En périphérie : la guitare dans tous ses états. Présents à Chitarra 2004 Par Réjean Beaucage
/ 4 octobre 2004
Premières Œuvres de Bogdanovic, Brouwer, Gougeon, Hétu
Dimitri Illarionov, guitare ; The
Seasons Orchestra / Vladislav Bulakhov
Doberman-Yppan DO 500 (66 min 47 s)
Illarionov est le lauréat 2002 du Concours de la
GFA et on pourra l'entendre cette année interpréter le Concerto pour guitare
et orchestre à cordes, op. 56, de Jacques Hétu. L'œuvre est aussi
magnifiquement enregistrée ici. C'est d'ailleurs la seule qui ne soit pas... une
première, un enregistrement étant déjà paru dans la collection Ovation, avec
François Fowler (Disques SRC). Le présent disque propose un Concertino for
Guitar and Strings, de Denis Gougeon, deux concertos pour guitare et
orchestre à cordes, ceux d'Hétu et de Bogdanovic, et quatre Canciones Remotas
for String Orchestra de Leo Brouwer, un compositeur surtout connu par ses
œuvres pour la guitare et qui, pourtant, ne l'utilise pas ici. L'enregistrement
est de haute qualité et l'équilibre entre la guitare et l'orchestre y est
parfait. Des musiques assez sages et sans suprise, mais qui démontrent bien
cependant l'intérêt de combiner la guitare et l'orchestre à cordes.
Les scènes de quartiers Œuvres de Patrick Roux Canadian Guitar Quartet ; Ensemble
instrumental Appassionata / Daniel Myssyk
Eclectra ECCD-2064 (54 min 52 s)
La musique de Patrick Roux est volontairement
évocatrice ; il présente d'ailleurs la collection d'œuvres présentées ici comme
une musique à programme illustrant la vie des quartiers populaires. Les
guitaristes Philip Candelaria, Denis Donegani, Louis Trépanier et Roux lui-même
rendent à merveille les rythmiques dansantes inspirées du tango et la musique
ruisselle de la douce chaleur propre à ce dernier. Le quatuor atteint une grande
précision d'ensemble. La prise de son est excellente, sauf dans le Concerto
nº 1 pour quatre guitares et orchestre, enregistré à l'église
Saint-Jean-Baptiste de Montréal, où l'orchestre sonne très bien, mais au
détriment des guitares, qui perdent beaucoup en clarté à cause de la
réverbération du lieu. L'œuvre elle-même n'en est pas pour autant gâchée et il
fait plaisir de découvrir l'ensemble Appassionata sur ce premier enregistrement,
dans lequel il rivalise de précision avec les guitaristes.
L'Hexacorde Œuvres de Cage, Kagel, Levasseur, Marcoux,
Vivier
monsieur fauteux m'entendez-vous ? MFMV ? 10 (42
min 37 s)
Voici un beau premier disque comportant un
programme très original. D'abord un arrangement de trois pièces pour orgue de
Mauricio Kagel, extraites de Rrrrrrr..., où l'humour du compositeur est
très bien servi. Vient ensuite une belle version de Pulau Dewata, de
Claude Vivier. L'œuvre à quatre voix pouvant être adaptée à « n'importe quelle
combinaison d'instruments » n'en est pas à sa première transcription (à la
guitare, on connaît déjà la version du Fred Frith Guitar Quartet), et cette
version-ci s'inscrit avantageusement dans une liste qui comporte déjà de
nombreux grands interprètes. L'idée de transcrire pour cinq guitares et basse
des extraits des Sonates et Interludes pour piano préparé de John Cage
est excellente et le résultat est à l'avenant. Vivement l'intégrale ! Du même
compositeur, In a Landscape est tout aussi réussie, et constitue pour les
instrumentistes un bel exercice rythmique. Le jeune compositeur Martin Levasseur
utilise intelligemment la guitare électrique dans ses Empreintes
magnolia, ce qui contribue à diversifier agréablement le programme. Enfin,
le guitariste Francis Marcoux y va, avec Obstination, d'une œuvre
inspirée de loin par la guitare rock où les clusters d'ensemble sont
déconstruits et passés à la moulinette contrapuntique puis distribués entre les
six musiciens. Un disque vivant et vivifiant.
À découvrir Guitar Music of Villa-Lobos Joseph Bacon, guitare mutablemusic mutable 17513-2 (47 min 41
s)
Paru à l'origine en vinyle chez 1750 Arch Records,
cette réédition permet d'entendre une sélection représentant trois époques
différentes dans la vie d'Heitor Villa-Lobos (1881-1959), sans doute le
compositeur Brésilien le plus connu et sans doute l'un de ceux qui a contribué
le plus au répertoire pour la guitare (son catalogue compte près de 2 000 œuvres
!). On trouve ici trois Chôros datant de 1912 et qui évoquent son travail
de musicien de rue interprétant une musique qui calque celle des salons
européens, quatre Études (nº 5, nº 7, nº 8 et nº 11), extraites de la
douzaine qu'il écrivit en 1929 à Paris pour Andrés Segovia (1893-1987), avec qui
l'interprète a étudié, et les cinq Préludes qui nous sont parvenus des
six qu'il écrivit en 1940, au faîte de la gloire. C'est le classicisme de la
guitare moderne.
