Ne vous étonnez pas si au cours des années à venir, ce nom apparaît dans la majorité des programmes des grandes salles du monde, dans les concerts les plus prestigieux, et sous la baguette des grandes « stars » de la direction d’orchestre… Car David Greilsammer, déjà reconnu comme un « artiste qui compte », est en passe de devenir un véritable interprète de génie admiré et compris dans sa démarche artistique. Techniquement, il a tout des grands maîtres du passé, un toucher somptueux, une articulation moderne et souple, une intensité passionnée. Artistiquement, ses choix de répertoire et sa programmation en font un artiste original et unique, quasi visionnaire. Personnellement, David est un homme simple et disponible, chaleureux et engagé : un ami plus-que-parfait…
Greilsammer est né à Jérusalem en 1977 et débute le piano au Conservatoire Rubin. Après avoir étudié à Florence puis à Paris, il retourne en Israël pour parfaire sa formation artistique avec Yahli Wagman et Shoshana Cohen. Après son service militaire, David rejoint la Juilliard School et le Professeur Kaplinsky, puis Richard Goode.
Une des grandes passions de ce jeune pianiste est la musique de compositeurs rarement donnés : ainsi, en 2004, sous la baguette de James Conlon, il joue la première américaine du Concerto pour piano d’Erwin Schulhoff, mort dans un camp de concentration en 1942. En 2007, il enregistre pour la radio allemande le Deuxième Concerto, très jazzy, d’Alexandre Tansman. Son dernier album, fantaisie_fantasme, fait la part belle à John Cage et aux œuvres pour piano « préparé ».
Partout où sa carrière le mène, Greilsammer reçoit les ovations des critiques et du public : New York, Londres, Trieste, Bologne, Paris, Venise, Montpellier, Mexico, Jérusalem, Haïfa, Cuba, Taipei sont déjà tombés sous le charme de ce pianiste également chef d’orchestre. Ses débuts discographiques témoignent – et avec quel succès – de cette double casquette artistique : le disque des concertos de jeunesse de Mozart (Vanguard Classics) fut loué par les critiques du monde entier. Depuis 2007, David est sous contrat exclusif avec la maison française Naïve.
Les dernières grandes nouvelles de la jeune carrière de ce pianiste plus que prometteur : il donnera l’intégralité des Sonates pour piano de Mozart en six concerts au Festival de Verbier (Suisse) et il concourt pour le titre de « Révélation musicale de l’année 2008 » aux Victoires de la Musique en France.
Rencontre…
Audrey Roncigli : David, en quoi les éléments de votre vie personnelle ont-ils influencé votre jeu, votre répertoire, vos interprétations ?
David Greilsammer : Je suis né en Israël et j’y ai été élevé. Cela a vraiment joué un rôle important dans mon développement artistique et musical. Israël est un lieu vraiment spécial, un lieu unique : ce pays est ancré en moi aujourd’hui, il a contribué aussi à me forger moi-même. Je pense que le fait d’avoir été élevé à Jérusalem, tout en ayant la possibilité de beaucoup voyager, d’étudier dans des lieux différents, tout cela a eu une grande influence sur mon jeu et sur mes idées artistiques. J’ai toujours eu en quelque sorte l’esprit de découverte, l’esprit d’aventure !
Audrey Roncigli : Vous avez dédié une large part de votre carrière à Mozart. Comment expliquez vous cette fascinante affinité personnelle que vous avez avec le compositeur ?
David Greilsammer : Du plus loin que je m’en souvienne, Mozart a toujours été présent dans ma vie… Le premier enregistrement que ma maman m’a fait écouter était Mozart. Je ne sais pas vraiment pourquoi Mozart est si proche de moi, mais il l’est réellement et profondément. Lorsque je joue Mozart, je me sens chez moi, il me semble que je m’exprime dans un langage qui m’est tout à fait naturel. Vous savez, comme une sorte de langue maternelle. C’est un peu comme si Mozart était tout ce que j’avais toujours recherché. Mozart me semble si humain, si réel, et en même temps, il vous entraîne dans de nouvelles sphères, de nouveaux mondes, de nouveaux lieux que personne n’aurait jamais imaginés. Lorsque j’entends la musique de Mozart, c’est la vie qui ressort. Je sens chaque élément, et à la fois tous les éléments de la vie : ils sont là, derrière les notes.
