Natalie Dessay : des « choses extrêmes » pour l’art total
Natalie Dessay : des « choses extrêmes » pour l’art total
Daniel Turp*
Collaboration spéciale
« J’aime les choses extrêmes », répond Natalie Dessay à une question que je lui pose lors d’un entretien sur le magnifique site du Sante Fe Opera où elle tient, pour la première fois, le rôle de Violetta dans une nouvelle production de La Traviata. La question porte sur l’importance que revêt pour elle, à l’opéra, la mise en scène et sur les rapports entre l’interprète et le metteur en scène.
Que sont donc ces choses extrêmes qu’aime la soprano française ? Sans doute s’agit-il des défis que lui posent les metteurs en scène, qui exigent d’elle des « choses » qui lui permettent de véritablement incarner ses personnages et de raconter leur histoire. Des choses qui, à la demande de Laurent Pelly – « son frère » – qui assure à Santa Fe la mise en scène du plus célèbre des opéras de Verdi, supposent qu’au premier acte elle boive, coure et danse tout en chantant, qu’elle exprime joie et détresse, tantôt par des cris stridents, tantôt et surtout en utilisant toutes les ressources de sa voix de colorature. Et qu’elle le fasse dans une robe fuschia sans bretelles qui ne simplifie guère ses déplacements sur scène.
Mais ce n’est pas seulement dans La Traviata que Natalie Dessay explore les extrêmes. Dans la production de Lucia de Lamermoor présentée au Metropolitan Opera en septembre 2007, qui l’a d’ailleurs consacrée comme l’une des étoiles de la grande maison new-yorkaise, sa scène de la folie lui a permis de traduire les sentiments les plus extrêmes. Et c’est dans une autre scène de la folie, celle d’Ophélie dans le Hamlet d’Ambroise Thomas au Teatre del Liceu de Barcelone en 2003, dont une nouvelle production est prévue avec Natalie Dessay en mars 2010 au Met, qu’elle démontre jusqu’à quel point elle excelle dans la gestion des extrêmes et les incarne dans ces personnages dont les sorts lui sont confiés sur les grandes scènes du monde aujourd’hui. Cette façon d’aborder l’art lyrique n’est-elle pas d’ailleurs conforme à la conception que se faisait Richard Wagner de l’opéra, à l’idée de « Gesamtkuntswerk », les « choses extrêmes » étant sans doute nécessaires pour rendre l’« art total »?
À cette approche centrée sur sa propre contribution aux personnages qu’elle dit avoir le devoir de « réinventer », Natalie Dessay rappelle par ailleurs qu’une production lyrique est d’abord et avant tout une œuvre collective. « L’opéra est un travail d’équipe », affirme-t-elle, en soulignant d’ailleurs le plaisir de travailler, pour la production de La Traviata à Santa Fe, en compagnie d’artistes avec lesquels elle a déjà collaboré, qu’il s’agisse du chef Frédéric Chaslin, de Laurent Pelly qui l’a mise en scène dans La Fille du régiment de Donizetti au Covent Garden de Londres et au Met ainsi que dans Pélleas et Mélisande de Debussy au Theater an der Wien, sans parler du baryton Laurent Naouri, son conjoint, qui tient le rôle de Germont dans La Traviata à Santa Fe et incarnait aussi le prince Golaud dans la production viennoise de Pelléas.
Et pour Natalie Dessay, dans l’équipe, c’est le metteur en scène qui est le chef, le « capitaine du navire ». C’est la mise en scène qui donne à l’opéra du sens, qui le rend « scéniquement » crédible. D’ailleurs, avec la franchise qui la caractérise et qui est appréciée dans la communauté lyrique, elle admet que son combat est pour le théâtre, pour convaincre que l’on doit d’abord et avant tout « chanter ce que l’on joue » et qu’une telle approche doit être proposée aux jeunes qui se destinent à une carrière dans l’opéra.
C’est d’ailleurs par le théâtre que peut s’accomplir une « révolution » de l’opéra qu’elle appelle toujours de ses vœux, comme elle l’a fait il y a quelques années et dont elle « désespère », comme elle l’affirme dans une entrevue à un magazine français (« Natalie Dessay – La métamorphose », Diapason, décembre 2007, p. 23). Cette révolution se réalisera-elle aussi par la création de nouvelles œuvres, comme le fait le Santa Fe Opera qui a enrichi le répertoire lyrique en commandant neuf opéras durant ses cinquante-deux années d’existence et qui a l’intention, comme me l’a fait confié son nouveau directeur général et artistique, M. Charles MacKay, de commander deux nouvelles œuvres pour 2013 et 2015 (voir l’article « The Enchanting Santa Fe Opera Festival » dans le présent magazine) ? La réponse de Natalie Dessay est on ne peut plus claire : non, la révolution de l’opéra passe essentiellement par la théâtralité des œuvres, qu’elles soient anciennes ou nouvelles.
