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Les archives de Sr Lucille Brassard

Automne 2001

Je vous l’avoue, j’ai un penchant pour ce grand compositeur qui est la musique même. Dans son oeuvre on retrouve tout: l’expression, l’imagination, la poésie, le drame, la tragédie, tout cela obtenu par les moyens les plus simples. De plus, Mozart, comme tous les grands créateurs, est un autobiographe. Le coeur de Mozart s’est exprimé à travers toute sa musique.

N.D.L.R. Dans le dernier numéro de La Muse Affiliée (avril 2001), Sr Lucille nous traçait un portrait du compositeur. Elle s’attarde cette fois-ci sur des oeuvres ciblées de Mozart. (suite au prochain numéro)

Fantaisie en ré mineur K. 397

Cette fantaisie est l’une des nombreuses improvisations qu’a réalisées le compositeur mais une des rares qu’il ait consenti à écrire. L’andante débute par un prélude à la Bach, sans thème, qui s’arrête sur la dominante du ton, qui prépare un adagio très expressif et plaintif qui cesse de chanter pour prendre une allure de récitatif. Une ritournelle suit, brusquement interrompue. Après la cadence, presto, on assiste au retour du thème en ré de plus en plus expressif. Une cadence à la dominante amène un Rondo en majeur, allegretto, enjoué mais peu en rapport avec ce qui précède. Il s’achève brillamment. Voici, condensée en quatre pages, une oeuvre de très grande variété d’expression.

Fantaisie en do mineur K. 475

C omposée en 1785, cette introduction à la Sonate K. 457 reste une oeuvre de rares liberté et nouveauté de conception. Dans sa simple structure pianistique, elle a une plénitude grandiose, des harmonies riches et audacieuses, des modulations à des tons très éloignés. Je dirais que c’est un Mozart inhabituel, pré-beethovenien, avec un sens dramatique tout personnel, des moments tragiques, mais pour conserver sa couleur mozartienne, on y trouve quand même un sentiment de grâce.

L adagio, sombre et méditatif, débute par un grand et puissant unisson, auquel répond, comme des soupirs, un dessin chromatique marquant l’opposition des nuances, plutôt l’opposition de l’élément mâle et dominateur opposé à un élément suppliant et tendre, personnifiant l’élément féminin. L’ allegro impétueux représente Dom Juan. Une plainte en fa majeur succède à ce violent remous et cette plainte est emportée par un coup de vent (la cadence). L’ andantino qui suit, tendre, vraiment mozartien, est mélodieux, avec un retour du mouvement et du thème initial. Une énergique conclusion termine l’oeuvre avec brio.

Sonate en do mineur K. 457
Allegro

Cette sonate devient un témoignage aussi démonstratif que la lettre la plus enflammée d’un poète romantique, beethovenien avant Beethoven. Dès le début du premier allegro, on note l’opposition résultant d’un unisson forte suivie d’une courte réponsepiano, le tout s’accompagnant d’un passage chromatique sur une pédale de dominante. Un sentiment d’agitation inquiète inspirera ce premier morceau et au plus haut degré lefinale de cette sonate.

Le développement, débutant par le retour du thème initial en majeur. Suit une seconde idée mélodique de courte durée puis des alternances modulées du thème initial entre la main droite et la main gauche. Tout cela donne une impression de hâte et d’inquiétude. La récapitulation est d’abord pareille mais dès la seconde apparition du thème, une imitation concentrée en deux mesures mène à une phrase nouvelle, en la bémol, d’une expression passionnée. La cadence fait preuve d’une agitation pathétique avant de se déverser dans unecoda magnifique.

Adagio

Après une telle agitation, l’âme doit se recueillir. Trois expositions d’un même sujet, tendre et noble côtoient une deuxième idée en si bémol. Un nouveau thème, quasi religieux, en la bémol, repris en sol bémol, est suivi d’une montée expressive de la phrase qui donne lieu à des modulations nouvelles où l’on peut dire que l’expression atteint son maximum. La fréquence des modulations, des cadences, l’ornementation des thèmes, suggèrent l’idée du concerto.

Allegro assai

Le thème syncopé a une expression haletante est suivi d’un refrain martelé, coupé par de longues pauses autorisant probablement à chaque point d’orgue, de nouvelles cadences libres. Entre chaque point d’orgue, retentit le refrain implacable. Ce morceau est passionné et même désespéré. Dans le ton de mi bémol, surgit alors un sujet nouveau interrogatif et tendre, mais qui ne peut durer au milieu de ces déchaînements. Le refrain est toujours interrompu par de pathétiques silences. Cette sonate extraordinaire semble ne pas avoir de rapport avec ses devancières, pas plus qu’avec celles qui naîtront après.