Audrey Roncigli : Vous avez été le premier pianiste à interpréter le Concerto pour piano op. 43 d’Erwin Schulhoff aux États-Unis, sous la baguette de maestro Conlon. Vous manifestez ainsi un grand intérêt pour ces compositeurs juifs qui ont péri dans les camps. Jouer ces œuvres relève-t-il pour vous, interprète juif, d’une sorte de « devoir », d’une recherche de vos origines ? Ou alors d’une pure découverte musicale ?
David Greilsammer : Il y a différents aspects que je dois aborder pour parler de ce répertoire. Tout d’abord, je pense que ces compositeurs ont tout simplement écrit des œuvres magnifiques et fascinantes. Beaucoup étaient considérés comme les plus prolifiques et les plus créatifs de leur temps. De grands visionnaires, en quelque sorte ! Mais leur mort brutale durant la Shoah a tout arrêté… Je pense qu’il est de notre responsabilité de nous assurer que même si ces compositeurs ont péri dans les camps, leur musique, elle, ne disparaîtra jamais. Si nous ne faisons pas survivre ces pièces, qui le fera ? De plus, bien entendu, en tant qu’artiste israélien, je me sens très proche des pièces de ces compositeurs. Une partie de ma famille a péri durant l’Holocauste et, de fait, je ne peux m’empêcher de sentir un lien très personnel et intime avec ces compositeurs ; quand je joue leur musique, je ressens vraiment des émotions très intenses et profondes.
Audrey Roncigli : Votre dernier album, fantaisie_fantasme, est une sorte de voyage au gré de vos rêves musicaux, ce qui signifie en pratique un choix original et unique de pièces. Considérez-vous qu’il soit urgent de reconstruire le répertoire de récital, d’ouvrir le public à de nouvelles œuvres, de nouveaux programmes ?
David Greilsammer : Oui, tout à fait. Il est grand temps de repenser de nombreux aspects du monde de la musique classique. Nous sommes au 21e siècle… Il me semble toujours qu’il existe tant de pièces et tant de projets musicaux qui sont laissés de côté, jamais explorés… alors que le public aime les surprises, il aime écouter et voir de nouvelles choses, le public ne demande qu’à faire de nouvelles découvertes. En tant qu’artistes, il est de notre devoir de proposer ces nouvelles pièces au public. Je ne parle pas seulement de ces compositeurs qu’on qualifie de « rarement joués » ou des compositeurs contemporains, que j’admire énormément. Je parle aussi des pièces de compositeurs très connus qui ne sont jamais jouées. Par exemple : Mozart a écrit près de 630 pièces, mais nous entendons toujours les mêmes 30 ou 40 dans les concerts ! Alors, je vous le demande : où sont passées les autres ?
Audrey Roncigli : Cette hétérogénéité extrême dans votre répertoire signifie-t-elle un besoin artistique ? Tant de grands pianistes n’explorent jamais le répertoire de John Cage, ou se « spécialisent » dans un ou deux compositeurs. Je pense que ce répertoire si vaste et si diversifié signifie quelque chose de votre personnalité…
David Greilsammer : Oui… J’ai toujours été quelqu’un de curieux, je cherche continuellement de nouveaux secrets à propos de la vie… Pour assurer mon développement artistique, j’ai besoin de beaucoup de connaissances sur l’Art en général, je regarde continuellement autour de moi, ce que font les autres, ce qui se passe dans les autres formes d’art. Ainsi, les pièces de John Cage pour piano préparé représentent pour moi non seulement une superbe musique, mais expriment aussi un esprit d’innovation, de liberté. Cage demande de placer des boulons et des élastiques dans le piano de manière à obtenir une nouvelle gamme de sons. Il invente de nouvelles sonorités et révèle des éléments dont nous ne pouvions imaginer l’existence. Cette idée représente tant à mes yeux. Il me semble que c’est la définition même de l’artiste : aller toujours de l’avant, toujours rechercher, toujours se poser des questions, toujours tenter d’aller plus loin que ce qui est évident. Comme je l’ai déjà dit, nous, artistes, avons une grande responsabilité envers le public, et cette responsabilité va bien plus loin que de simplement « réussir un bon concert ». Cela signifie aussi emmener les auditeurs dans un voyage inconnu vers un nouveau monde, là où ils ne sont jamais allés, où ils n’iront qu’avec vous. La musique classique est liée indubitablement avec le passé et avec des compositeurs qui sont morts. Mais pour moi, la musique classique devrait d’abord être un art du présent. On ne peut pas vivre toujours dans le passé.