Et s’agissant d’œuvres nouvelles, et puisque Natalie Dessay dit aimer chanter en français, parce qu’elle s’exprime mieux dans sa langue et que chaque mot a une « résonance », je me permets d’aborder avec la chanteuse la controverse entourant le refus du Metropolitan Opera de présenter l’opéra Prima Donna composé par Rufus Wainwright et dont la première a eu lieu le 10 juillet 2009. La controverse vient du fait que le musicien québécois a rédigé le livret de l’opéra en langue française et qu’il a eu le culot de dire non au directeur du Met, M. Peter Gelb, qui lui demandait de le traduire en anglais ! Elle s’emporte, s’indigne, d’autant que l’œuvre a été créée au Manchester International Festival en Angleterre… en langue française ! Elle compte d’ailleurs, me dit-elle, soulever la question avec le directeur du Met à la première occasion.
Après une année 2008-2009 qui aura été marquée par l’attribution d’un prix du meilleur enregistrement aux Victoires de la musique classique au disque Lamenti, sur lequel Natalie Dessay interprète de façon bouleversante, et sous la direction de « sa sœur » Emmanuelle Haïm, les Lamenti della Ninfa de Claudio Monteverdi (www.lamenti.fr), et la parution chez Virgin Classics d’une interprétation par Dessay des cantates de Bach avec le Concert d’Astrée d’Haïm à nouveau, la soprano française se prépare pour une saison lyrique bien remplie en 2009-2010. Après la sortie DVD du Pelléas et Mélisande présenté au Theater an der Wien au début de l’automne 2009 et une présence à la salle Pleyel le 18 septembre pour chanter, avec l’Orchestre national de France, Ein Deutsches Requiem de Johannes Brahms, elle interprétera son premier rôle puccinien en incarnant, dans La Bohème, le personnage de Musetta à l’Opéra national de Paris dont la première est prévue pour le 29 octobre 2009. Et en 2010, elle sera de retour à la Bastille pour y jouer Amina dans La Sonnambula, ce qu’elle fera aussi au Staatsoper de Vienne. Elle reprendra ses rôles d’Ophélie dans Hamlet au Met et de Marie dans La fille du régiment au Covent Garden. Elle pourra aussi être entendue au Théâtre des Champs-Elysées à Paris le 16 mai 2010 dans un concert avec l’Orchestre Philharmonique et le Chœur de Radio France (www.natalie-dessay.com).
Et ne serait-il pas temps d’entendre à nouveau Natalie Dessay chez nous ? L’unique, et brève, présence de Natalie Dessay au Québec remonte au 8 mai 2005 lorsqu’elle donna un récital dans le cadre d’un concert-bénéfice de l’Opéra de Montréal à l’occasion duquel elle fut, selon le compositeur Jacques Hétu, devenu critique pour l’occasion, « tout simplement sublime » et se révéla « une artiste dans son corps et son âme, [u]ne grande tragédienne » (www.resmusica.com). Ne serait-il pas d’ailleurs intéressant de la voir partager la scène avec le grand Placido Domingo lors du premier Festival international d’opéra de Québec en 2011 et l’inviter dans notre capitale nationale pour qu’elle puisse offrir aux adeptes de l’art total des « choses extrêmes » ?
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* Président de la Société des arts en milieux de santé et candidat au certificat Musique, art et société à la Faculté de musique de l’Université de Montréal. L’entretien avec Natalie Dessay s’est déroulé sur le site du Santa Fe Opera House le mardi 14 juillet 2009 et l’auteur tient à remercier la directrice des communications du Santa Fe Opera, Mme Joyce Idema, pour sa collaboration dans l’organisation de cet entretien. Pour une entrevue antérieure réalisée avec Natalie Dessay et publiée dans le présent magazine, voir Wah Keung CHAN, « Natalie Dessay in Conversation », La Scena musicale, 14 mai 2005.
Daniel Turp*
Collaboration spéciale
« J’aime les choses extrêmes », répond Natalie Dessay à une question que je lui pose lors d’un entretien sur le magnifique site du Sante Fe Opera où elle tient, pour la première fois, le rôle de Violetta dans une nouvelle production de La Traviata. La question porte sur l’importance que revêt pour elle, à l’opéra, la mise en scène et sur les rapports entre l’interprète et le metteur en scène.
