Suoni 2009: Monk au casino et l'Année du Trio
par Félix-Antoine Hamel
Photo : Monk's Casino en action: Alexander von Schlippenbach, Rudi Mahall, Axel Dörner, Jan Roder, Uli Jennessen.
Pour sa neuvième édition, le Suoni Per Il Popolo de Montréal a encore une fois su présenter une sélection éclectique de jazz contemporain, de diverses tendances et divers horizons, de quoi satisfaire l'amateur le plus intransigeant. Outre la magistrale apparition du quintette Monk's Casino (notre photo), on pourrait aussi dire que 2009 aura été l'année du trio sous toutes ses formes, avec les groupes de Dave Burrell, Fred Lonberg-Holm, Michiel Braam, Nicole Mitchell, Lucas Niggli et Jean Derome.
6 juin, Sala Rossa (trio #1) : C'est donc au vétéran pianiste Dave Burrell que revint l'honneur d'ouvrir le volet jazz du Suoni de cette année, avec un trio énergique complété par l'incontournable William Parker à la contrebasse (un habitué du festival) et l'imposant Michael Wimberly à la batterie (que les amateurs connaissent peut-être pour ses enregistrements auprès de Charles Gayle). Nous étions donc, on l'aura deviné, devant un groupe d'une force de frappe potentiellement explosive, et en effet les premières mesures de la soirée annonçaient une sorte de Money Jungle version XXIe siècle. Cependant, cette rencontre de trois fortes personnalités, si elle devait donner lieu à quelques moments où le jeu des trois musiciens coïncidait parfaitement, ne fut peut-être pas à la hauteur du talent déployé. Par exemple, au cours de la performance, Burrell allait souvent se cantonner dans une sorte de répétition de motifs très ludiques, voire simplistes, rapellant quelque peu les thèmes vaguement enfantins qu'affectionne Misha Mengelberg, mais sans les géniales divagations de ce dernier. Comme si au lieu de ramasser son jeu (comme dans l'excellent disque Momentum, par exemple), il tentait de donner une performance déconstruite à partir d'un matériau déjà fragmentaire, squelettique. Dans ce contexte, son style semblait assez statique, et outre quelques envolées, clusters et phrases tourbillonantes évoquant l'un de ses contemporains - le regretté Don Pullen - le pianiste laissait souvent toute la tâche de propulser la performance à ses acolytes. Toujours solide accompagnateur, Parker a aussi livré quelques bons solos, alors que le jeu robuste de Wimberly, malgré un certain manque de nuances, assurait un bon niveau dynamique. Bref, une soirée quelque peu décevante par un certain manque de cohérence, même si Burrell et compagnie semblaient tout à fait heureux de leur présence et de celle de la foule, effectivement nombreuse ce soir-là à la Sala Rossa.
10 juin, Divan Orange (trio #2) : S'il y a toujours peu de violoncellistes que l'on peut associer au jazz et aux musiques improvisées, il semble pourtant qu'un certain renouveau de l'instrument se soit produit ces dernières années, et le responsable pourrait bien en être le versatile chicagoan Fred Lonberg-Holm. Projet initialement formé pour rendre hommage à Fred Katz, l'un des pionniers de son instrument dans le jazz, le Valentine Trio (avec Jason Roebke, contrebasse et Frank Rosaly, batterie) a aussi permis à Lonberg-Holm de livrer ses versions de pièces de Sun Ra, Gil Scott-Heron et Syd Barrett, tout comme ses propres compositions. Ce sont surtout ces dernières, tirées de son album Terminal Valentine, que le violoncelliste devait livrer ce soir-là, dans la petite salle du Divan Orange, devant trois ou quatre douzaines d'enthousiastes. Brillamment éclectique (il est capable, au sein du Vandermark 5, par exemple, des interventions les plus débridées), Lonberg-Holm utilise plutôt cet ensemble pour mettre l'accent sur le côté lyrique et mélodique de son jeu, remplissant en fait dans un tel ensemble le rôle qu'aurait un instrument plus conventionnel comme le piano ou le saxophone, par exemple. Utilisant quelquefois la manipulation électronique (toute une partie d'un de ses solos était basée sur des extraits de son jeu, enregistrés, dont il manipulait la texture au fur et à mesure), le violoncelliste est aussi possesseur d'une technique remarquablement variée et étendue. Le contrebassiste, Roebke, s'il a été surtout accompagnateur efficace et attentif, a su aussi prendre quelques solos où sa belle sonorité et son phrasé solide faisaient quelquefois penser à un jeune Charlie Haden. Mais c'est le jeu de Rosaly, percussionniste à l'imagination exceptionnelle, qui fut peut-être le clou de cette soirée. Avec un équipement plutôt minimal (grosse caisse, caisse claire, cymbale ride et hi-hat), le batteur devait faire preuve d'une invention peu commune, utilisant des petits objets pour varier les sonorités, et allant jusqu'à tirer des sons de trompette d'une petite cymbale posée sur la peau de sa caisse claire! Bien qu'il ait été peu couru des amateurs, ce concert a sûrement été l'un des points forts du Suoni de cette année.
