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La Scena Musicale - Vol. 10, No. 1

25 ans de SuperMusique Contre vents et marées !

Par Réjean Beaucage / 9 septembre 2004


Les Productions SuperMusique (autrefois SuperMémé) ont largement contribué, ces 25 dernières années, à l'émergence et au développement du courant de « musique actuelle » au Québec et au Canada, de même qu'à la reconnaissance de la musique des femmes. C'est toujours le trio d'origine qui mène la barque. Elles sont auteures, compositrices, improvisatrices et interprètes, mais elles s'occupent aussi de production et de diffusion de concerts et de développement de tournées, pour leur propres projets, bien sûr, mais aussi pour le compte de nombreux artistes locaux et internationaux. À l'aube de leur 25e anniversaire, nous constatons avec elles qu'en matière d'aide aux artistes, plus ça change, plus c'est pareil !

LSM : Il y a 25 ans, on ne parlait pas déjà de « musique actuelle » ?

Diane Labrosse : Non, en effet, il n'y avait pas de courant défini comme tel.

Danielle Palardy Roger : On parlait plutôt de musiques « non-commerciales ». Nos influences, c'était la compositrice américaine Carla Bley, ou le groupe germano-britannique Cassiber. Joane, de son côté, était plutôt intéressée par le jazz.

LSM : À cette époque, juste après l'explosion du mouvement punk en 1977, de nombreux artistes avaient pour mot d'ordre l'expression Do it yourself.

DPR : C'est vrai. Nous avions l'exemple de Frank Zappa, entre autres, qui avait lancé ses propres étiquettes. De notre côté, nous avions bien été voir quelques compagnies ou gérants d'artistes, mais c'était pour se faire dire que ce genre de musique n'intéressait personne... Ce n'était pas encore de la « musique actuelle », mais c'était certainement déjà de la musique en marge. Du côté de la musique pop, on nous voyait comme une formation jazz, mais les amateurs de jazz n'étaient pas d'accord ! Nous étions « entre » tout. Nous n'avions pas à cette époque-là d'affinité avec la musique contemporaine ou avec l'électroacoustique, comme cela a pu arriver plus tard.

Joane Hétu : Bien sûr, ça existait, mais l'électroacoustique était beaucoup moins présente à cette époque qu'elle ne l'est aujourd'hui. Il y avait une facture tout de même assez rock dans notre approche ; nous donnions des concerts aux Foufounes électriques ! Cependant, cet aspect s'est estompé au fil des ans.

LSM : En maturant, votre projet s'est mieux défini.

JH : Il faut dire que nous avions à le définir chaque année, en faisant des demandes de bourses (rires) !

DPR : Je préférerais dire qu'il s'est transformé. Au départ, nous avions fondé SuperMémé pour soutenir la création et la diffusion de Wondeur Brass, essentiellement.

DL : Je pense que notre influence première en fait, c'était l'idée du « collectif » et nous étions influencées par d'autres collectifs. Nous connaissions L'Enfant Fort (1975, devenu par la suite le Pouet Pouet Band en 1978, Montréal Transport Limité en 1981 et, finalement, la Fanfare Pourpour aujourd'hui – ndlr). Des gens qui voulaient jouer de la musique et qui se donnaient l'occasion de le faire, quitte à jouer dans la rue.

LSM : Donc, à compter de 1979, vous fondez les Productions SuperMémé. À partir de là, que se passe-t-il ?

JH : Les premières années sont assez calmes en termes de production, puisque nous nous occupions surtout de faire vivre notre projet Wondeur Brass, organiser des concerts, etc. Le premier album de l'ensemble est paru en 1985. On n'avait aucun soutien de sources gouvernementales, mais ce n'était pas faute d'en demander.

LSM : C'était le début de quelque chose ; le collectif Ambiances Magnétiques se forme aussi vers cette époque.

JH : En 1983, mais de façon très informelle. Notre premier disque est paru sous étiquette « Wondeur Brass », de façon totalement indépendante, puis c'est André Duchesne (guitariste, auteur et compositeur) qui nous a emmené vers l'étiquette Ambiances Magnétiques. Après avoir fait paraître notre disque, nous avons fait une tournée européenne qui a été décisive. Nous avions pu transmettre l'enregistrement à Chris Cutler (percussionniste, compositeur, fondateur de l'étiquette britannique Recommended Records) et il nous a fait comprendre que notre musique s'insérait dans un courant, que d'autres personnes faisaient, un peu partout, une musique aussi « indéfinissable » que la nôtre. Ça nous a fait beaucoup de bien !