Sonate K. 545

Le thème chantant de l’ allegro est suivi d’une ritournelle évidemment destinée à former l’élève à l’étude des gammes. Le second sujet dans le ton de la dominante est suivi d’arpèges en mouvements contraires, ainsi qu’une cadence et ritournelle finale. Le développement débute en sol mineur. Des gammes montantes sont réservées à la main droite et des gammes descendantes à la main gauche. Le retour en fa majeur a quelque chose d’absolument imprévu.

Un emploi constant de la basse d’Alberti se manifeste dans l’andante en sol majeur, où une longue phrase chantante se déroule à la main droite et donne lieu à une double exposition, la seconde variée. Plus tard, le thème est exposé en mineur, ce qui donne lieu à une fort belle extension, très expressive, de la phrase chantante du début.

Le thème du rondo,allegretto, est en imitations entre les deux mains du pianiste, composé sur un thème unique, module à la dominante puis en la mineur avec l’emploi expressif du si bémol

Rondo en ré majeur K. 485

Ce morceau ne répond en rien à l’idée que nous nous faisons d’un rondo. Il est construit à la manière d’un morceau de sonate, construit sur un seul sujet. Dans le développement et surtout dans la reprise du morceau, Mozart fait passer son thème par les modulations les plus variées et les plus surprenantes.

Sonate en Ré majeur K. 284

Cette sonate offre une importance capitale au point de vue de l’évolution du style de Mozart car elle marque le triomphe de la «galanterie «dans son oeuvre. À Munich, Mozart a vivement subi l’influence du style des musiciens français Edelmann et Hullmandel en particulier. Sous cette influence s’est accomplie sa conversion définitive à la «galanterie «mais également par la lecture d’oeuvres françaises de la bibliothèque du baron Durnitz.

Le premier mouvement pourrait être comparé aux premiersallegros des sonates précédentes mais ni l’andante ni lefinale n’ont plus rien de commun avec tout ce que nous avons rencontré jusqu’ici. Il montre un éclat extérieur et une recherche d’ornementation nous montrant un Mozart écrivant pour le pianoforte au lieu du clavecin. Deux sujets de longueur à peu près égale, un emploi fréquent des basses d’Alberti, des chromatismes incessants, entremêlés de modulations hardies. Plus frappantes encore est la nouveauté du développement où Mozart au lieu d’élaborer les idées précédentes nous offre une fantaisie imprévue et brillante toute remplie de traits de bravoure et de croisements de mains.

Landante, dont le thème a le rythme d’une polonaise, inaugure une série de titres français que nous allons retrouver tout au long de l’année 1775. L’émotion y est remplacée par un agrément extérieur renouvelé sans cesse.

Pour le finale, Mozart a substitué un thème varié à cette coupe du rondo ou dutempo di minuetto qui elle-même révélait chez lui l’influence italienne, tandis que l’influence allemande se traduisait plutôt sous la forme du finale en forme sonate. Il est incontestable que cette sonate ait été influencée par les Français.

Sonate en Si bémol K. 281

Cette sonate a subi l’influence de Joseph Haydn, à la fois dans l’esprit et les procédés. L’ allegro comporte deux sujets, très nettement séparés et suivis d’une petite cadence finale. Mozart a donné une couleur inaccoutumée au développement... La récapitulation reproduit exactement la première partie. Tout le mouvement est d’un caractère brillant avec de nombreuses figures d’accompagnement en doubles croches, des trilles et un curieux effet deritardando avant la ritournelle finale.

Sonate en Sol majeur K. 283

Lallegro est fait de deux sujets distincts, chacun accompagné de sa ritournelle, aboutissant à une petite cadence finale, d’un petit développement conçu en forme de transition qui ramène la récapitulation un peu variée par une répétition du premier sujet en mineur.

Landante nous offre un petit prélude suivi d’un chant en deux parties. Lepresto final est composé de deux sujets longs et rythmiques, dont le second est semé de chromatismes et de passages en dialogue entre les deux mains. Le développement est aussi très long et inspiré de Haydn et contient aucun changement.

 

N.D.L.R. Dans le prochain numéro, Sr Lucille se penchera sur les sonates K. 309, 310, 330, 332, 311, 331, 570 et sur les Variations «Ah! Vous dirais-je maman ».

