Le pouvoir guérisseur de la musique Par Balfour M. Mount, M.D.
/ 9 septembre 2004
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La musique, quelqu'en soit le genre, a touché l'âme
humaine à tous les âges, dans tous les lieux. Le pouvoir guérisseur de la
musique est documenté depuis des millénaires. Un récit concernant deux des rois
légendaires d'Israël aurait été écrit durant le règne de Salomon : « Ainsi,
chaque fois que l'esprit de Dieu assaillait Saül, David prenait la cithare et il
en jouait; alors Saül se calmait, il allait mieux et le mauvais esprit
s'écartait de lui. » L'expérience de Saül trouve un écho dans nos vies
quotidiennes. William Congreve a pu écrire : « La musique possède des charmes
pouvant apaiser un coeur sauvage. » Pour sa part, Yo-Yo Ma ajoute : « Guérir ?
Pour moi, c'est le sens même de la musique, vous ne croyez pas ? »
Musique et guérison au chevet des
malades
Anne a été admise à l'unité des soins palliatifs de
l'Hôpital Royal Victoria de Montréal en raison de douleurs au dos dues à un
cancer du sein qui avait atteint sa colonne vertébrale. En quelques jours, nos
pires craintes se confirmèrent : ses symptômes s'aggravèrent et, en dépit des
traitements, elle est devenue paralysée de la taille aux pieds. Anne était
démolie : elle était une mère seule, elle avait une nouvelle hypothèque, un
emploi précaire, elle n'arrivait pas à joindre les deux bouts. Son optimisme de
toujours s'effondra et un sentiment d'impuissance se répandit dans l'équipe de
soins palliatifs.
Un jour, en fin de matinée dans ma tournée quotidienne,
deux ou trois semaines peut-être après cette crise, je suis entré dans la
chambre d'Anne et me suis assis près de son lit. Notre bref échange sur ses
symptômes et son état fut suivi d'un silence, une reconnaissance mutuelle de
notre impuissance commune. Il n'y avait pas grand-chose à dire ! À tout hasard,
je lui ai demandé : « Anne, aimez-vous la musique ? » « Oui », répondit-elle. «
Quelle sorte de musique ? » Elle me regarda, incertaine, ne sachant si elle
devait me dire la vérité. Avait-elle assez confiance en moi ? Après une pause,
presque en chuchotant, elle dit : « Elvis ». Je m'exclamai : « Vraiment ? Eh
bien,vous saurez qu'en 1957, je suis allé l'entendre à Ottawa. » Sa réaction fut
explosive. Tout étonnée, elle cria presque : « Quoi ? Vous étiez au spectacle
d'Ottawa ?! » Je n'avais jamais auparavant admis que j'avais assisté à un
spectacle d'Elvis Presley, mais son admiration était encourageante. « Ouais,
dis-je, j'étais là à Ottawa ! »
Il s'en est suivi l'une des conversations les plus
intenses, les plus émouvantes que j'aie eues de toute ma vie. Nous avons parlé
environ une demi-heure. Je lui ai raconté cette soirée mémorable, d'il y avait
si longtemps. Anne me parla du « King », de Graceland, de la générosité d'Elvis,
du sentiment de sa présence qu'elle éprouvait toujours en écoutant sa musique.
Elle était animée, entièrement présente, elle voulait des détails. Lorsque j'ai
quitté sa chambre, son visage était radieux. Je me sentais privilégié, j'avais
foulé une terre sacrée. L'importance de notre conversation pour Anne était
évidente. Ce n'était pas uniquement un bref moment d'épanchement, c'était
beaucoup plus que cela. Pour la première fois depuis sa paralysie, Anne s'était
sentie entière, elle avait connu la joie d'être pleinement en vie! Personne qui
aurait voulu l'encourager n'aurait pu lui donner ce qu'elle venait de connaître.
Bien que paraplégique, elle pouvait être aussi vivante que jamais !
Cette expérience d'Anne et d'autres patients en soins
palliatifs a mené notre équipe à se poser des questions dans des domaines
inédits. Qu'est-ce qui détermine la qualité de vie ? Quelle est l'importance de
la vie intérieure et comment influe-t-elle sur la maladie ? Qu'est-ce que la
guérison? Comment ces questions se rapportent-elles à la musique ?
La qualité de vie et ses facteurs
La « qualité de vie » (QDV) peut être définie comme le
bien-être subjectif. Elle constitue la base de la réponse à la question :
« Comment vous sentez-vous aujourd'hui, êtes-vous bien dans votre peau ? » La
QDV est une évaluation globale dont tous les aspects – physique, psychosocial et
spirituel – de la personnalité sont une composante. Étonnamment, la santé
physique joue un rôle relativement secondaire dans la qualité de vie. Par
exemple, on a pu montrer que le bien-être affectif et la satisfaction
dans la vie (deux construits qui déterminent la QDV) sont les mêmes pour des
personnes atteintes d'une incapacité physique grave et les gens dans la
population générale. Qui plus est, la QDV s'améliore de façon marquée en réponse
à des soins compétents et compatissants donnés à la « personne totale », même
lorsque la mort est imminente. Le domaine existentiel ou spirituel
constitue un facteur majeur de la QDV, et particulièrement dans les maladies
qui mettent la vie en danger.
Le rapport entre la musique et la QDV et la
guérison
Notre QDV varie de moment en moment dans un continuum
allant de la souffrance et l'angoisse à un extrême à un sentiment d'intégrité à
l'autre. La guérison comporte un changement d'attitude en faveur de ce dernier.
Qu'est-ce qui permet un ressourcement comme celui qu'Anne a vécu ? Les
traditions des sages, la psychologie des profondeurs et des recherches récentes
mentionnent plusieurs facteurs. Un apaisement se produit lorsque nous sommes
ramenés au présent et détournés des ruminations du passé ou de l'avenir qui
dominent constamment nos vies. Cela demande un abandon des modes de pensée
littéraux, rationnels et linéaires et l'acceptation d'une perception intuitive,
imaginative et métaphorique de la réalité (s'exprimant dans certaines traditions
comme un passage de la réflexion à une vision du coeur). Une telle perception
est associée à un enrichissement du sens et à un sentiment de connexion. Nous
pouvons éprouver ces connexions guérisseuses de quatre manières : sur un
plan intérieur, entre l'ego et le soi ou centre profond ou soi fondamental
(c'est l'individuation de Carl Jung); deuxièmement, comme liens avec les
autres (la relation entre Je et Tu de Martin Buber); troisièmement, comme une
connexion au monde phénoménal, tel que perçu par nos sens – par exemple, en
réaction à la musique, la nature, la course de fond, la création artistique;
enfin, dans un sentiment de connexion au sens ultime / à Dieu / au « Plus »,
quelle qu'en soit la perception de la personne.
La musique, lorsqu'elle est vraiment guérisseuse, peut
emprunter l'une ou l'autre de ces voies pour abolir nos défenses si
soigneusement érigées, libérant ainsi une compréhension et une acceptation plus
profondes du mystère et des possibilités de guérison qui se trouvent en nous. La
physique newtonienne nous a dit qu'à la base, nous sommes des particules; la
physique quantique, que nous sommes des vibrations. Il semble que nous ne soyons
pas l'un ou l'autre, mais bien l'un et l'autre. Il se peut que,
par sa nature vibratoire, la musique nous ouvre à une meilleure compréhension de
notre connexion essentielle avec le cosmos, de notre unité avec tout ce qui
est.
[Traduction: Alain
Cavenne]
Balfour M. Mount, M.D., est titulaire de la chaire Eric
M. Flanders en médecine palliative, Université
McGill.
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