DL : À travers les artistes publiés par Recommended Records et les compagnies qui distribuaient ces disques un peu partout, nous avons trouvé une famille.

LSM : Et les Productions Supermémé ont voulu la faire connaître.

DPR : Ça a vraiment débuté en 1988 avec l'organisation du FIMI (Festival international de musiciennes innovatrices). Nous avions déjà participé à plusieurs festivals européens, et nous avions rencontré d'autres musiciennes. Nous avions compris qu'il serait possible de briser notre isolement, tant au niveau musical qu'en tant que « groupe de filles », en empruntant la voie internationale. Le FIMI a été le premier événement pour lequel PSM a agit en tant que diffuseur.

DL : Dans les années 1980, nous mettions vraiment l'accent sur la musique des femmes, parce que nous constations qu'elle avait très peu de visibilité. L'idée du FIMI était précisément de montrer qu'elle existait et de lui donner sa place. Ça fait partie du mandat de l'organisme de prioriser l'apport des femmes à la musique.

DPR : Nous avons ensuite produit des concerts avec les membres du collectif Ambiances Magnétiques (Une théorie des ensembles, saison 1992-1993), puis les choses se sont enchaînées (Les Muses au musée, 1992-1993, Tohu Bohu : 7 jours de musique actuelle au Théâtre La Chapelle, 1993-1994, etc.) et l'organisme a fait de plus en plus de diffusion de concerts avec des artistes locaux ou internationaux.

JH : Il y avait des changements de notre côté aussi. Wondeur Brass est devenu un quatuor (Justine), et finalement un trio (Les Poules) ; nos vies personnelles ont aussi évolué et nous avons eu des projets individuels ou des collaborations avec d'autres musicien-ne-s, ce qui a eu un effet sur les productions de l'organisme. Il y avait aussi d'autres événements pour lesquels nous étions sollicitées, comme New Music America – Montréal musiques actuelles (1990), qui a été majeur dans le développement musical de Montréal et qui a contribué à élargir davantage nos horizons.

DPR : Nous avons éventuellement délaissé l'esprit de « collectif » qui faisait que nous faisions chaque chose à trois, pour nous diviser les tâches d'une manière plus efficace et aussi par affinités personnelles. Diane a pris le dossier de l'organisation de tournées et moi celui de la production de concerts, de même que la direction générale, la direction artistique étant partagée à trois. En 1991, Joane a fondé DAME (Distribution Ambiances Magnétiques Etc.), un organisme avec lequel PSM collabore évidemment de très près.

JH : Il faut bien insister sur le fait que le développement des Productions SuperMusique ne s'est pas fait tout seul. Après 12 ans d'existence, et avec un rayonnement important, PSM était à peine subventionné et nous devions toutes travailler ailleurs pour joindre les deux bouts. Danielle et Diane ont ainsi travaillé auprès d'organismes ayant des mandats semblables à celui de PSM, et elles ont pu se rendre compte que ceux-ci étaient beaucoup mieux subventionnés... À partir de 1993, Danielle est partie en croisade pour la reconnaissance de nos actions en développant des alliances avec d'autres organismes, par exemple. En 1996, nous avons collaboré à la série de concerts Musiques échange Québec-Belgique, organisée par la société Codes d'accès et les alliances se sont poursuivies par la suite ; il y a eu la Symphonie du millénaire, en 2000, le SuperMicMac (pour « Musiciennes innovatrices canadiennes – Musique actuelle et contemporaine ») en 2000 (récipiendaire du prix Opus 2001 « Événement musical de l'année »), Montréal / Nouvelles musiques en 2003, etc.

DPR : C'est à partir de là que la mixité des genres s'est vraiment consolidée entre les mondes des musiques actuelle, contemporaine et électroacoustique. J'avais déjà travaillé avec l'Ensemble contemporain de Montréal, DAME partageait des bureaux avec l'étiquette de musique électroacoustique Empreintes Digitales, etc.

JH : Cette diversité d'approches a contribué à diversifier les publics. On peux le voir aujourd'hui dans les concerts ou les grands événements comme le Festival de musique actuelle de Victoriaville, les publics se mélangent et, aussi, avec l'apport des différents courants de musique techno, ils rajeunissent !

LSM : L'hybridité de la musique actuelle a finalement contaminé tous les secteurs ! Aujourd'hui, toutes les musiques sont métissées.

JH : Généralement, quand l'impureté d'un style fait que l'on ne sait plus si l'on peut appeler ça du jazz ou de la musique contemporaine, ça devient de la musique actuelle !