 

Printemps 2001

W. A. Mozart (1756-1791)

 

Je vous l’avoue, j’ai un penchant pour ce grand compositeur qui est la musique même. Dans son œuvre on retrouve tout.: l’expression, l’imagination, la poésie, le drame, la tragédie, tout cela obtenu par les moyens les plus simples. De plus, Mozart, comme tous les grands créateurs, est un autobiographe. Le cœur de Mozart s’est exprimé à travers toute sa musique.

Chaque note a été composée avec son sang. Son style est la synthèse parfaite de la facilité italienne, la rigueur allemande et l’élégance française. Il exigeait que sa musique ne dépassât jamais les frontières de la beauté. Il est ennemi de toute exagération.

Sa musique opère par son charme, son sourire, la vivacité de son esprit (comme en témoignent ses lettres) mais aussi par des accents tragiques et profonds et tout cela dans une écriture dépouillée. De là, naît la dif culté de bien jouer Mozart, de le comprendre, car en arrière de chaque note, il y a une pensée, une tranche de sa vie qu’il faut deviner. Il faut connaître ce « miracle musical » en consultant les ouvrages sur le maître de Salzbourg et surtout ses lettres, particulièrement celles écrites à sa sœur, très spirituelles, dans lesquelles il décrit ses voyages en Italie, en Allemagne, en France… « Ma musique est amour », aurait dit Mozart. Ce mot est peut-être le plus éclairant de tous.

J’ai peine à croire qu’il puisse exister encore aujourd’hui des personnes, non seulement des amateurs mais des musiciens professionnels, qui puissent rester indifférents à la musique de Mozart. Cette musique est d’une simplicité rare et sans grands problèmes techniques mais tout vrai musicien, artiste-né, sait que derrière chaque note, il y a un message à transmettre. Badura-Skoda a dit.: « Bien jouer Mozart est le test suprême du goût d’un musicien ».

 

Quelques règles d’interprétation

Que veut dire interpréter.? C’est laisser à l’auditeur une impression profonde. Le but suprême de toute exécution musicale est de marquer profondément l’âme de l’auditeur. La voie pour y parvenir est parfois longue… L’essence de l’art réside dans le pouvoir d’aimer, dans le besoin de communiquer. Une chose reste commune aux artistes de tous les temps.: s’engager sur le chemin de l’effort et de la persévérance.

C’est Carl Philip Emmanuel Bach qui a dit.: « Un musicien ne peut émouvoir les autres s’il n’est ému lui-même, il est nécessaire qu’il ressente lui-même les effets qu’il désire provoquer chez son auditoire ». Busoni af rme quant à lui.: « Si un artiste veut émouvoir les autres, il ne doit pas être ému lui-même, sans quoi il perdra le contrôle de sa technique au moment vital ». C’est vraiment paradoxal, je crois, que l’interprétation idéale doive satisfaire à ces deux conditions. Moi, de dirais.: « Tête froide et cœur chaud ». Toute phrase musicale doit être la traduction d’un contenu expressif.

Il faut rester dèle à l’œuvre et au style de Mozart. Les caractéristiques du style mozartien pourraient se résumer ainsi.: une certaine sérénité, une spontanéité, un charme séduisant, une gaieté exubérante au besoin mais tempérée par un côté expressif, parfois d’une certaine mélancolie qui différencie l’art de Mozart de celui de Haydn. L’exigence de la délité au texte prime mais avec un certain degré de liberté pour éviter une exécution inexpressive et sèche.

Il faut chercher à donner à chaque œuvre la variété et l’expression que le caractère de la pièce demande et éviter un jeu horizontal. La variété se fait par le son et la couleur. Quand à la basse il y a un trait ascendant ou descendant chromatique, il faut lui donner un peu d’emphase ou le faire ressortir. Quelquefois, dans une longue ligne mélodique, faire un accent négatif qui conduit au sommet du trait permet de retenir la dernière note.

Le pianiste doit chercher, se documenter, trouver toutes les qualités pour une bonne interprétation. Il est important d’instrumenter les traits, de les humaniser avec un son chantant.

Les œuvres de Mozart, entre toutes les autres, montrent une unité organique si forte, un équilibre si parfait entre le fond et la forme que toute introduction d’éléments étrangers, fussent-ils conçus par un génie, ruinerait leur harmonie, laquelle nous semble céleste.