Que sont donc ces choses extrêmes qu’aime la soprano française ? Sans doute s’agit-il des défis que lui posent les metteurs en scène, qui exigent d’elle des « choses » qui lui permettent de véritablement incarner ses personnages et de raconter leur histoire. Des choses qui, à la demande de Laurent Pelly – « son frère » – qui assure à Santa Fe la mise en scène du plus célèbre des opéras de Verdi, supposent qu’au premier acte elle boive, coure et danse tout en chantant, qu’elle exprime joie et détresse, tantôt par des cris stridents, tantôt et surtout en utilisant toutes les ressources de sa voix de colorature. Et qu’elle le fasse dans une robe fuschia sans bretelles qui ne simplifie guère ses déplacements sur scène.
Mais ce n’est pas seulement dans La Traviata que Natalie Dessay explore les extrêmes. Dans la production de Lucia de Lamermoor présentée au Metropolitan Opera en septembre 2007, qui l’a d’ailleurs consacrée comme l’une des étoiles de la grande maison new-yorkaise, sa scène de la folie lui a permis de traduire les sentiments les plus extrêmes. Et c’est dans une autre scène de la folie, celle d’Ophélie dans le Hamlet d’Ambroise Thomas au Teatre del Liceu de Barcelone en 2003, dont une nouvelle production est prévue avec Natalie Dessay en mars 2010 au Met, qu’elle démontre jusqu’à quel point elle excelle dans la gestion des extrêmes et les incarne dans ces personnages dont les sorts lui sont confiés sur les grandes scènes du monde aujourd’hui. Cette façon d’aborder l’art lyrique n’est-elle pas d’ailleurs conforme à la conception que se faisait Richard Wagner de l’opéra, à l’idée de « Gesamtkuntswerk », les « choses extrêmes » étant sans doute nécessaires pour rendre l’« art total »?
À cette approche centrée sur sa propre contribution aux personnages qu’elle dit avoir le devoir de « réinventer », Natalie Dessay rappelle par ailleurs qu’une production lyrique est d’abord et avant tout une œuvre collective. « L’opéra est un travail d’équipe », affirme-t-elle, en soulignant d’ailleurs le plaisir de travailler, pour la production de La Traviata à Santa Fe, en compagnie d’artistes avec lesquels elle a déjà collaboré, qu’il s’agisse du chef Frédéric Chaslin, de Laurent Pelly qui l’a mise en scène dans La Fille du régiment de Donizetti au Covent Garden de Londres et au Met ainsi que dans Pélleas et Mélisande de Debussy au Theater an der Wien, sans parler du baryton Laurent Naouri, son conjoint, qui tient le rôle de Germont dans La Traviata à Santa Fe et incarnait aussi le prince Golaud dans la production viennoise de Pelléas.
Et pour Natalie Dessay, dans l’équipe, c’est le metteur en scène qui est le chef, le « capitaine du navire ». C’est la mise en scène qui donne à l’opéra du sens, qui le rend « scéniquement » crédible. D’ailleurs, avec la franchise qui la caractérise et qui est appréciée dans la communauté lyrique, elle admet que son combat est pour le théâtre, pour convaincre que l’on doit d’abord et avant tout « chanter ce que l’on joue » et qu’une telle approche doit être proposée aux jeunes qui se destinent à une carrière dans l’opéra.
C’est d’ailleurs par le théâtre que peut s’accomplir une « révolution » de l’opéra qu’elle appelle toujours de ses vœux, comme elle l’a fait il y a quelques années et dont elle « désespère », comme elle l’affirme dans une entrevue à un magazine français (« Natalie Dessay – La métamorphose », Diapason, décembre 2007, p. 23). Cette révolution se réalisera-elle aussi par la création de nouvelles œuvres, comme le fait le Santa Fe Opera qui a enrichi le répertoire lyrique en commandant neuf opéras durant ses cinquante-deux années d’existence et qui a l’intention, comme me l’a fait confié son nouveau directeur général et artistique, M. Charles MacKay, de commander deux nouvelles œuvres pour 2013 et 2015 (voir l’article « The Enchanting Santa Fe Opera Festival » dans le présent magazine) ? La réponse de Natalie Dessay est on ne peut plus claire : non, la révolution de l’opéra passe essentiellement par la théâtralité des œuvres, qu’elles soient anciennes ou nouvelles.