15 juin, Sala Rossa (trio #3) : Outre l'instrumentation, on pourrait dire qu'il y a peu de ressemblances entre le trio de Dave Burrell et celui du pianiste néérlandais Michiel Braam, avec Wilbert De Joode (contrebasse) et Michael Vatcher (batterie). Groupe bien établi (ils ont réalisé trois disques ensemble et collaborent depuis une décennie), le trio est un lieu idéal pour développer les concepts du pianiste. Au cours de la performance, les musiciens semblaient choisir parmi les compositions du leader les thèmes qu'ils souhaitent interpréter, la performance d'un pièce consistant souvent en une juxtaposition de deux compositions. Beaucoup plus symbiotique que le trio de Burrell, le groupe semblait cependant quelquefois (surtout dans la première partie) succomber aux dangers d'un ensemble bien rodé, c'est à dire se laisser quelque peu porter par la musique. Braam, pianiste à la technique assurée, est un interprète particulièrement volubile, et semble toujours avoir quelque chose à ajouter à la discussion musicale, ce qui donne parfois une texture très dense. Si le côté vaguement humoristique et "deuxième degré" typique du jazz hollandais est plus présent chez son remarquable big band (Bik Bent Braam), il a aussi pointé son nez ce soir-là, avec une pièce basée sur un motif de piano western! La deuxième partie, plus ramassée, avec de longues références au R&B et au blues, devait s'avérer plus solide. Ah, maintenant, si le festival avait les moyens d'inviter le Bik Bent Braam l'année prochaine!
20 juin, Centro Gallego (un déluge de percussions et trio #4) : Comme j'avais découvert l'an dernier une remarquable musicienne de Chicago (la saxophoniste Matana Roberts), j'attendais avec une certaine fébrilité la prestation de sa compatriote Nicole Mitchell, flûtiste, avec son trio Truth or Dare. Mais d'abord, selon la formule des concerts se déroulant cette année au Centro Gallego, une première partie, assurée par l'ensemble de percussionnistes Speed River Squids, un projet réunissant le vétéran improvisateur John Heward, le batteur Jessie Stewart et les percussionistes Michel Bonneau (surtout aux congas) et Rob Wallace (divers "petits instruments"). À eux se sont joints en cours de performance les trompettistes Gordon Allen et Eric Lewis. Le pari d'une telle formation est de maintenir l'attention du public, et il a été largement tenu ce soir-là, grâce à la diversité de la palette sonore de l'ensemble. Même si les contributions de Wallace furent quelquefois inaudibles et souvent plus agaçantes qu'autre chose, la variété de ce déluge de percussions et les contributions de deux des trompettistes les plus aventureux de la scène locale devaient convertir les plus difficiles. Après cette solide entrée en matière, le trio de Mitchell devait prendre possession de la scène (imposant le silence par un petit rituel). Présentant une série de ses propres compositions, Nicole Mitchell (flûte, piccolo, flûte alto) a réuni un trio des plus originaux, avec Renee Baker (violon, alto) et Shirazette Tinnin (batterie). Ce contexte dépouillé convenait à merveille aux thèmes de Mitchell, parfois dansants, parfois chantants. Son jeu de flûte, parfois ponctué d'interjections vocales, n'utilise que rarement les clichés associés à son instrument, son phrasé rappelant celui, très naturel, d'un Sam Rivers, plutôt que les styles plus imités de Eric Dolphy ou Roland Kirk. Baker est une interlocutrice sympathique, au jeu tantôt rythmique tantôt lyrique. Tinnin est une percussioniste très physique, préférant souvent aux baguettes ses mains nues, utilisées soit sur l'instrument, soit sur son banc même, une caisse en bois. Ce contexte très intimiste a donc été parfait pour découvrir ces trois musiciennes de grand talent.