Playing Guitar : Symphony nº1 Tim Brady, guitare et traitements ;
Nouvel Ensemble Moderne / Lorraine Vaillancourt
Ambiances Magnétiques AM 125 CD (56 min 06
s)
Le compositeur et guitariste (électrique !) Tim
Brady offre avec cette Symphonie nº 1 une œuvre forte, qui se
déploie sans concession et qui offre un bel exemple de ce que l'électricité a à
offrir à la musique contemporaine. L'écriture peut rappeler par moments celle
des minimalistes américains telle que revisitée par les européens, et le NEM,
magnifiquement dirigé par Lorraine Vaillancourt, y est parfaitement à son aise.
Pas beaucoup de répit dans cette musique plutôt nerveuse et percussive, mais pas
d'ennui non plus. Le disque est complété par Frame 1 – Resonance, une
pièce écrite pour un piano (Pamela Reimer) qui « résonne » au travers d'une
guitare traitée électroniquement.
Just Guitars Œuvres d'Harrison, Partch, Riley, Schneider,
Scholz
John Schneider,
guitare Bridge Records Bridge 9132 (67 min 30 s)
Choisir la musique contemporaine n'est déjà pas une
sinécure, mais choisir, en plus, de la composer avec d'autres notes que celles
de « tout le monde », voilà un programme audacieux. L'oreille humaine serait
apparemment capable de discerner 500 notes différentes à l'intérieur d'une
octave, voilà la raison qui a poussé quelques compositeurs à se pencher sur la
microtonalité. John Schneider donne quelques exemples des expériences qui ont
été tentées dans ce domaine, la moitié des pièces présentées ici étant de
premiers enregistrements. De la musique mathématique de Carter Scholtz
(magnifique Rhytmicon I) à celle, baroque et/ou orientale, de Lou
Harrison (à qui le disque est dédié), en passant par les chansons de hobo
d'Harry Partch et par un Terry Riley bien loin de In C, ces airs
américains du xxe siècle sont à coup sûr dépaysants.
Whitewater California Guitar Trio InsideOut Music IOMACD 2091 (47 min 11
s)
Après s'être rencontrés dans la classe de Robert
Fripp, les membres du California Guitar Trio ont gardé la marque indélébile du
style très distinctif de leur maître, et les sept enregistrements qui précèdent
celui-ci en témoignent. Ce n'est guère là un reproche, mais un simple constat.
On ne reprochera à personne de bien jouer ! Le trio reprend d'ailleurs ici
Prelude Circulation BVW 988, d'après les Variations Goldberg,
qu'interprétaient déjà Robert Fripp & The League of Crafty Guitarist. Mais
Moriya, Richards et Lams s'amusent ici, comme toujours, à mêler les influences,
ajoutant une ou deux guitares électriques ici, un rythme latin ou bluesy
là et amalgamant même pour finir en beauté le thème western archi-connu
du Ghost Rider au Rider of the Storm des Doors... Très belle
production signée Tony Levin.
Le maître du Roy – The King's
Teacher
Works for
lute, theorbo and guitar by Robert de Visée, vol. 1
Eduardo Egüez : luth, théorbe et
guitare M.A Recordings M064A (63 min 56 s)
Voici une étiquette qui s'adresse à l'esthète par
l'exquise présentation de ses boîtiers, au mélomane curieux par le choix de ses
programmes et ses livrets sérieusement conçus, et à l'audiophile par le soin
apporté à l'enregistrement (on nous donne même des détails sur les fils des
micros !). Le but du présent enregistrement est de ranimer le souvenir d'un
musicien qui se produisait régulièrement avec Couperin, Marais, Rebel ou
Forqueray, et qui jouissait en tant que compositeur d'un grand succès, mais dont
l'histoire n'a guère gardé de traces. Pourtant, les 189 pièces qu'on lui
attribue aujourd'hui ont inspiré pas moins de 730 versions, ce qui donne une
idée de leur popularité, et l'article « guitare », dans l'Encyclopédie de
Monsieur Diderot (1657) cite son nom trois fois (... et aucun autre !). Voilà
qui devrait certes intéresser nos lecteurs guitaristes !
