un de ses mille et un
projets ! « Il me faudrait au moins 300 ans pour accomplir tout ce que j'aimerais
encore faire dans la vie ! » conclut-elle.
caption photo : Photo : Andrée Barrette
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