22 juin, Sala Rossa (le casino!) : Une salle bien pleine finalement, pour ce qui s'annonçait comme l'événement majeur du Suoni 2009. Beau coup pour le festival que cette prestation de Monk's Casino, groupe né de la rencontre entre le légendaire pianiste allemand Alexander von Schlippenbach, vétéran du free jazz européen, et le quartette Die Enttäuschung (Rudi Mahall, clarinette basse, Axel Dörner, trompette, Jan Roder, contrebasse et Uli Jennessen, batterie). Ces cinq musiciens, réunis par l'amour de la musique de Thelonious Monk, ont donc bricolé une façon de jouer dans son intégralité le répertoire monkien, et, lorsque faire se peut, dans la même soirée! En deux sets, c'est donc à peu près aux deux-tiers de l'oeuvre que le public montréalais a eu droit. De Little Rootie Tootie à Monk's Dream, de San Francisco Holiday à Skippy, le quintette, avec sa manière à la fois affectueuse et impertinente, a su renouveler une bonne fois pour toutes ce répertoire si fascinant qu'un musicien de l'envergure de Steve Lacy, par exemple, y a passé une bonne partie de sa vie. Si Schlippenbach s'est montré plutôt discret durant cette soirée (malgré quelques solos efficaces), ce sont surtout les souffleurs qui ont accaparé (littéralement) le devant de la scène. Vaguement cabotin, Mahall n'avait cesse de faire des blagues, jouant avec le rideau, entraînant les musiciens à sortir de scène pour le solo de contrebasse, faisant souvent réagir le public. Tout cela ne saurait nous distraire de son jeu de clarinette basse : avec une sonorité exceptionnellement puissante (même perçante), un phrasé agressif et un contrôle remarquable, Mahall compte certainement parmi les plus grands solistes de son instrument. Également technicien exceptionnel, Dörner s'est livré en solo à une démonstration mémorable de ses capacités, donnant à son instrument les sonorités les plus inouïes! En plus de ses capacités inégalées de bruitiste, Dörner a aussi su démontrer une bonne maîtrise du langage du jazz plus standard. Ce qui rend remarquable les interprétations de ce groupe, c'est cet effet que dans chacun de ces thèmes que nous connaissons, il y a "quelque chose qui cloche", toujours un élément perturbateur (changements de tempo, passages free, coupures, superpositions) qui rend la pièce familière curieusement déphasée, comme si sa substance s'était modifiée avec le temps, quelquefois imperceptiblement. Cette célébration de la musique de Monk, contrairement à certaines performances fossilisées d'une musique qui semble morte, n'aurait pu être plus vivante que lorsque, laissant Schlippenbach seul sur scène, les quatre autres, entonnant un riff monkien, vinrent se promener parmi le public, laissant le pianiste entamer, doucement, 'Round Midnight.
25 juin, Centro Gallego (trio #5 et... trio #6!) : Cette deuxième soirée au Centro Gallego devait être ma soirée de fermeture du festival. D'abord, l'un de nos plus distingués improvisateurs, Jean Derome (saxophoniste alto, flûtiste et grand joueur de bébelles devant l'éternel!) devait faire la pluie et le beau temps, accompagné de Nicolas Caloia à la contrebasse et de Isiah Ceccarelli à la batterie. Littéralement déchaîné comme il m'a rarement été donné de l'entendre (lendemain de la Saint-Jean oblige?), Derome a livré deux longs solos d'alto mémorables, entrecoupés de passages où, muni d'appeaux divers, et utilisant sa flûte en coloriste, il a su perpétuer la tradition des "petits instruments" chère aux improvisateurs post-free. Toute une ouverture, donc, pour le trio Zoom, du batteur helvétique Lucas Niggli. Travaillant depuis 10 ans avec le guitariste Philipp Schauffelberger et le virtuose tromboniste Nils Wogram, Niggli a trouvé avec ces deux musiciens un groupe idéal (quelquefois augmenté) pour ses compositions aux concepts rythmiques souvent complexes (comme il sied à un batteur). Contrairement à Frank Rosaly, Niggli avait à sa disposition un instrument imposant (incluant quatre ou cinq cymbales superposées) et un impressionant assortiment de baguettes de toutes tailles! Livrant avec ce trio plusieurs pièces tirées de ses albums Intakt (notemment Celebrate Diversity, Brain Ballad et Rough Ride, part 2), le batteur a su inspirer à son ensemble une interprétation dynamique et énergique. Schauffelberger, tenant le rôle quelque peu ingrat de liant entre le trombone et la batterie, a su s'acquitter de sa tâche avec brio, et ses quelques interventions ont été très justes et sans excès guitaristiques. Wogram, pour sa part, est assurément l'un des grands trombonistes de sa génération; son passage en solo absolu aurait pu être inventé par le Albert Mangelsdorff des grandes années. Une autre belle découverte au sein d'un des rares festivals où l'on peut encore en faire...