The Universe will Provide Michael Keneally, guitare ; Metropole
Orkest / Jurjen Hempel
Favoured Nations FN2400-2 (51 min 30 s)
Voici un disque intéressant. Le guitariste Michael
Keneally s'est surtout fait connaître pour avoir participé, en 1988, à la
dernière tournée de l'ensemble de Frank Zappa. Il a depuis participé à une
multitude de projets. Le présent enregistrement nous offre l'occasion d'entendre
sa première composition pour grand orchestre (50 musiciens, incluant une section
rythmique jazz/rock). Le compositeur a enregistré ses propres parties (guitare
et piano électriques) après l'orchestre, ce qui permet un mixage très
convaincant. Très belle écriture d'orchestre, vive et précise, très « américaine
», aux couleurs passablement cuivrées. La partition comporte des accents jazzés
qui rappellent vaguement Chick Corea, mais l'œuvre s'éclate en plusieurs styles.
De très belles trouvailles au niveau des textures (le banjo fait des merveilles,
et la batterie aussi, d'ailleurs). Une première fois qui en laisse espérer
d'autres.
Garam Masala Trio de guitares de Montréal Banyan BYN-2-001 (54 min 29 s)
Deuxième disque des très versatiles Glenn Lévesque,
Marc Morin et Sébastien Dufour. Un véritable tour d'horizon qui passe du très
rythmé et très rapide Pat Metheny au reggae métissé de gigue écossaise (!) de
Belà Fleck et Jerry Douglas et passant par le Brésil de Paulo Bellinati, la
musique gitane de l'Australien Philip McLeod, les élans nostalgiques de Paco De
Lucia et le post-baroque de Boccherini. Cela sans compter la musique
d'inspiration indienne de Dufour, qui donne son titre au disque, et le ballet
Alice au Pays des Merveilles, de Claude Gagnon, composé à l'origine pour
le Trio de guitares de Québec. Le trio fait appel à d'autres musiciens pour
colorer son discours lorsque cela est nécessaire. Une très belle production qui
offre une très bonne sélection des possibilités du trio de guitares et qui se
laisse écouter avec plaisir.
Poul Ruders : Guitar Concertos &
Solos
David
Starobin, guitar : Speculum Musicae / Donald Palma ; Odense Symphony Orchestra /
Jan Wagner
Bridge Records Bridge 9136 (64 min 56 s)
Entièrement consacré à la musique pour guitare du
compositeur Danois Poul Ruders, le présent enregistrement souffre d'une prise de
son diffuse, qui fait perdre les détails de la guitare par moments (à moins
d'écouter le disque à volume heavy metal), principalement dans
Psalmodies (Guitar Concerto Nº 1), que l'on dirait enregistré dans les
années soixante (dans les faits : 1992 !). Le problème disparaît dans les
Paganini Variations (Guitar Concerto Nº 2), enregistrées en 2002. Basées
sur le Caprice nº 24 pour violon solo de Paganini, l'œuvre démontre à la
fois l'inventivité du compositeur, qui joue des textures orchestrales en peintre
savant, et la virtuosité de son interprète, qui rivalise aisément avec le grand
inspirateur. Deux pièces pour guitare solo, qui donnent l'impression d'avoir été
enregistrées alors que le guitariste était dans la pièce à côté, complètent le
disque.
Django Reinhardt (1910-1953)
Portrait Blue Classic Line 7272 (62 min 29
s) Alain Antonietto et François Billard
Django
Reinhardt – Rythmes futurs Fayard, 2004, 518 p.
Le jeu de Django Reinhardt étonne à chaque écoute
par son époustouflante virtuosité, et il séduit même malgré la qualité, «
historique », des enregistrements qu'il nous reste de lui. D'abord joueur de
banjo, le musicien allait rencontrer le destin une nuit de 1928, alors que
l'incendie de sa roulotte le laissa grièvement brûlé. Le Tsigane en sortira
après de longs mois de souffrance et d'angoisse avec le choix d'un nouvel
instrument : la guitare. Il ne pourra plus jamais, pour en jouer, se servir de
l'annulaire et de l'auriculaire de sa main gauche... Ce seul fait rend sa
musique miraculeuse, mais c'est encore sans compter les grandes innovations
qu'il contribua à apporter au jazz français naissant, en le métissant de ses
racines manouches, avec le concours de musiciens tout aussi inventifs, parmi
lesquels le grand violoniste Stéphane Grappelli (que le disque « Portrait »
s'entête à appeler « Grappelly »). Ce « portrait » est d'ailleurs bien
laconique, ne contenant aucun livret, mais une simple feuille avec les détails
minimums sur chaque pièce, dont l'ensemble ne couvre pas 10 ans de la vie du
musicien (1938-1947). Ça peut offrir une bonne introduction.
La biographie parue chez Fayard peut quant à elle
prétendre à la quasi-exhaustivité. Profusion de détails, témoignages,
discographie et présentation de la « descendance » du maître, tout y est. Un
beau travail qui offre, lui, un portrait assez complet d'un pan important de
l'histoire de la musique du xxe siècle.
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