La sonorité

Il faut mentionner que Mozart n’a pas écrit pour le clavicorde, ni le clavecin mais (sauf quelques œuvres des toutes premières années) pour le pianoforte moderne. Il est dif cile de reconstituer de nos jours avec exactitude la sonorité d’une œuvre de Mozart à l’époque où elle fut exécutée pour la première fois. Chacun sait que depuis le xviiie siècle, le goût et le comportement des musiciens et du public ont grandement changé, sans parler des bouleversements survenus dans les structures sociales. C’est pourquoi il est dif cile de rendre justice à la musique d’une autre époque.

Chez Mozart, le son doit toujours avoir quelque chose de noble et d’aristocratique. Dans les moments les plus expressifs, sa musique reste toujours transparente et belle.

 

Les nuances

Mozart possédait l’art du jeu expressif au suprême degré. L’écriture de Mozart ne fait que suggérer la façon dont sa musique doit être jouée. Il a mis des indications générales de nuances alors il faut que l’exécutant ait à la fois de la tête et du cœur pour savoir à quel point un forte doit sonner fort. Aussi, il faut un certain instinc de la mélodie, un certain sens des oppositions nécessaires entre la tension et la détente. Pas une seule note dans une ligne mélodique ne doit paraître sans vie, il doit y avoir une certaine relation d’une note à l’autre. Chaque note a son propre degré d’intensité. On peut se référer aux conseils pratiques que Chopin donnait à ses élèves. Une note longue, une note haute dans une mélodie, une dissonance, une syncope devraient être plus marquées. La n d’une phrase doit toujours être déposée.

 

Les tempi

Le mécanisme du piano fait au xviiie siècle ne permettait pas de dépasser un certain tempo. Le presto mozartien correspond à un allegro assez vif de nos jours. Par ailleurs, la sonorité des instruments du temps était plus transparente, plus riche en harmonies aiguës. Les tempi de Mozart font ressortir davantage les phrasés et la valeur expressive des ornements. Il faut éviter de jouer trop vite et garder un contrôle, en fait une énergie contrôlée, pour créer le sens du rythme. Pour être expressif, il ne faut pas prendre des libertés dans le rythme ni dans le tempo. Il n’y a pas dans Mozart de liberté sans discipline. N’oubliez pas de conserver l’unité de temps dans toute l’œuvre, à moins d’indications de l’auteur. Établissez toujours le tempo avant de commencer, pendant la « zone de silence ».

Il faut être capable de deviner, à partir du morceau lui-même, s’il doit être pris dans un tempo lent ou plus vif. C’est là qu’on reconnaît un vrai musicien. Dans chaque morceau de caractère mélodique, il existe au moins une phrase à partir de laquelle on peut xer de façon sûre le tempo correct. Si l’on observe d’autres points avec attention, le mouvement juste s’imposera de lui-même. Pour décider sans erreur, il faut une longue expérience et quelque instinct du style car il n’existe pas de tempo exact à l’exclusion de tous les autres. Chaque exécutant conserve une certaine liberté de jugement qu’il ne convient pas de sous-estimer et entre certaines limites n’importe quel tempo peut se justi er artistiquement.

On entend dire constamment que les vieux maîtres seraient horri és s’ils entendaient les tempi des exécutions d’aujourd’hui. Bien sûr, notre époque de vitesse a in uencé l’accélération des tempi des exécutions musicales.

Mozart n’a laissé aucune indication métronomique. Si nous nous référons à ses lettres, il se plaint souvent de la vitesse excessive adoptée par certains musiciens ou bien de tempi trop lents. Il proteste constamment lorsque la clarté et l’exactitude rythmique pâtissent des tempi trop rapides. Il dispute parce ses œuvres sont massacrées par la faute des tempi trop rapides. « Ils s’imaginaient leur ajouter du feu, mais le feu doit naître du morceau lui-même, il ne s’allumera pas parce qu’on prend le mors aux dents », écrivait-il. Lui-même jouait ses allegro dans un mouvement modéré, la signi cation d’un allegro voulant plutôt dire gaiement, joyeusement. S’il voulait un tempo rapide, il écrivait allegro assai ou presto.