6 juin, Sala Rossa (trio #1) : C'est donc au vétéran pianiste Dave Burrell que revint l'honneur d'ouvrir le volet jazz du Suoni de cette année, avec un trio énergique complété par l'incontournable William Parker à la contrebasse (un habitué du festival) et l'imposant Michael Wimberly à la batterie (que les amateurs connaissent peut-être pour ses enregistrements auprès de Charles Gayle). Nous étions donc, on l'aura deviné, devant un groupe d'une force de frappe potentiellement explosive, et en effet les premières mesures de la soirée annonçaient une sorte de Money Jungle version XXIe siècle. Cependant, cette rencontre de trois fortes personnalités, si elle devait donner lieu à quelques moments où le jeu des trois musiciens coïncidait parfaitement, ne fut peut-être pas à la hauteur du talent déployé. Par exemple, au cours de la performance, Burrell allait souvent se cantonner dans une sorte de répétition de motifs très ludiques, voire simplistes, rapellant quelque peu les thèmes vaguement enfantins qu'affectionne Misha Mengelberg, mais sans les géniales divagations de ce dernier. Comme si au lieu de ramasser son jeu (comme dans l'excellent disque Momentum, par exemple), il tentait de donner une performance déconstruite à partir d'un matériau déjà fragmentaire, squelettique. Dans ce contexte, son style semblait assez statique, et outre quelques envolées, clusters et phrases tourbillonantes évoquant l'un de ses contemporains - le regretté Don Pullen - le pianiste laissait souvent toute la tâche de propulser la performance à ses acolytes. Toujours solide accompagnateur, Parker a aussi livré quelques bons solos, alors que le jeu robuste de Wimberly, malgré un certain manque de nuances, assurait un bon niveau dynamique. Bref, une soirée quelque peu décevante par un certain manque de cohérence, même si Burrell et compagnie semblaient tout à fait heureux de leur présence et de celle de la foule, effectivement nombreuse ce soir-là à la Sala Rossa.
10 juin, Divan Orange (trio #2) : S'il y a toujours peu de violoncellistes que l'on peut associer au jazz et aux musiques improvisées, il semble pourtant qu'un certain renouveau de l'instrument se soit produit ces dernières années, et le responsable pourrait bien en être le versatile chicagoan Fred Lonberg-Holm. Projet initialement formé pour rendre hommage à Fred Katz, l'un des pionniers de son instrument dans le jazz, le Valentine Trio (avec Jason Roebke, contrebasse et Frank Rosaly, batterie) a aussi permis à Lonberg-Holm de livrer ses versions de pièces de Sun Ra, Gil Scott-Heron et Syd Barrett, tout comme ses propres compositions. Ce sont surtout ces dernières, tirées de son album Terminal Valentine, que le violoncelliste devait livrer ce soir-là, dans la petite salle du Divan Orange, devant trois ou quatre douzaines d'enthousiastes. Brillamment éclectique (il est capable, au sein du Vandermark 5, par exemple, des interventions les plus débridées), Lonberg-Holm utilise plutôt cet ensemble pour mettre l'accent sur le côté lyrique et mélodique de son jeu, remplissant en fait dans un tel ensemble le rôle qu'aurait un instrument plus conventionnel comme le piano ou le saxophone, par exemple. Utilisant quelquefois la manipulation électronique (toute une partie d'un de ses solos était basée sur des extraits de son jeu, enregistrés, dont il manipulait la texture au fur et à mesure), le violoncelliste est aussi possesseur d'une technique remarquablement variée et étendue. Le contrebassiste, Roebke, s'il a été surtout accompagnateur efficace et attentif, a su aussi prendre quelques solos où sa belle sonorité et son phrasé solide faisaient quelquefois penser à un jeune Charlie Haden. Mais c'est le jeu de Rosaly, percussionniste à l'imagination exceptionnelle, qui fut peut-être le clou de cette soirée. Avec un équipement plutôt minimal (grosse caisse, caisse claire, cymbale ride et hi-hat), le batteur devait faire preuve d'une invention peu commune, utilisant des petits objets pour varier les sonorités, et allant jusqu'à tirer des sons de trompette d'une petite cymbale posée sur la peau de sa caisse claire! Bien qu'il ait été peu couru des amateurs, ce concert a sûrement été l'un des points forts du Suoni de cette année.