Et s’agissant d’œuvres nouvelles, et puisque Natalie Dessay dit aimer chanter en français, parce qu’elle s’exprime mieux dans sa langue et que chaque mot a une « résonance », je me permets d’aborder avec la chanteuse la controverse entourant le refus du Metropolitan Opera de présenter l’opéra Prima Donna composé par Rufus Wainwright et dont la première a eu lieu le 10 juillet 2009. La controverse vient du fait que le musicien québécois a rédigé le livret de l’opéra en langue française et qu’il a eu le culot de dire non au directeur du Met, M. Peter Gelb, qui lui demandait de le traduire en anglais ! Elle s’emporte, s’indigne, d’autant que l’œuvre a été créée au Manchester International Festival en Angleterre… en langue française ! Elle compte d’ailleurs, me dit-elle, soulever la question avec le directeur du Met à la première occasion.
Après une année 2008-2009 qui aura été marquée par l’attribution d’un prix du meilleur enregistrement aux Victoires de la musique classique au disque Lamenti, sur lequel Natalie Dessay interprète de façon bouleversante, et sous la direction de « sa sœur » Emmanuelle Haïm, les Lamenti della Ninfa de Claudio Monteverdi (www.lamenti.fr), et la parution chez Virgin Classics d’une interprétation par Dessay des cantates de Bach avec le Concert d’Astrée d’Haïm à nouveau, la soprano française se prépare pour une saison lyrique bien remplie en 2009-2010. Après la sortie DVD du Pelléas et Mélisande présenté au Theater an der Wien au début de l’automne 2009 et une présence à la salle Pleyel le 18 septembre pour chanter, avec l’Orchestre national de France, Ein Deutsches Requiem de Johannes Brahms, elle interprétera son premier rôle puccinien en incarnant, dans La Bohème, le personnage de Musetta à l’Opéra national de Paris dont la première est prévue pour le 29 octobre 2009. Et en 2010, elle sera de retour à la Bastille pour y jouer Amina dans La Sonnambula, ce qu’elle fera aussi au Staatsoper de Vienne. Elle reprendra ses rôles d’Ophélie dans Hamlet au Met et de Marie dans La fille du régiment au Covent Garden. Elle pourra aussi être entendue au Théâtre des Champs-Elysées à Paris le 16 mai 2010 dans un concert avec l’Orchestre Philharmonique et le Chœur de Radio France (www.natalie-dessay.com).
Et ne serait-il pas temps d’entendre à nouveau Natalie Dessay chez nous ? L’unique, et brève, présence de Natalie Dessay au Québec remonte au 8 mai 2005 lorsqu’elle donna un récital dans le cadre d’un concert-bénéfice de l’Opéra de Montréal à l’occasion duquel elle fut, selon le compositeur Jacques Hétu, devenu critique pour l’occasion, « tout simplement sublime » et se révéla « une artiste dans son corps et son âme, [u]ne grande tragédienne » (www.resmusica.com). Ne serait-il pas d’ailleurs intéressant de la voir partager la scène avec le grand Placido Domingo lors du premier Festival international d’opéra de Québec en 2011 et l’inviter dans notre capitale nationale pour qu’elle puisse offrir aux adeptes de l’art total des « choses extrêmes » ?
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* Président de la Société des arts en milieux de santé et candidat au certificat Musique, art et société à la Faculté de musique de l’Université de Montréal. L’entretien avec Natalie Dessay s’est déroulé sur le site du Santa Fe Opera House le mardi 14 juillet 2009 et l’auteur tient à remercier la directrice des communications du Santa Fe Opera, Mme Joyce Idema, pour sa collaboration dans l’organisation de cet entretien. Pour une entrevue antérieure réalisée avec Natalie Dessay et publiée dans le présent magazine, voir Wah Keung CHAN, « Natalie Dessay in Conversation », La Scena musicale, 14 mai 2005.
Labels: Festivals, Natalie Dessay
1 Comments:
Le MET finira obligatoirement par prendre l'Opéra de Rufus Wainwright ! J'étais à la première et le contraire serait tout simplement ridicule. Lorsque cet opéra aura fait le tour du monde (Manchester, puis Londres, puis Toronto; Paris est aussi sur les rangs), le Directeur du MET aura l'air malin d'avoir refusé ...
Ceci étant, toute cette histoire est un mal pour un bien car une programmation à New-York n'aurait de toute façon pas été possible avec 2014. C'était bien trop tard ...
By isatagada, At September 8, 2009 3:36 AM
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