Une brève histoire de la guitare Par François Leclerc
/ 4 octobre 2004
Origines
De l'arc des chasseurs de la préhistoire jusqu'à la
parution, en 1546, du premier livre comprenant des pièces de guitare par le
compositeur espagnol Alonso Mudarra, l'instrument a laissé de nombreuses traces
d'une évolution aussi fascinante que complexe. En Asie, en Égypte, en Perse,
chez les Grecs et les Romains, on retrouve depuis des millénaires des
instruments présentant certaines similitudes avec la guitare.
L'abondance des noms d'instruments de la famille
des guitares et autres instruments à cordes pincées similaires donne le vertige
: quintara, chitarra, ghiterna, cithara, citole, cittern, cistre, vihuela, luth,
archiluth, théorbe, mandore, mandoline, chitarrino, quitaria, guiterne,
quinterne, guiterre...
Au Moyen Âge
En Occident, la présence de la guitare peut être
observée dès le Moyen Âge. Les Maures l'introduisent au viiie siècle en Espagne.
Bientôt on la retrouve en Italie, en France, en Angleterre... Dans un manuscrit
de Tristan et Iseult (xiie siècle), on peut apercevoir un joueur de guiterne,
puis vers 1275, au temps d'Alphonse X, roi de Castille, on trouve dans le
célèbre manuscrit Cantigas de Santa Maria des images d'une guitarra
moresca, d'un luth et d'une guitarra latina. La guitarra
moresca, au corps ovale, présente certaines ressemblances avec le luth
tandis que la guitarra latina, avec ses côtés courbés, s'apparente de
façon plus claire à la forme habituelle de la guitare. La guitarra latina
pourrait même être arrivée en Espagne par un autre pays européen, en passant par
la Provence et la Catalogne. À partir du xive siècle, les preuves documentées de
la présence de la guitare dans plusieurs régions d'Europe abondent. En France,
dans les Flandres, en Angleterre, etc., troubadours et autres artistes la font
voyager. On sait qu'elle a résonné chez le duc d'Anjou et chez le roi Édouard
III d'Angleterre vers1360, puis chez Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Vers
1450, Charles d'Orléans récompense deux musiciens aveugles venus d'Écosse qui
jouaient de la guiterne, puis Philippe le Bon est accueilli en Autriche par des
ménestrels dont certains sont joueurs de guiterne.
Au xvie siècle
La popularité de la guitare semble avoir augmenté
de façon plutôt constante jusqu'au xvie siècle si l'on se fie au poète
Bonaventure des Périers :
« Guiterne, aimable soulas
Pour le bien que fait et plaisir,
Je chante ta louange.
Touchée d'une docte main
Tu as belle puissance
Qu'il n'est homme tant inhumain
Qu'il n'ayt resjouyssance.
Par toi, tout deuil est détourné,
Par toi, gaye est la vie,
Par toi, le cœur passionné,
Par toi, l'âme ravie.
Tant que l'œil du monde luyra
Florira la guiterne
Et ton harmonie remplira
Tous les coings de la terre. »
Cette guitare de la Renaissance est de très petite
taille – à peine plus grosse que notre violon –, la rosace est ornée et de huit
à dix frettes de boyau entourent le manche. Comme pour le luth ou la vihuela,
ses cordes sont regroupées en chœurs formés de deux cordes de boyau accordées à
l'unisson ou à l'octave, sauf la première, la chanterelle, qui est souvent
simple. La guitare du xvie siècle comporte le plus souvent quatre chœurs, plus
rarement cinq ou même, exceptionnellement, six. Elle peut être jouée avec un
plectre ou avec les doigts.
La facture et la technique de la guitare étant à
bien des égards semblables à celles du luth et de la vihuela, les guitaristes
pouvaient donc parfois être également luthistes ou vihuelistes. C'est pourquoi
on retrouve quelques pièces de guitare dans les publications de maîtres
luthistes comme l'Italien Melchiore de Barberi, chez les Français Guillaume
Morlaye et Adrien LeRoy (ce dernier était également éditeur et imprimeur) ou
encore chez les vihuelistes espagnols Alonso Mudarra et Miguel de Fuenllana. La
guitare n'a toutefois jamais surpassé ni même atteint la popularité et le
rayonnement du luth et de la vihuela dont le répertoire publié dès le milieu du
xvie siècle est beaucoup plus abondant.