15 juin, Sala Rossa (trio #3) : Outre l'instrumentation, on pourrait dire qu'il y a peu de ressemblances entre le trio de Dave Burrell et celui du pianiste néérlandais Michiel Braam, avec Wilbert De Joode (contrebasse) et Michael Vatcher (batterie). Groupe bien établi (ils ont réalisé trois disques ensemble et collaborent depuis une décennie), le trio est un lieu idéal pour développer les concepts du pianiste. Au cours de la performance, les musiciens semblaient choisir parmi les compositions du leader les thèmes qu'ils souhaitent interpréter, la performance d'un pièce consistant souvent en une juxtaposition de deux compositions. Beaucoup plus symbiotique que le trio de Burrell, le groupe semblait cependant quelquefois (surtout dans la première partie) succomber aux dangers d'un ensemble bien rodé, c'est à dire se laisser quelque peu porter par la musique. Braam, pianiste à la technique assurée, est un interprète particulièrement volubile, et semble toujours avoir quelque chose à ajouter à la discussion musicale, ce qui donne parfois une texture très dense. Si le côté vaguement humoristique et "deuxième degré" typique du jazz hollandais est plus présent chez son remarquable big band (Bik Bent Braam), il a aussi pointé son nez ce soir-là, avec une pièce basée sur un motif de piano western! La deuxième partie, plus ramassée, avec de longues références au R&B et au blues, devait s'avérer plus solide. Ah, maintenant, si le festival avait les moyens d'inviter le Bik Bent Braam l'année prochaine!
20 juin, Centro Gallego (un déluge de percussions et trio #4) : Comme j'avais découvert l'an dernier une remarquable musicienne de Chicago (la saxophoniste Matana Roberts), j'attendais avec une certaine fébrilité la prestation de sa compatriote Nicole Mitchell, flûtiste, avec son trio Truth or Dare. Mais d'abord, selon la formule des concerts se déroulant cette année au Centro Gallego, une première partie, assurée par l'ensemble de percussionnistes Speed River Squids, un projet réunissant le vétéran improvisateur John Heward, le batteur Jessie Stewart et les percussionistes Michel Bonneau (surtout aux congas) et Rob Wallace (divers "petits instruments"). À eux se sont joints en cours de performance les trompettistes Gordon Allen et Eric Lewis. Le pari d'une telle formation est de maintenir l'attention du public, et il a été largement tenu ce soir-là, grâce à la diversité de la palette sonore de l'ensemble. Même si les contributions de Wallace furent quelquefois inaudibles et souvent plus agaçantes qu'autre chose, la variété de ce déluge de percussions et les contributions de deux des trompettistes les plus aventureux de la scène locale devaient convertir les plus difficiles. Après cette solide entrée en matière, le trio de Mitchell devait prendre possession de la scène (imposant le silence par un petit rituel). Présentant une série de ses propres compositions, Nicole Mitchell (flûte, piccolo, flûte alto) a réuni un trio des plus originaux, avec Renee Baker (violon, alto) et Shirazette Tinnin (batterie). Ce contexte dépouillé convenait à merveille aux thèmes de Mitchell, parfois dansants, parfois chantants. Son jeu de flûte, parfois ponctué d'interjections vocales, n'utilise que rarement les clichés associés à son instrument, son phrasé rappelant celui, très naturel, d'un Sam Rivers, plutôt que les styles plus imités de Eric Dolphy ou Roland Kirk. Baker est une interlocutrice sympathique, au jeu tantôt rythmique tantôt lyrique. Tinnin est une percussioniste très physique, préférant souvent aux baguettes ses mains nues, utilisées soit sur l'instrument, soit sur son banc même, une caisse en bois. Ce contexte très intimiste a donc été parfait pour découvrir ces trois musiciennes de grand talent.