Cent fois sur le métier...

LSM : Que nous réserve donc la 25e saison de PSM ?

JH : Paradoxalement, je crois que ce sera notre saison la plus difficile des dix dernières années.

DPR : Nous voulons mettre en ligne les archives de PSM, saison par saison, un projet qui rendra un peu plus palpable notre contribution à la musique d'ici. Nous soulignerons principalement notre collaboration à toutes les trois, avec un projet autour du trio Les Poules. Nous avons un autre projet en gestation qui s'intitule Palimpseste Orchestre, par lequel nous revisiterons les musiques que nous avons créées ces 25 dernières années. Un autre projet, prévu pour cette saison, a dû être reporté faute de financement. Il y a aussi la série SuperOption, une collaboration entre PSM et DAME qui a été vivement encouragée par le CALQ et le CAC, parce qu'il n'y a pas beaucoup d'autres diffuseurs de ce type de concerts chez nous. PSM est identifié comme étant le diffuseur de musique actuelle à Montréal.

JH : Surtout, il y a peu de diffuseurs qui s'inscrivent dans une continuité comme PSM et qui offrent une structure de fonctionnement permettant du temps de répétition, des cachets intéressants, de la visibilité médiatique, etc. Or, on nous encourage à poursuivre dans cette voie, mais malheureusement, c'est sans nous offrir le soutien nécessaire pour y parvenir. Nous ne ferons donc pas de nouvelle série SuperOption en 2004-2005.

DPR : Le CALQ vient de terminer l'évaluation des organismes qu'il subventionne, un exercice qu'il répète à tous les quatre ans. Nous avions donc le même montant chaque année depuis quatre ans, et on vient de nous confirmer que nous aurons encore le même montant pour les quatre prochaines années...

JH : Cela, suite à une évaluation très positive et à propos d'un organisme qui n'a jamais eu de déficit en 25 ans !

LSM : PSM s'est récemment allié au Nouvel Ensemble Moderne (NEM) et à la société de concerts Réseaux pour tenter de doter Montréal d'une salle qui serait conçue spécialement pour recevoir des concerts de musiques actuelle, contemporaine et électroacoustique.

DPR : Il y a un grave problème de salles à Montréal. Nous avons déjà proposé une offre pour l'achat d'un immeuble, qui a malheureusement été rejetée, mais nous continuons à travailler en ce sens et nous ne désespérons pas d'arriver à nos fins. Il nous reste une étude de faisabilité qui est évidemment caduque, mais qui nous donne tout de même une certaine crédibilité en ce qui concerne le sérieux avec lequel nous poursuivons ce projet.

LSM : C'est une belle alliance que celle de ces trois organismes oeuvrant dans des secteurs de la musique qui sont apparemment bien différents, mais qui s'unissent pour un projet commun.

DL : C'est une belle alliance en effet, et elle mériterait bien aussi quelques encouragements... Autres que virtuels !

La saison 2004-2005 de PSM sera lancée le 20 octobre à Montréal, à la Sala Rossa, tout comme le disque de l'Ensemble SuperMusique. www.supermusique.qc.ca

 

Canevas « + »

Ensemble SuperMusique

Ambiances Magnétiques AM 124 CD (54 min 02 s)

**** $$$$

PSM mettait sur pied en 1998 l'Ensemble SuperMusique, un ensemble à géométrie variable capable de s'attaquer à des projets réclamant jusqu'à une dizaine de musiciens. Ce disque, le premier qui rend compte des efforts de l'ensemble, regroupe des extraits de cinq performances et offre une diversité d'approches qui offrira un bon tour d'horizon au néophyte en matière de musique actuelle, tandis que l'amateur confirmé y trouvera précisément ce qu'il apprécie, soit de la continuité dans l'hétérogénéité. L'improvisation libre en duo, en trio ou en ensemble y côtoie la musique populaire revisitée (des chansons de Mary Travers, dite La Bolduc !) ou la musique contemporaine écrite (on a ici les premiers enregistrements disponibles sur disque de la musique de Marie Pelletier). Les oeuvres s'enchaînent au fil d'un montage astucieux variant les textures en mêlant les époques et les configurations de l'ensemble, qui compte quelques-un(e)s des meilleur(e)s artistes du genre (en autres : Jean Derome, Lori Freedman, Jacques Drouin, Lee Pui Ming, et le trio fondateur de PSM). Le résultat est une suite impressionnante et une belle tentative de description de ce qu'est la « musique actuelle » aujourd'hui.


(c) La Scena Musicale 2002