L'importance de la vihuela de mano (jouée
avec les doigts plutôt qu'avec un archet comme la vihuela de arco) dans
l'évolution de la guitare est fondamentale. Exclusivement utilisée en Espagne au
xvie siècle, elle adopte une forme de plus en plus semblable à celle de la
guitare d'aujourd'hui : plus grosse que la guiterne, souvent munie de six cordes
doubles (parfois cinq ou sept), au lieu de quatre. Son répertoire est d'une
richesse exceptionnelle. Les nombreux recueils de compositeurs tels Luis Milan,
Luis de Narvaez, Alonso Mudarra, Diego Pisador, Miguel de Fuenllana, Enriquez de
Valderrabano, Antonio de Cabezon, etc., contiennent aussi bien des
transcriptions d'œuvres polyphoniques (Josquin des Prés, Morales) que des
compositions originales. On y trouve notamment un grand nombre de
fantasias, tiento, differencias (variations) et certaines
danses, dont la pavane.
La musique pour guitare de cette époque, comme
celle pour le luth ou la vihuela, s'écrivait au moyen de la tablature. Les
cordes de l'instrument sont figurées par des lignes parallèles qui ressemblent
ainsi à une portée mais indiquent l'endroit où les doigts doivent être placés et
non pas la hauteur des notes. Les signes de durée, placés au dessus de la
portée, n'ont pas toujours la précision des indications de valeurs de notes de
notre système de notation moderne. L'exécutant doit donc parfois déduire
certains détails. Plusieurs systèmes ont été simultanément en usage (tablatures
française, italienne, allemande, espagnole).
La guitare baroque
Au xviie siècle, la guitare occupe une place
toujours croissante dans à peu près toute l'Europe, particulièrement en Italie,
en France et en Espagne. Plusieurs instruments ont survécu, dont certains sont
de véritables chefs-d'œuvre d'ornementation utilisant parfois des matériaux
exotiques comme l'ébène, l'ivoire, l'écaille et même la carapace de tortue.
Comportant cinq cordes, la guitare baroque a fait l'objet d'une production
particulièrement intense en Italie jusqu'à la fin des années 1630. L'école
parisienne de lutherie s'est ensuite imposée au cours des années 1640 et a
continué de se développer durant plusieurs décennies sous le patronage de la
Cour de Louis XIV, lui-même guitariste.
Parmi les principaux luthiers du xviie siècle, se
démarquent René et Alexandre Voboham, Joachin Tielke et nul autre qu'Antonio
Stradivarius dont les deux modèles qui existent encore de nos jours se
distinguent par la sobriété de leur forme et de leur ornementation.
En plus d'être utilisée pour l'accompagnement de la
voix dans les arias italiennes, chansons françaises et espagnoles, la guitare à
cinq chœurs a aussi été employée comme instrument de continuo. Cependant, la
partie de basse devait souvent être jouée par un autre instrument plus approprié
comme le théorbe ou le violoncelle. Le répertoire pour guitare seul, quant à
lui, est très abondant et diversifié.
La quasi-totalité de la musique pour guitare des
xviie et xviiie siècle a été écrite en tablature. Parmi les nombreux
compositeurs, on remarque Francesco Corbetta et Ludovico Roncalli en Italie,
Santiago de Murcia et Gaspar Sanz en Espagne ainsi que Robert de Visée en
France, le professeur de guitare de Louis XIV. Les deux livres qu'il nous a
laissés, parus en 1682 et 1686, constituent l'un des sommets de la littérature
pour la guitare baroque. Malgré la valeur musicale évidente d'un grand nombre
d'œuvres de ces compositeurs, ce répertoire est resté jusqu'à tout récemment
très peu connu des amateurs de musique baroque, à l'exception des guitaristes
eux-mêmes. La barrière de la notation en tablature a sans doute longtemps
retardé la diffusion de ce répertoire aujourd'hui transcrit en notation
moderne.