22 juin, Sala Rossa (le casino!) : Une salle bien pleine finalement, pour ce qui s'annonçait comme l'événement majeur du Suoni 2009. Beau coup pour le festival que cette prestation de Monk's Casino, groupe né de la rencontre entre le légendaire pianiste allemand Alexander von Schlippenbach, vétéran du free jazz européen, et le quartette Die Enttäuschung (Rudi Mahall, clarinette basse, Axel Dörner, trompette, Jan Roder, contrebasse et Uli Jennessen, batterie). Ces cinq musiciens, réunis par l'amour de la musique de Thelonious Monk, ont donc bricolé une façon de jouer dans son intégralité le répertoire monkien, et, lorsque faire se peut, dans la même soirée! En deux sets, c'est donc à peu près aux deux-tiers de l'oeuvre que le public montréalais a eu droit. De Little Rootie Tootie à Monk's Dream, de San Francisco Holiday à Skippy, le quintette, avec sa manière à la fois affectueuse et impertinente, a su renouveler une bonne fois pour toutes ce répertoire si fascinant qu'un musicien de l'envergure de Steve Lacy, par exemple, y a passé une bonne partie de sa vie. Si Schlippenbach s'est montré plutôt discret durant cette soirée (malgré quelques solos efficaces), ce sont surtout les souffleurs qui ont accaparé (littéralement) le devant de la scène. Vaguement cabotin, Mahall n'avait cesse de faire des blagues, jouant avec le rideau, entraînant les musiciens à sortir de scène pour le solo de contrebasse, faisant souvent réagir le public. Tout cela ne saurait nous distraire de son jeu de clarinette basse : avec une sonorité exceptionnellement puissante (même perçante), un phrasé agressif et un contrôle remarquable, Mahall compte certainement parmi les plus grands solistes de son instrument. Également technicien exceptionnel, Dörner s'est livré en solo à une démonstration mémorable de ses capacités, donnant à son instrument les sonorités les plus inouïes! En plus de ses capacités inégalées de bruitiste, Dörner a aussi su démontrer une bonne maîtrise du langage du jazz plus standard. Ce qui rend remarquable les interprétations de ce groupe, c'est cet effet que dans chacun de ces thèmes que nous connaissons, il y a "quelque chose qui cloche", toujours un élément perturbateur (changements de tempo, passages free, coupures, superpositions) qui rend la pièce familière curieusement déphasée, comme si sa substance s'était modifiée avec le temps, quelquefois imperceptiblement. Cette célébration de la musique de Monk, contrairement à certaines performances fossilisées d'une musique qui semble morte, n'aurait pu être plus vivante que lorsque, laissant Schlippenbach seul sur scène, les quatre autres, entonnant un riff monkien, vinrent se promener parmi le public, laissant le pianiste entamer, doucement, 'Round Midnight.
25 juin, Centro Gallego (trio #5 et... trio #6!) : Cette deuxième soirée au Centro Gallego devait être ma soirée de fermeture du festival. D'abord, l'un de nos plus distingués improvisateurs, Jean Derome (saxophoniste alto, flûtiste et grand joueur de bébelles devant l'éternel!) devait faire la pluie et le beau temps, accompagné de Nicolas Caloia à la contrebasse et de Isiah Ceccarelli à la batterie. Littéralement déchaîné comme il m'a rarement été donné de l'entendre (lendemain de la Saint-Jean oblige?), Derome a livré deux longs solos d'alto mémorables, entrecoupés de passages où, muni d'appeaux divers, et utilisant sa flûte en coloriste, il a su perpétuer la tradition des "petits instruments" chère aux improvisateurs post-free. Toute une ouverture, donc, pour le trio Zoom, du batteur helvétique Lucas Niggli. Travaillant depuis 10 ans avec le guitariste Philipp Schauffelberger et le virtuose tromboniste Nils Wogram, Niggli a trouvé avec ces deux musiciens un groupe idéal (quelquefois augmenté) pour ses compositions aux concepts rythmiques souvent complexes (comme il sied à un batteur). Contrairement à Frank Rosaly, Niggli avait à sa disposition un instrument imposant (incluant quatre ou cinq cymbales superposées) et un impressionant assortiment de baguettes de toutes tailles! Livrant avec ce trio plusieurs pièces tirées de ses albums Intakt (notemment Celebrate Diversity, Brain Ballad et Rough Ride, part 2), le batteur a su inspirer à son ensemble une interprétation dynamique et énergique. Schauffelberger, tenant le rôle quelque peu ingrat de liant entre le trombone et la batterie, a su s'acquitter de sa tâche avec brio, et ses quelques interventions ont été très justes et sans excès guitaristiques. Wogram, pour sa part, est assurément l'un des grands trombonistes de sa génération; son passage en solo absolu aurait pu être inventé par le Albert Mangelsdorff des grandes années. Une autre belle découverte au sein d'un des rares festivals où l'on peut encore en faire...
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