Pour Mozart, andante voulait dire un tempo uide situé entre le rapide et le lent. Dans un adagio, le tempo devrait être assez allant pour que le rythme fût accusé dans chaque mesure, ce qui facilite l’égalité et la ligne mélodique sans accents inutiles en conservant quand même toute leur puissance expressive. De la part des musiciens, les opinions varient.: quelques-uns af rment que la musique de Mozart doit être jouée de façon aérienne, avec légèreté. Ils appuient leur opinion sur le caractère juvénile de Mozart, sur la facilité d’exécution des passages dif ciles. D’autres tenants de l’avis contraire notent l’élément tragique, démoniaque même dans Mozart. Il y a du vrai dans les deux opinions.: la musique de Mozart contient à la fois du sourire et de la tragédie, c’est ce qui lui vaut une place unique dans l’histoire de cet art. Même dans ses œuvres de caractère galant, il demeure toujours un certain élément de gravité et réciproquement.

 

N.D.L.R.: Le prochain article tiré des archives de Sr Lucille traitera de quelques œuvres de Mozart plus en détail.

 

Février 2001

TECHNIQUE PIANISTIQUE :
POUR UNE MEILLEURE INTERPRÉTATION

N.D.L.R. La Muse entreprend ici une nouvelle série. Les archives de Sr Lucille Brassard, professeur pilier de l'école Vincent d'Indy pendant de nombreuses années, ayant été gracieusement mises à notre disposition, nous avons décidé de vous faire partager ces perles de sagesse.

Il n'existe aucune différence entre la technique et l'interprétation. En effet, chaque nuance, chaque couleur d'une phrase musicale est le résultat d'un procédé technique. Devant la diversité des écoles de piano des différents pays, existe-t-il des techniques différentes ou bien n'y a-t-il qu'une seule technique interprétée différemment selon les écoles ou les professeurs ? C'est ce que nous essaierons de démontrer.

Qu'est-ce que la technique pianistique ? Il en existe plusieurs définitions. La technique proprement dite est l'ensemble des moyens utilisés pour l'expression d'un art. Nous, pianistes, devons posséder les moyens d'expression pour maîtriser les mille nuances expressives et ce, dans tous les modes de toucher. Il faut savoir manier les différents procédés, tout en appliquant la technique de base. Il faut apprendre à concilier la force, la souplesse, les mouvements circulaires d'énergie et d'ampleur très variable des doigts, des mains, des bras et assimiler tous ces procédés pour qu'ils deviennent réflexes.

Chaque génération a laissé ses recueils d'exercices, ses méthodes sur le jeu du piano. Que ce soit Hanon, Philip, Pishna, Cortot, Brahms ou Herz, tous se ressemblent et incluent : des exercices de notes tenues, des exercices pour les 5 doigts, le passage du pouce dans les traits de gammes et d'arpèges, les double 3ces et double 6tes, les trilles, les octaves, les accords, les extensions... C'est à partir du moment où l'on apprend les multiples possibilités d'exécution comme la détente, la simple pression digitale ou l'articulation active des doigts, le va et vient de l'avant-bras (ce que Cortot appelle le mouvement de tiroir), l'impulsion circulaire du bras, le poignet, que commence l'étude de la technique.

Le son du piano est produit par ses marteaux et ses cordes ; nous devons extraire à musique enfouie en nous. Nous ne poussons pas le son dans le piano, nous dessinons, nous extrayons le son hors de lui. Tous les musiciens, sauf les pianistes, ont un contact intime physique avec leur instrument. Nous pouvons seulement contrôler le volume du son dans sa préparation.

Il semble important d'aborder la question de la position au piano. Utilisez la moitié de la chaise de manière à pouvoir bouger le corps en avant ou en arrière. Il faut pouvoir distribuer le poids à gauche et à droite du clavier, la plus grande partie de ce poids se trouvant de l'épaule aux hanches. Le torse est le conducteur de la sonorité. Si nous ne pouvons bouger, nous ne pouvons contrôler la distribution du poids.

Quelle doit être la position de la main ? La même que lors de la marche, le bras pendant, très détendu, les doigts un peu courbés (non en griffes), sans briser les jointures. La main se trouvera légèrement voûtée, le poignet un peu incliné, les doigts ne laissant pas fléchir les phalanges. Il faut savoir éviter de jouer trop au bord du clavier, afin de ne pas être obligé de déplacer la main pour atteindre les touches noires. La position naturelle peut être obtenue en jouant les notes suivantes : mi- fa dièse- sol dièse- la dièse- do.

L'articulation, un des facteurs principaux de virtuosité, donne au jeu précision, clarté, netteté et vélocité. Elle s'emploie pour le jeu non-legato et le jeu léger. Marie Panthès disait : "Le doigt n'aura ni la solidité, ni la netteté, ni la clarté d'attaque, s'il n'a été graduellement entraîné au préalable par un travail très articulé afin d'arriver à la non-articulation. " Le fléchissement de la phalangette est un grave défaut. Il prive les doigts de force de sonorité, donne un jeu mou, pâteux et ce défaut est très long à corriger quand on a négligé ce point au début des études musicales.