La guitare classique
Alors que le luth est progressivement tombé dans
l'oubli durant la seconde moitié du xviiie siècle, la pratique de la guitare a
connu un regain de popularité au début de la période classique. L'ajout d'un
sixième chœur, le passage aux six cordes simples, le remplacement des frettes de
boyau par les frettes d'ivoire, d'ébène, puis de métal, ont fait évoluer la
guitare vers une sonorité de plus en plus semblable à celle de la guitare
classique que nous connaissons aujourd'hui. Plusieurs virtuoses ont connu de
brillantes carrières européennes, tels Ferdinando Carulli, Mauro Guiliani,
Fernando Sor et Niccolo Paganini. Ce dernier, excellent guitariste, transposa
sur le violon des effets typiques de la guitare. Leurs compositions pour guitare
seule, fort bien écrites, sont d'une efficacité évidente lorsqu'il s'agit de
plaire immédiatement. Quelques décennies plus tard, Francisco Tarrega poursuit
brillamment cette tradition. Mais pour quiconque a goûté à la musique des
contemporains (Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert puis Chopin) de ces
compositeurs-guitaristes, la substance du message artistique – sauf peut-être
pour une partie de l'œuvre de Sor – paraîtra souvent mince.
La guitare a aussi été utilisée en musique de
chambre (entre autres par Luigi Boccherini qui l'a introduite dans douze de ses
quintettes) à l'opéra comme effet particulier pour accompagner quelques mélodies
ou encore pour accompagner des lieder. Berlioz, dans son Grand Traité
d'instrumentation, souligne l'intérêt de sa sonorité, mais fait également
remarquer qu'il est presque impossible de bien écrire pour la guitare sans en
jouer.
C'est à partir du milieu du xixe siècle que le
luthier espagnol Antonio de Torres Jurado développe le modèle de la guitare
classique moderne. Les guitares de Torres, avec leur plus grande dimension, plus
de volume et un timbre plus riche ont ouvert la voie aux luthiers du xxe
siècle.
Malgré l'évolution de l'instrument, le guitariste
d'aujourd'hui évolue dans un univers qui a somme toute assez peu changé depuis
500 ans : possibilités harmoniques restreintes, volume sonore limité, fragilité
de l'instrument, sans oublier le problème du répertoire relativement limité.
Quiconque fréquente les concerts de guitare s'expose donc à réentendre souvent
les mêmes œuvres. Mais le charme si particulier des guitares de toutes les
époques et de tous les styles continue d'opérer et Bonaventure des Périers, il y
a plus de 450 ans rappelons-nous, avait bien raison : « ... Tant que l'œil du
monde luyra, florira la guiterne, et ton harmonie remplira tous les coings de la
terre. »
Le virus guitaristicus est bien loin d'être
éradiqué !
François Leclerc
François Leclerc a participé à de multiples
tournées et enregistrements aussi bien comme soliste qu'en tant que membre de
divers ensembles instrumentaux. À la fois luthiste et guitariste, il est
régulièrement appelé à interpréter le répertoire de musique ancienne.
Comme concepteur de concerts et d'enregistrements
thématiques, il a été constamment amené à élaborer un répertoire inédit au moyen
de recherches, de reconstitutions et d'arrangements musicaux. Il a entre autres
produit des disques : Le Dernier Chevalier réalisé à l'occasion de la
venue en Amérique du Nord de l'exposition Les Hommes de fer d'Autriche
impériale ; L'Aventure en Nouvelle-France avec l'Ensemble Stadaconé ;
Noëls de tous les temps (avec le baryton Jean-François Lapointe) et, tout
récemment, Les chemins du Moyen Âge.
En 1989, il a fondé Via Musique, organisme voué à
la présentation de concerts, de conférences et d'ateliers éducatifs. Au
printemps 1999, il était invité à donner le concert d'ouverture des Biennales
internationales de la Guitare à Saint-Paul-Trois-Châteaux, en France et à
l'automne 2000, il s'est produit au Théâtre du Capitole de Toulouse. Au
printemps 2001, il donnait, comme luthiste et directeur musical de l'Ensemble
Stadaconé, le concert offert par la Gouverneure générale du Canada aux maires
des villes du patrimoine mondial de l'unesco.
François Leclerc s'est également intéressé de façon
particulière à la démocratisation de la musique « non commerciale » et au
développement de nouveaux publics en présentant plus de 2 400 concerts devant
des publics de jeunes dans diverses régions du Québec et dans l'Ouest canadien.
Parallèlement à ses prestations à la scène et sur disque, il est professeur au
Département de musique du Collège de Sainte-Foy et à la Faculté de musique de
l'Université Laval.
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