Audrey Roncigli : Vous reliez-vous à la génération des jeunes pianistes prodiges dans laquelle on classe Lang Lang ou Yundi Li ? Il me semble que non. Donc, ma question devient : en quoi diriez-vous que votre approche artistique, votre jeu, vos interprétations, sont différents de celle de la génération actuelle de pianistes ?
David Greilsammer : Je ne me suis jamais considéré comme un « prodige » ou comme un produit d’une quelconque génération ou école. J’essaie simplement de suivre mon propre chemin et de faire ce en quoi je crois. Mon approche musicale est basée sur le fait d’avoir une vision artistique vraiment personnelle, pour chacune des pièces et pour toutes les pièces que je joue. Vous pouvez être un merveilleux musicien, un virtuose épatant, mais sans une vision profonde et une conception claire de votre art, il manquera toujours quelque chose. Le son… Voilà également une question qui m’est très importante. Lorsque je travaille une œuvre, l’une des premières choses sur lesquelles je m’interroge est le son : quel est le son que je recherche pour ce moment particulier de cette pièce ? J’essaie d’imaginer le son que je veux entendre et ensuite, je tente de lui donner réalité par le clavier. Je veux croire que je peux trouver un son qui m’est propre, un son par lequel on puisse identifier mon jeu. Et qu’importe ma vision d’une pièce, la question originelle est toujours celle du son.
Audrey Roncigli : Quels sont les musiciens ou les artistes qui ont influencé votre éducation musicale, votre développement artistique ?
David Greilsammer : Quelques pianistes ont eu une grande influence sur mon développement musical : Daniel Barenboim, Murray Perahia, Radu Lupu ou Richard Goode avec qui j’ai travaillé à New York. Mais les pianistes de jazz m’ont également beaucoup inspiré. Je pense à Keith Jarrett, Bill Evans, Thelonious Monk… Il me semble que lorsque ces grand jazzmen s’assoient devant le clavier, la première chose a laquelle ils pensent est : « Comment faire pour que cet instrument sonne comme la voix humaine ? » Cela est merveilleux…
Audrey Roncigli : Vous êtes en lice cette année aux Victoires de la Musiques, en France. Vous avez aussi de grandes relations avec le pays ?
David Greilsammer : C’est un grand honneur pour moi de concourir au titre de « Révélation instrumentale de l’année 2008 » aux Victoires de la Musique. C’est vraiment un titre prestigieux et très réputé en France et en Europe. Je partage ma vie entre Paris et New York, selon mes concerts, mes tournées et mes enregistrements. J’ai aussi débuté une collaboration avec la maison de disques Naïve et je joue souvent en France. C’est là qu’il y a le plus de festivals en Europe et les saisons les plus intéressantes. J’ai toujours adoré jouer à Paris, le public est vraiment fantastique et très ouvert.
Audrey Roncigli : Quels seront les grands moments de cette saison ?
David Greilsammer : Il y aura ma première tournée en Chine en juin, je suis impatient d’être là-bas. Surtout, je me réjouis de jouer l’intégrale des sonates de Mozart au Festival de Verbier cet été. C’est un défi tellement fascinant, cela me donne également la possibilité de réexplorer un répertoire que j’adore plus que tout au monde. Chaque fois que je reviens à une sonate de Mozart, je me sens découvrir un nouveau secret, une nouvelle magie, même si je connais la pièce depuis de nombreuses années.
Audrey Roncigli : Hormis le piano, quelles sont vos passions ?
David Greilsammer : Lire, les bons films… J’aime beaucoup sortir dans des clubs pour écouter du jazz, du blues, de la musique cubaine ou brésilienne. J’apprends beaucoup à écouter ces musiciens improviser, à les regarder faire de la musique ensemble, à s’écouter. J’aime plus que tout la manière dont ils font chanter leurs instruments…
-Audrey Roncigli
Crédit photographique : © Antoine Le Grand, Naïve
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