Avant d'étudier le procédé de bras, il est très important de parler de détente et de relaxation. La relaxation doit permettre au poids de ses libérer, les muscles détendus, la force de la pesanteur agissant librement sur le bras et le fait tomber naturellement. Les bras d'un dormeur sont en repos absolu: si l'on soulève son bras pour le lâcher tout à coup, il doit tomber, lourd comme du plomb, avec abandon. Cela évoque l'idée de la chute libre. Cette inertie corporelle, cette décontraction, doit être acquise tout d'abord. Il ne faut pas oublier que le problème prépondérant des pianistes est d'obtenir un jeu alliant la détente du bras et la fermeté des doigts, la détente venant du bras et la précision du doigt, la technique des doigts et du bras se complétant l'une l'autre.

Un autre procédé essentiel reste le mouvement du poignet. Le poignet est la "cheville ouvrière" de toute technique supérieure. Lorsqu'on parle d'un pianiste en disant "Quel poignet ! ", c'est le plus grand éloge et le plus rare que l'on puisse décerner. Le rôle du poignet est inappréciable pour la qualité de la production du son et le dosage des nuances. On peut le comparer à l'action de l'archet pour le violoniste. De l'archet dépend mille subtilités de ponctuation et les inflexions les plus variées. La technique de poignet ajoutée à celle des doigts permettra un phrasé sensible et éloquent. Il faut donc en intégrer l'étude dès le début des études musicales.

Le son et le temps demeurent les deux éléments de base de l'apprentissage musical. Le rythme est l'esprit de la musique, la chose la plus humaine en musique. Il vit par l'inspiration et l'intuition. Il n'est indiqué par l'écriture que d'une façon approximative; le sens musical permet de le découvrir. Le même texte, interprété avec un état d'âme différent, est soumis à des rythmes divers. Sans ce "sens musical" impossible de saisir le rythme des choses ! Le rythme ne consiste donc pas seulement à jouer en mesure et à observer les accents. Le rythme et la mesure se rapprochent mais ils ne se confondent jamais.

Souvent, on doit ralentir à certains passages d'un morceau, mais comment ralentir et à partir de quelle note puisque la mesure indique l'égalité de toutes les notes ? Le rythme seul permet de résoudre le problème. On le compare souvent aux pulsations d'un organisme vivant et non au tic-tac d'une horloge, au mouvement d'un balancier, au battement d'un métronome. Il se rapproche plutôt du pouls, de la respiration, du déferlement des vagues. Il faut maintenir constante la somme des variations rythmiques (syncopes, rubato) et veiller à ce qu'une pièce soit exécutée d'une façon égale à la durée de la pièce si on la divisait par unité de mesure. Imaginez un arbre que le vent fait ployer. Entre ses feuilles passent des rayons de soleil : la lumière tremblotante qui en résulte, c'est le rubato. Il ne faut pas oublier que le rythme est un des plus puissants moyens d'agir sur l'organisme de l'auditeur, surtout le grand rythme, les grandes relativités contenues dans l'œuvre. Il est l'essence même de l'art musical.

Un des plus importants devoirs du professeur est d'enseigner à l'élève la bonne manière d'étudier, partie intégrante de la technique. Le travail doit être fait dans les études mais également dans les pièces. Les élèves passent trop de temps à jouer et trop peu à étudier. Il ne faut jamais jouer le morceau du commencement à la fin. On doit d'abord en analyser chaque difficulté, chercher la cause, démonter chaque trait et remonter le passage entier. Après avoir cherché le mouvement le plus convenable pour rendre un passage, il faut encore automatiser le geste choisi en répétant le passage une dizaine de fois. Ajoutons ici que le travail devra toujours être effectué avec concentration. Une pièce bien étudiée n'est jamais à recommencer lorsqu'on veut la rejouer.

Les silences sont aussi importants que les notes. C'est Mozart qui disait : "Le silence produit le plus grand effet en musique. " Les jeunes étudiants ne réalisent pas la valeur artistique du silence. Quand on ne donne pas au silence sa pleine valeur, on détruit la symétrie artistique. Il faut vivre le silence. La musique est un prolongement sonore qui se déroule dans le temps.

Lucille Brassard
(Adapté par Lucie Renaud)